Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/51

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Qu’est-ce qui conduit le clergé à pareilles immoralités ? Deux choses : 1o l’orgueil ! l’idée fausse et impie que des hommes portant certain costume deviennent infaillibles en certains cas ; 2o l’ignorance, produit de l’étude exclusive de la théologie et du droit canon qui, étant tous deux basés sur le principe de « la grâce, qui n’est pas la justice », empêchent le prêtre de comprendre le droit. L’orgueil et l’ignorance enseignent au clergé que ni la pensée ni la conscience ne sont indépendantes de l’Église. De là toutes les horreurs qui ont ensanglanté le monde sous prétexte de religion.

La vraie science du droit, elle, consacre l’idée d’un droit primordial dans la personne humaine pour cette seule raison que l’homme jouit de la raison. Il ne doit pas chercher le droit en dehors de lui. Chaque homme le possède dans sa plénitude et conséquemment chaque homme doit reconnaître le même fait chez son semblable. Notre droit constitue l’autonomie de la personne humaine. Le droit des autres crée pour nous l’obligation de le respecter, c’est-à-dire nous impose le devoir de la justice. L’Église n’admet pas ces principes parce qu’elle nie qu’il existe un droit primordial dans la personne humaine. Tous ses publicistes, ses canonistes, prétendent que l’homme naît sans droits, preuve de leur ignorance de la véritable origine du droit.[1] L’Église, dans son inintelligent dédain de la science profane, n’a jamais compris le droit, ce qui montre que mépriser la science c’est toujours se fourvoyer. C’est pourtant dans ce qu’elle a gratifié de tout temps de vaine science humaine qu’est le vrai. Et la preuve que c’est bien là qu’il est, c’est que l’Église finit toujours par se soumettre, quelquefois malgré des protestations furieuses ; mais finalement elle cède, parce que l’opinion éclairée est plus forte qu’elle et parce que le droit et la justice sont au-dessus d’elle.

Nombre de bons et excellents catholiques, qui ne veulent pas plus voir de fautes ou d’erreurs dans l’Église que les moines du temps de Galilée ne voulaient voir de taches dans le soleil, ne veulent pas se rendre sur la question de l’immoralité commise par l’Église quand elle permet de briser un mariage parce qu’un dissident ou un juif se convertit. Mais il y a un moyen bien simple de décider la question, c’est de proposer à des femmes catholiques au cœur haut placé et de conscience éclairée des mariages comme ceux que je viens de citer. Qu’un prêtre aille proposer la chose à ces femmes qui ont été des épouses modèles ; à ces saintes mères de famille, devenues veuves, qui se sont exclusivement dévouées au bonheur de leurs enfants, et qui n’ont eu d’autre souci dans la vie que de les bien élever et d’en faire d’honnêtes gens.

Qu’un prêtre aille tenter l’aventure et leur proposer une alliance avec un protestant converti qui aura abandonné femme et enfants et se croira libre parce qu’il se sera fait catholique, et il verra ce qu’une femme de conscience droite et de caractère élevé lui répondra.

Il n’y a pas dans toute la catholicité une femme bien née qui ne regardât pareille proposition comme une insulte, et sa première parole serait : « Quoi ! vous, prêtre catholique ! vous venez me proposer de devenir la concubine de cet homme ! »

Qu’il lui dise tant qu’il voudra que l’Église ne reconnaît pas le mariage protestant, elle lui répondra que sa conscience à elle ne lui permet pas de devenir la femme d’un homme qui en a déjà une sous un autre culte. Elle lui répondra que ses notions de bonnes mœurs à elle valent mieux que celles de l’Église. Elle lui dira que l’homme qui a pu abandonner une première femme était un mauvais mari, un homme sans principe et sans cœur, et que le fait seul d’en chercher une seconde du vivant de la première prouve que la vraie religion ne lui en a pas donné de meilleurs. Elle lui dira enfin qu’il n’appartient pas à l’Église, gardienne de la morale, de favoriser ou justifier pareil indigne.

Eh bien ! le cas que je suppose ici est vraiment arrivé aux États-Unis en 1870. Je ne puis comme de raison pas citer de noms, mais je tiens le fait de l’avocat même qui a empêché un mariage proposé sous des circonstances identiques.

