C. Darveau (p. 72-75).

VII

Délivrance.


Justes représailles du massacre de Lachine par les Iroquois, massacre dû à l’instigation des Anglais de la Nouvelle Angleterre, trois partis de guerre avaient été envoyés par M. de Frontenac contre les colonies anglaises : le premier du côté d’Albany, le second vers les établissements de la rivière Connecticut, et le troisième contre le pays qui s’étend entre le haut de la rivière Hudson et Boston.

Notre intention n’est pas de raconter les exploits de ces braves qui répandirent par toutes les colonies de la Nouvelle Angleterre la terreur du nom français, qu’il suffise de dire que ces hommes seuls étaient capables d’entreprendre pareilles expéditions au milieu de l’hiver, la raquette aux pieds, un sac de vivres sur le dos et leurs armes.

« Et de fait, observe Golden — témoignage irrécusable — des Européens ne croiraient pas qu’il fut possible à des hommes de faire une telle marche au milieu de la forêt, dans les temps les plus froids, sans autre abri que le ciel, sans autres provisions que celles qu’ils portaient avec eux. »

Le premier parti, de cent quatorze Français, de seize Algonquins et de quatre-vingts sauvages du Sault St. Louis et de la Montagne sous les ordres de Sainte-Hélène, d’Ailleboust de Mentet, d’Iberville et Repentigny de Montesson s’était dirigé vers Albany. Mais les sauvages ayant refusé de suivre les Français dans leur téméraire entreprise, l’on s’était rabattu sur Corlaer qui fut détruit de fond en comble, à l’exception de deux maisons.

« Une dame du lieu, dit Ferland, avait dans bien des occasions témoigné de la pitié aux captifs français conduits à Collaer ; elle les avait soignés dans leur maladie, leur avait donné des vêtements et de la nourriture. » Ses bienfaits ne furent pas oubliés. Des ordres avaient été donnés de respecter inviolablement les possessions et les biens de son mari, le capitaine Alexander Glen. D’Iberville et le Grand-Agnier se rendirent auprès de lui pour l’assurer qu’on épargnerait lui et les siens.

Toutes les maisons furent brûlées ; celle du sieur Glen, comme nous venons de le dire, et la maison d’une veuve chez qui avait été transporté de Montigny blessé dans le combat, furent seules épargnées.

Après le départ des Français, le capitaine Glen se transporta avec sa famille à Boston. C’est là que nous retrouvons le père Kernouët et sa fille Yvonne.

Nous ne raconterons pas le voyage du lieutenant Glen avec ses prisonniers, voyage qui ne fut marqué que par un seul incident.

Nous avons entendu Tête d’Aigle, le chef des Agniers, murmurer au moment où il sortait de la tente après le marché conclu avec Lewis Glen :

— Tête d’Aigle a la prudence du serpent et la finesse du renard ; quand il aura vaincu ses ennemis, il saura bien retrouver la jeune Fleur du Lac !

Ces paroles nous fournissent l’explication de la facilité avec laquelle le chef sauvage avait cédé ses prisonniers auxquels il tenait tant cependant.

C’est que Tête d’Aigle comptait bien en effet d’une pierre faire deux coups, que l’on nous passe l’expression, c’est-à-dire se procurer d’abord les armes dont il avait besoin pour tenir la campagne, puis, par tous les moyens possibles, reprendre ses prisonniers.

Un soir que le parti de Glen était campé dans une petite baie de la rivière Agnier qu’il descendait pour se rendre à Corlaer, il sembla à la sentinelle placée près de la tente de son chef, qu’un buisson situé à une certaine distance avait pris une direction plus oblique et s’était rapproché de la tente d’Yvonne.

Le soldat voulut en avoir le cœur net. Faisant un détour, il s’approcha en rampant de l’endroit qui avait attiré ainsi son attention. Aussitôt, il vit s’arrêter le buisson et deux sauvages en sortirent qui prirent leur course vers le bois, salués au passage par le fusil de la sentinelle. En un instant, tout le camp fut sur pied. Le bois fut fouillé une partie de la nuit, mais inutilement, on ne trouva que de nombreuses pistes.

Cet incident engagea Glen à redoubler de surveillance et à hâter son voyage.

— Cinq jours après, le parti arrivait sans encombre à Corlaer, où l’on ne trouva que des cendres. Lewis Glen y apprit que sa famille s’était réfugiée à Boston.

Il s’y rendit aussitôt avec ses prisonniers.