Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/19

XIX


Telles me paraissent avoir été les hautes raisons de discrétion spirituelle qui ont amené la modification fondamentale introduite dans la définition et l’administration du sacrement de mariage. Voilà comment on a habilement préparé, très adroitement arrangé, il faut le dire, la volte-face qu’il fallait bien faire pour passer, sans avoir l’air d’y toucher, du principe — sensé dans le système — du prêtre ministre du sacrement au principe moderne — faux dans le système — des conjoints seuls auteurs, producteurs et administrateurs du sacrement de mariage.

On peut donc dire aujourd’hui en toute vérité que les six autres sacrements sont de vrais sacrements ecclésiastiques puisque ce sont les ecclésiastiques qui les produisent et peuvent seuls les administrer, pendant que le mariage n’est plus à toutes fins que de droit qu’un pauvre petit malheureux sacrement laïque, bien humble à côté des autres puisque ce sont les laïcs qui en sont les auteurs et se l’administrent à eux-mêmes sans que le prêtre, — et par suite le bon Dieu dans le système — y soit pour rien.

Qu’on vienne dire à présent, qu’il n’y a pas de progrès dans l’Église ! Elle a remanié, refondu, métamorphosé un sacrement du tout au tout en affirmant bien qu’il n’y a rien de changé parce qu’elle prononce encore, mais illégitimement, le conjungo, et elle excommunie plus que jamais ceux qui voient de leurs yeux que ce qui était blanc est devenu noir !

En toute franchise, cher P. Didon, où est la plus belle naïveté ?

Et remarquons que chez le maire et les conjoints qui se croient mariés devant lui il ne peut y avoir au pis aller que naïveté, ce qui n’est pas un crime, pendant que chez le prêtre il y a tromperie parfaitement calculée ce qui n’est clairement pas une vertu.

Chose étonnante ! Ces gens qui ont la prétention de régir seuls, de par leur infaillibilité, le monde instruit comme le monde ignorant, n’ont jamais la perception nette des conséquences des principes qu’ils posent. « Le fidèle qui se marie est auteur et administrateur à lui-même du sacrement de mariage. » Il n’y a donc pas d’acte spécial et visible de l’administration et de la réception du sacrement. On ne voit rien. Le sacrement surgit d’une manière aussi incompréhensible qu’invisible. Dans tous les sacrements c’est la grâce qui est invisible. Dans le mariage c’est le sacrement lui-même. Peut-être a-t-on cru, qui sait, que les prétendus producteurs du sacrement devaient le sentir en eux-mêmes comme le bon Pie ix sentait son infaillibilité.

Il a donc enfin fallu s’apercevoir qu’il n’y avait que du simple droit naturel là où on avait fourré le droit divin par pur orgueil ecclésiastique et avant d’avoir compris la question. Mais on n’a pas voulu avouer l’erreur et on a continué d’affirmer qu’il y avait sacrement là où on n’en pouvait montrer parcelle. Et puis on vient nous parler ironiquement des naïvetés laïques — ou pailles dans l’œil d’autrui — précisément alors que l’on a recours à toutes les saintes ruses pour cacher ses propres adresses et ses petites jésuiteries — ou poutres dans son propre œil.

Maintenant le prêtre ayant éliminé lui-même tout droit divin du mariage puisque l’absence de bénédiction n’affecte plus sa validité ; le prêtre ayant mis de côté les anciennes dispositions et refait son sacrement puisqu’il n’offre plus les trois caractères essentiels d’un sacrement, le lecteur peut apprécier à sa juste valeur la sincérité de ces illustres chrétiens au ton rogue et aux saintes fureurs qui traitent de concubinage et de débauche le mariage devant l’officier civil quand le prêtre, de son propre aveu, fait beaucoup moins que l’officier civil puisqu’il n’enregistre même pas le mariage.

Comment ! il se targue d’avoir sanctifié le mariage et il en a retranché la bénédiction et toute cérémonie religieuse ad hoc !

Le sacrement logé dans le seul consentement des parties n’est clairement plus un sacrement.

Il ne reste donc plus de toute la sainte tactique que la colossale impertinence de représenter comme dignes de tous les anathèmes ceux qui étant les seuls auteurs, producteurs et ministres du sacrement. vont se l’administrer où cela leur convient.

Et j’en reviens encore une fois à cette précieuse information que nous donne le cardinal Gousset : que les notions ecclésiastiques actuelles sur le mariage ne sont que probables. Pourquoi alors tant d’injures contre ceux qui ne les regardent pas comme certaines ? Vous vous moquez donc des gens ?

Autrefois le prêtre était ministre du sacrement. Aujourd’hui il ne l’est plus. Si l’Église avait certainement raison autrefois, elle a certainement tort aujourd’hui. Elle ne peut avoir raison en même temps sur le oui et le non.

Il n’y a donc que sainte ignorance ou très peu sainte calomnie dans les chrétiennes injures que les jésuites de robe longue ou courte, ou encore les savants petits docteurs en escarpins qui pérorent dans les salons bien pensants, adressent du fond de leur incompétence ou de leur mauvaise foi à ceux qui profitent de la définition moderne de l’Église ou de ses canonistes pour aller s’administrer le sacrement qu’ils produisent par eux-mêmes hors de la présence du prêtre qui ne fait plus là que l’office de pion.

Quant à la généralité des femmes qui ne se croient pas mariées hors de la présence du prêtre, comme elles ne sont que trompées par leurs directeurs il est clair qu’il faut respecter leurs sentiments et leurs croyances et qu’il serait injuste de leur reprocher des idées créées chez elles par ceux en qui elles ont encore confiance. Il viendra certainement un temps où les contradictions de l’Église et l’insoutenabilité de ses prétentions finiront par ouvrir les yeux de tous.

Enfin il est une dernière chose que le talent ecclésiastique n’a pas encore vue : un fait réel dont il n’a pas encore su se rendre compte.

Puisque le sacrement gît dans le seul consentement des parties ; puisque la bénédiction, le conjungo et la messe n’ont plus rien à faire avec le sacrement de mariage ; puisque enfin le prêtre et la religion elle-même sont pratiquement bannis de ce sacrement dont les laïcs sont aujourd’hui les seuls auteurs et producteurs, il ne se fait donc plus, même devant le prêtre, que des mariages civils comme au temps de Calixte ii et d’Alexandre ii. Sûrement on ne prétendra pas que le mariage que j’ai cité plus haut de ces deux mineurs de Bruxelles ait été un mariage religieux. Le bon curé devant qui il s’est conclu à son parfait ahurissement n’a pas même eu le temps de songer à sa bénédiction ! Ce n’était donc pas un mariage sanctifié par l’Église. Rien n’a jamais été plus civil que ce mariage déclaré valide par l’autorité ecclésiastique. Malgré vos grandes colères et vos injures, on peut donc se passer de vous. Et vous l’admettez vous-mêmes en disant que c’est là un détail de discipline qu’il faut laisser ignorer aux fidèles, ce qui n’est pas précisément de la sincérité.

Franchement, cher P. Didon, où sont vraiment ceux qui mettent leur conscience dans leur poche ?