Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/17

XVII


Le R. Père rit sous cape de la naïveté de ceux qui vont passer un contrat devant le maire et encore plus de la naïveté de celui-ci qui croit avoir marié deux personnes. Le R. Père n’aurait pas dû oublier que le maire ne prétend légalement à autre chose que d’être le témoin officiel chargé d’enregistrer un mariage, exactement comme le prêtre est le témoin officiel de l’Église mais n’enregistrant rien du tout.

Mais puisque le R. Père parle de naïveté voyons donc un peu si elle ne serait pas ici plutôt chez lui que chez nous.

« Le prêtre n’est que témoin », dit-il. « Il ne marie pas car ce sont les conjoints qui sont ministres du sacrement. » Alors, comment ose-t-il prononcer l’ego conjungo ? N’est-ce pas le plus parfait non sens puisqu’il ne marie pas plus que l’officier civil ? Le législateur, qui s’est toujours rendu philosophiquement compte de ses actes — ce dont l’Église s’exempte au nom de son infaillibilité, — le législateur s’est bien donné garde de tomber dans cette charmante bourde de l’orgueil ecclésiastique. Et si les théologiens pouvaient jamais se mettre un peu de logique laïque dans l’esprit, ne devaient-ils pas conseiller l’abandon du conjungo dès qu’ils privaient le prêtre de son ancienne qualité de ministre du sacrement ?

Encore ici où est la naïveté ? Et peut-être quelque chose de pis !

Autre naïveté, de très belle encolure aussi.

Le maire croit marier deux personnes. C’est un naïf, presque un imbécile. Et ceux qui ont recours à lui le sont autant que lui.

Mais avant les illuminations reçues tout à la fois et des Réformés et des légistes modernes, le prêtre prétendait bien, lui, marier les parties de par sa mission spirituelle. Eh bien il a abandonné cette prétention et il s’est diminué lui-même au rôle de témoin d’un acte dont il était autrefois le ministre. Que devrait-il résulter de cette modification de son rôle dans le mariage ? Évidemment que l’on devrait pouvoir, comme au temps de Justinien, comme au temps de son contemporain Childebert, et même comme au temps de Calixte ii et Alexandre ii, se marier sans lui comme témoin, puisque c’est le pouvoir civil qui lui a permis d’assister comme tel à un mariage. Il n’y a ici que la logique du bon sens. Mais cette logique-là ne peut convenir au prêtre qui ne peut accueillir le bon sens qu’à coups de bâton puisque tout son système en est la violation. Aussi que vient-il nous dire ? « Je ne suis plus ministre du sacrement, ce sont les conjoints qui le sont eux-mêmes, mais il n’existe pas de mariage hors de ma présence. » En d’autres termes : « Je vous substitue à moi comme ministres du sacrement, mais je n’en agis pas moins toujours comme si je n’avais pas fait cette substitution. » C’est tout simplement renoncer de bouche à une qualité et la garder de fait. Or donner et retenir ne vaut. Et il est parfaitement clair, en logique laïque, que le prêtre ne peut être nécessaire au mariage qu’en sa qualité de ministre du sacrement et jamais comme témoin, qualité qui ne découle pas essentiellement de sa mission — dans le système — comme celle de ministre du sacrement. Il y a donc toujours dans les actes du clergé relatifs au mariage une pensée de derrière la tête. Et ici cette pensée était de maintenir ostensiblement la suprématie de l’Église en conservant le conjungo auquel le prêtre n’avait plus le moindre droit dès qu’il ne se disait plus ministre du sacrement. Il a fait ici ce qu’il faisait autrefois à propos du prêt à intérêt : parler d’une manière et agir d’une autre. Quand il était rigoureusement défendu d’accepter le plus minime intérêt pour une somme d’argent prêtée, les papes avaient leurs banquiers attitrés à Rome et ailleurs, qui prêtaient à des intérêts énormes, et sans être inquiétés, les sommes dont les gens avaient besoin pour acheter des bénéfices dont la vente constituait un crime dans le système. C’était bien là parler d’une manière et agir d’une autre. Même mépris de tous les principes sur plusieurs autres sujets. Il est défendu de tuer un homme mais il était permis de tuer l’hérétique à l’intention de l’Église. Il est défendu de voler, mais on pouvait, sur permission du pape, — qui n’avait pas le droit de la donner, — s’emparer des biens d’un hérétique.

Voilà comment l’Église disait noir et blanc sur les mêmes questions en violant toutes les règles de la morale.

Adoptant la même tactique sur la question du prêtre ministre du sacrement l’Église a déplacé celui-ci, s’est mise en contradiction avec elle-même, puis elle n’en affirme pas moins que le législateur mérite l’enfer parce qu’il s’est aperçu qu’elle avait modifié son sacrement du tout au tout.

Sûrement, quand les canonistes donnent au xixe siècle des définitions toutes différentes de celles qu’ils donnaient du xiie au xvie, il est difficile d’admettre qu’ils soient d’accord.