Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/35

XXXV


Veut-on un exemple frappant de la déraison ecclésiastique en tout ordre d’idées ? Jusque vers le milieu du siècle actuel, ou au moins pendant tout son premier tiers, les sacrements et la sépulture ecclésiastique étaient refusés en France aux comédiens français. Et, chose particulièrement bizarre ! elle n’était pas refusée aux comédiens italiens résidant en France. Mais on allait plus loin encore. On refusait de les marier. Ils étaient excommuniés parce que leur vie n’était pas jugée régulière et quand ils voulaient la régulariser en se mariant on les envoyait se promener.

— « Je désirerais me marier pour vivre moralement », disait le comédien à l’Église.

— « Je ne vous le permettrai pas », répondait la grande gardienne de la morale.

Or le mariage civil n’existait pas avant 89. Impossible donc au comédien français de se constituer régulièrement un ménage et une famille ! Il prenait donc une maîtresse. Et l’Église qui voyait un si grand nombre de ses prêtres ne pas se refuser la concubine, trouvait abominable que le comédien eût une maîtresse ! Telle est la logique pratique du prêtre.

On n’a pas encore oublié les graves émeutes qui eurent lieu sous Louis XVIII à propos des funérailles de la grande actrice Mlle Raucourt. Le peuple qui suivait le char funèbre entendant refuser l’admission du corps dans l’église Saint-Roch, força les grilles et entra le corps. Les prêtres bons pasteurs refusèrent de dire quelques prières sur ce cercueil. Voyant quelles conséquences l’opiniâtreté des prêtres de Saint-Roch pouvait produire, Louis XVIII envoya son propre aumônier prier pour la pécheresse et réciter les prières refusées. On n’osa pas empêcher l’aumônier du roi de prier Dieu pour la grande comédienne.

Il semble aux gens sensés que quand quelqu’un a mené une vie irrégulière il a encore plus besoin de prières que les autres dans le système. Mais non ! Les bons pasteurs l’envoient amicalement à Satan. Comme il doit les aimer !

Il est bien clair que laisser l’état civil au clergé c’est exposer nombre de gens à toutes les avanies.

Quels cris et quelles fureurs dans les premiers temps du mariage civil, surtout sous la dévote Restauration ! C’était une impiété, un concubinage, une infamie, une prostitution, le mot a été dit. Le prince de Croy, archevêque de Rouen, fait afficher à la porte des églises les noms des personnes qui n’accomplissent pas leurs devoirs religieux et aussi ceux des concubinaires. Or ces concubinaires étaient ceux qui n’étaient mariés que civilement. Et un gouvernement bien confessé laissait ainsi insulter ceux qui avaient agi sous la sauvegarde de la loi.

Rendez aujourd’hui à l’Église les privilèges insensés qu’elle a réussi de siècle en siècle à arracher à l’autorité civile bien confessée, et les mêmes faits d’arrogance et de fanatisme deviendront de nouveau le pain quotidien des sociétés courbées sous le joug sacerdotal.

Le Croy de Rouen aurait peut-être dû songer à son ancêtre du XVe siècle, le Croy de Cambrai, dont il était archevêque et qui, ayant partagé ses biens entre ses nombreux enfants, avait réservé une somme assez ronde pour ceux qui pourraient survenir après sa mort ! Sainte prévoyance !

Aujourd’hui encore partout où le prêtre est officier de l’état civil il faut que les gens subissent tous les caprices hiérarchiques et souvent toutes les arrogances individuelles.

Ainsi on refusera, comme aux États-Unis, comme au Canada, de baptiser un enfant si parmi des noms de saints on glisse un nom de famille. En Belgique, où pourtant l’état civil a été ôté au clergé, il se trouvera des prêtres qui refuseront de baptiser l’enfant d’un père qui reçoit des journaux libéraux ou qui envoie ses enfants aux écoles communales.

