Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/42

XLII


Le principe de la séparation de corps, imposé par l’Église à la société civile, est faux et immoral en lui-même parce qu’il attache à jamais l’épouse honnête à l’époux indigne et vice versa ; parce qu’il les empêche tant que vit l’un des séparés, de jouir des avantages et de l’honneur du mariage. Enfin il est immoral surtout parce qu’il a pour conséquence inévitable, fatale — et le clergé ne l’a jamais ignoré — la procréation d’un nombre considérable d’enfants adultérins dont le plus grand nombre seraient enfants légitimes sous le système du divorce. Voilà donc des conséquences immorales imposées par le clergé au nom de la religion. Il savait qu’en abolissant le divorce il ferait procréer des bâtards en nombre considérable, mais avec lui la morale doit céder le pas au dogme. Et à quel dogme dans la question qui nous occupe ? À un dogme qui est sur un point essentiel la contradiction formelle du précepte du divin maître ! L’Église lui a vraiment donné un soufflet sur la question de l’adultère ! Peut-être y avait-il mieux à faire pour elle !

Étudiez le système ecclésiastique dans tous les temps et vous verrez que jamais les droits de la morale n’ont préoccupé le clergé le moins du monde quand l’intérêt de sa domination était en jeu. Est-ce qu’en imposant le célibat ecclésiastique on ne savait pas qu’il ne serait jamais observé ? Combien d’évêques ont prédit cette conséquence comme inévitable, comme découlant fatalement de cette institution contre nature ? De même en réclamant l’abolition du divorce on savait parfaitement que son absence de la loi serait une cause puissante, irrésistible, de démoralisation pour des milliers d’individus.

Le dogme ne l’a emporté qu’aux dépens de la morale publique et privée.

Et voyez combien le prêtre est incapable de raisonner juste. Il anathématise l’idée de divorce sur le précepte : Quod Deus conjunxit homo non separet. Mais, grand Dieu ! est-ce que dans la séparation de corps on ne sépare pas ce que Dieu a uni dans le système ? La femme va de son côté, l’homme du sien, et parce que, tout en rompant le lien pratiquement, on laisse subsister deux noms sur un registre on a la naïveté, ou plutôt, on commet la petite rouerie de prétendre que l’on n’a pas séparé ce que Dieu a joint ! Toujours la lettre de préférence à l’esprit ! Toujours le faux prétexte préféré à la franchise dans les situations ![1]

Le principe du mariage est que les époux se créeront une famille, supporteront ensemble les misères de la vie commune comme ils en partageront les joies, se devront fidélité réciproque et se donneront mutuellement aide et protection. Toutes ces obligations cessent par le seul fait de la séparation, surtout le principal devoir, dans le système, qui est la procréation des enfants. Or dès que ce devoir et tous les autres deviennent caducs, l’objet du mariage est détruit, comme son principe, et la conservation d’un lien brisé de fait devient un pur non sens, un véritable mensonge à la situation. Et pis que cela, puisque le droit naturel de la partie innocente est violé ! Et pis que cela encore puisque dans la séparation la partie innocente est punie au même degré que la partie coupable. Ici comme partout et toujours l’Église montre qu’elle ne comprend rien à l’application du principe de justice. En continuant d’imposer le lien sans les droits et les devoirs mutuels qu’il avait créés, elle commet évidemment une tyrannie monstrueuse contre la partie innocente. Le rituel de Soissons, rédigé par des hommes très éclairés qui se rendaient compte de l’injustice commise, admettait le mariage en faveur de la partie innocente. Le bon sens l’exigeait autant que la justice. Mais comme toujours l’Église, à laquelle ses propres dignitaires présentent l’idée juste, détourne la tête et adopte la fausse ! Constamment on la voit méconnaître le principe de justice. Est-ce que l’Église a le droit de faire une injustice à qui que ce soit, même sur une considération dogmatique ? De qui donc a-t-elle reçu le droit d’être injuste ? Qu’elle se décide donc enfin à appliquer au mariage le principe de justice au lieu du principe de grâce, et elle se montrera bien autrement infaillible qu’en décrétant l’injustice au nom de Dieu !

  1. Encore un sophisme ecclésiastique dont aucun ecclésiastique ne se rend compte. On comprendrait que sous la théorie du prêtre seul ministre du sacrement et opérant par sa bénédiction l’union conjugale, on pût prétendre que Dieu unissait les conjoints. Mais sous la théorie moderne : que ce sont les conjoints eux-mêmes qui produisent le sacrement, qui se l’administrent à eux-mêmes — non pas l’un à l’autre, mais chacun d’eux à lui-même, voilà où le talent ecclésiastique a su aboutir — ce n’est donc plus Dieu qui les unit par le ministère du prêtre. Ils s’unissent eux-mêmes et par eux-mêmes, sans le moindre rapport avec la prétendue action divine puisque le prêtre n’est plus là comme ministre du sacrement. Quand on a eu décidé que le prêtre n’était pas ministre du sacrement de mariage — quand il l’est de tous les autres — le mot Quod Deus conjunxit cessait d’être applicable. Et on ne s’est pas aperçu, à Trente, de la grosse inadvertance que l’on commettait en continuant de l’appliquer ! Et c’est toujours ainsi. Le système trébuche à tout instant sur les plus risibles inadvertances. Pourquoi ? Parce que la foi qui ne raisonne pas fausse fatalement l’esprit.