Une dame catholique de Philadelphie devient veuve et reste dans une grande aisance. Un Anglais, naturalisé aux États-Unis et dont les affaires n’étaient pas brillantes, conçoit l’espoir d’obtenir sa main. Il abandonne sa femme et sa fille, se fait catholique, puis se fait offrir comme mari à la riche veuve par le grand vicaire qui avait ramené cette honnête brebis égarée au bercail. Le grand vicaire regardait naturellement le premier mariage comme devenu nul par le fait de la conversion de son protégé. La veuve reçut bien un homme de bonnes manières présenté par un dignitaire ecclésiastique et n’était pas éloignée de consentir à l’union proposée. Heureusement elle en parla à son avocat qui offrit de prendre des renseignements, apprit le fait de l’abandon d’une première femme, parvint à découvrir celle-ci et l’amena lui-même chez sa cliente. Celle-ci indignée va trouver le grand vicaire, qu’elle croyait avoir été trompé comme elle-même par cet homme. Mais ici elle eut une bien autre surprise. Voilà que le gardien de la morale lui explique au long que, par le fait de sa conversion au catholicisme, le solliciteur était devenu libre vu que l’Église ne reconnaissait pas son premier mariage !

— « Ainsi, dit-elle, si je n’avais pas été informée du véritable état des choses, j’aurais pu voir venir chez moi la première femme de cet homme me prouver que je n’étais que sa concubine ! Tout cela est indigne, Monsieur, et je vous invite à ne jamais remettre les pieds chez moi. »

On comprend que le solliciteur reçut son congé en bonne et due forme.

Eh bien ! quand une Église soi-disant infaillible pose pareils principes ; quand elle en arrive à provoquer dans les âmes droites le dégoût de quelques-unes de ses règles, il est bien clair qu’elle n’est pas au niveau moral de la société laïque qui jamais ne sanctionnerait pareilles immoralités. Il est bien clair qu’elle est tombée, à une époque ou une autre, entre les mains d’hommes incompétents même en science morale et religieuse ; entre les mains d’hommes dont un système faux a faussé l’esprit sur les plus simples questions de droit naturel.

Il n’existe pas une législature au monde qui ne flétrirait énergiquement toute tentative de proposition de loi tendant à incorporer dans le droit civil cette immorale disposition du droit ecclésiastique.

Quel remarquable résultat ! C’est le droit humain et essentiellement faillible, d’après les saintes plumes, qui ne s’est pas trompé sur cette question et qui prohibe le libertinage ! Et c’est le droit ecclésiastique et essentiellement infaillible, d’après les mêmes saintes plumes, qui est tombé dans la prodigieuse erreur de sanctionner un libertinage évident en ratifiant l’enlèvement d’une femme mariée ou l’abandon lâche et coupable d’une pauvre femme peu jolie par son immonde mari !

Au reste ce n’est pas seulement sur les questions matrimoniales que le droit laïque s’est montré supérieur au droit ecclésiastique. Le fait est que, sans les légistes, l’Église ne se serait jamais corrigée sur nombre de questions.

En résumé quand la société laïque éclairée voit le clergé tomber dans d’aussi tristes erreurs sur des points si clairs de morale pratique, elle ne peut plus regarder les décisions de l’Église comme le fruit d’une compréhension intelligente des choses. Elle ne peut pas croire à l’inspiration de ceux qui ne voient pas d’immoralité dans pareils actes. Elle comprend que toute la législation ecclésiastique sur le mariage, produit de diverses époques de profonde ignorance, n’est plus acceptable dans une société illuminée par la philosophie et le droit modernes. Et elle déplore qu’un grand corps comme le clergé catholique en soit encore à patauger dans le faux au point de sanctionner la violation de tous les devoirs d’époux et de père, de femme et de mère.

Et c’est la science non faussée par la théologie qui a démontré le vide et le néant d’un système prôné par les grands mots convenus, mais qui couvre de si profondes misères.

Ah ! franchement ! ce n’est pas la peine de pousser à la révolution partout ; de mettre partout les catholiques en opposition ouverte contre les gouvernements ; de les placer partout entre leur conscience et l’obéissance à la loi, pour leur imposer une morale de ce calibre.

  1. Un évêque français répétait ce triomphant paradoxe théologique il y a cinq ou six ans dans un mandement.