On refusera encore de marier celui qui ne veut pas aller à confesse. On lui fera quelquefois des questions impertinentes sur ses rapports avec sa fiancée. Si elle est sa parente on lui dira que l’Église exige une raison pour permettre pareil mariage. Et s’il répond : « Mais ma raison c’est que je l’aime », on lui dira qu’il en faut une autre, que l’Église l’exige. La bonne raison ne suffit pas à celle-ci, il lui en faut une mauvaise par dessus le marché.

Si les deux fiancés résident par hasard dans la même maison on exigera que l’un d’eux aille demeurer ailleurs pendant tout le temps qui s’écoulera entre le premier ban et le mariage. Le concile de Trente ne fait que conseiller cela mais partout où il se sent fort le prêtre l’exige. Je ne parle ici que de choses qui se sont passées à ma connaissance personnelle.

Et puis souvent le prêtre se permet de marier les filles mineures à l’insu ou même contre le gré des parents. Les prêtres catholiques le font tous les jours aux États-Unis s’ils craignent qu’une jeune fille ne se marie avec un protestant. Alors tout est mis en œuvre pour l’influencer, et si on craint que les parents n’approuvent pas une alliance arrangée au confessionnal, on précipite les choses. Si les parents hasardent une observation, on leur répond par le grand mot : « J’ai fait mon devoir. » Si le père est un de ceux qui vont à confesse, on le pacifie sans trop de difficulté. S’il menace de poursuivre en justice, on lui dit carrément qu’il sera excommunié pour oser citer un prêtre devant un tribunal civil. Je parle ici particulièrement de ce qui se passe entre prêtres et catholiques irlandais. On n’a aucune idée de la brutalité des prêtres irlandais à l’égard de leurs paroissiens. Souvent ils les mènent avec le poing, les femmes comme les hommes. J’ai vu un évêque trembler de colère parce qu’un tribunal civil l’avait condamné à payer des dommages-intérêts à un père dont il avait fait marier la fille mineure par un de ses prêtres quoiqu’il sût que le père était opposé au mariage. L’évêque se croit toujours au-dessus des lois, parce que, dans son esprit, les articles de discipline du concile de Trente nullifient de plein droit la loi civile. L’Église étant souveraine au temporel comme au spirituel son représentant n’a pas à tenir compte de la loi. Et quels cris quand on met les saintes gens à la raison !

En 1831, en Belgique, pendant la tenue du congrès qui a préparé la constitution, les prêtres belges s’étaient mis à marier les jeunes gens mineurs malgré l’opposition des parents. Le clergé voulait par là prendre position contre la société civile et faire admettre le droit antérieur et supérieur de l’Église sur toutes les questions matrimoniales. Le congrès mit bon ordre à ces arrogantes exigences et le clergé n’osa pas soulever de conflit. Il est bien clair que laisser l’état civil sous le contrôle de gens qui ne reconnaissent aux autres que le droit de leur obéir c’est soumettre ceux qu’il faut baptiser, marier ou enterrer, à toutes les arrogances. Vous ne pouvez pas même discuter posément ces questions avec nombre d’entre eux. Contestez le moins du monde ce qu’ils qualifient, quelquefois avec la plus naïve ignorance, de droits sacrés de l’Église, et le mot injurieux vient de suite.

Est-ce vraiment une loi impie celle qui protège ou consacre le droit du père sur son enfant, ou la liberté de conscience chez ceux qu’il faut marier ou enterrer ? L’impiété ne serait-elle pas, par hasard, chez ceux qui violent la conscience des autres et les droits du père de famille ?

Au reste toutes ces prétentions insensées de l’orgueil ecclésiastique venaient des habitudes arbitraires du pouvoir temporel dans l’état romain. On y mariait fréquemment les jeunes gens et les jeunes filles contre le gré des parents. Le prêtre étant le supérieur ecclésiastique du père décidait souverainement des cas, et si le père protestait trop fort, on le mettait en prison sur le principe qu’il devait obéissance à son prêtre approuvé. Et toujours zélés protecteurs des droits du père de famille ? On n’a pas d’idée des injustices criantes qui se commettaient journellement dans cet état romain que les prêtres gouvernaient comme un supérieur administre son couvent ou son collège.