Imprimerie de l'Indépendance (p. 167-175).

CHAPITRE XVII

Pendant ce temps, Théophile Laplanté qui ignorait encore les plans savants que son père et M. Bernier étaient en train de combiner pour son bonheur, était très occupé à assiéger le cœur d’une gentille fillette qui s’était montrée jusqu’alors rebelle à ses plus douces avances, ce qui avait bien irrité le jeune homme vaniteux, non pas qu’il aimait sérieusement Elisabeth Grenier, la jeune fille en question, mais il se sentait piqué au jeu, et il était résolu de gagner la partie.

Il était dans ces dispositions d’esprit quand son père le fit demander un beau soir.

— Qu’est-ce qu’il peut bien me vouloir, le vieux ? pensait-il, car comme la plupart des enfants gâtés, il n’était rien moins que respectueux, envers ses parents.

Il le sut bientôt.

— Dis donc, mon garçon, lui dit son pore sans préambule. Est-ce que tu ne vas pas songer bientôt à te marier ?

A cette question, le beau Théohpile resta tout abasourdi, car le mariage était une chose à laquelle il n’avait jamais songé sérieusement.

— Me marier ! et avec qui ?

— Mais avec la petite Bernier, comme de raison. N’est-elle pas assez belle et assez riche pour toi ?

— Oh, pour cela, oui ! Mais elle ne voudrait pas de moi, peut-être, ajouta-t-il avec un faux air de modestie, et le père ne serait peut-être pas consentant, non plus.

— Tant qu’au père, c’est lui-même qui m’en a parlé le premier, et il m’a assuré que Marie-Louise te trouvait de son goût.

— Alors, pourquoi fait-elle la fière avec moi ? ne put s’empêcher de dire le jeune homme.

— Mais, c’est bien simple. Comment veux tu qu’elle montre sa préférence pour toi, quand tu t’amuses à faire la cour à toutes les tilles du village. Elle est jalouse, quoi !

— C’est bien possible, cela.

— C’est la pure vérité. Dans tous les cas, son père doit le savoir mieux que n’importe qui, il me semble.

— C’est bien sûr. — Mais tu ne m’as pas répondu, pourtant. Ce mariage là te conviendrait-il, oui ou non ?

— Il me conviendrait assez bien.

— Je n’en demande pas plus. Alors, je pourrai arranger les affaires avec le père Bernier ?

— Oui, mon père.

— Je t’assure que tu me fait bien plaisir en consentant si facilement à mon projet. Je m’attendais à quelques résistances de ta part.

— Il faudrait que je fusse bien bête pour refuser le meilleur parti du village.

— C’est bien certain, mais tu es un garçon d’esprit, je le sais, dit le bon père avec satisfaction, et la conversation en resta là.

— Mais si le soit-disant futur époux, était satisfait de l’arrangement que les deux pères avaient conclu ensemble, il n’en était pas ainsi de celle qu’on lui destinait.

Les conseils que sa mère lui avait donnés étaient restés gravés dans son esprit, et elle était bien résolue de ne pas consentir au mariage que son père voulait lui imposer.

Malheureusement, elle avait affaire a plus fort qu’elle.

M. Bernier, retrouvant son ancien entêtement, était décidé à se servir de tous les moyens pour imposer sa volonté à sa fille.

Il l’aimait pourtant ; il l’aimait peut-être mieux qu’il n’avait jamais aimé aucune autre créature, mais il ne pouvait souffrir de résistance, même de la part de ceux qu’il aimait le plus.

De plus, la pensée que Théophile Laplante déplaisait à sa femme, l’encourageait davantage à avoir ce jeune homme pour gendre.

En acteur consommé il savait changer de rôle à volonté.

Un jour il affectait un air triste et malheureux. Il ne mangeait pas, il parlait peu, et tout dans sa démarche annonçait un homme abattu par le chagrin.

Il réussissait si bien à attendrir Marie-Louise que celle-ci se sentait prête alors, à lui annoncer qu’elle consentait à accepter l’époux qu’il lui destinait.

Heureusement que sa mère veillait sur elle.

— Ma fille, lui disait-elle, ton père a du chagrin, en effet, mais son chagrin passera, et bientôt peut-être, tandis que le tien ne passera jamais, si tu épouses un homme que tu ne peux aimer. Après tout, ton père n’a pas sujet d’être malheureux pour une affaire, de ce genre.

Je comprendrais son chagrin si tu épousais un homme qui lui déplairait, mais il n’en mourra pas d’être privé d’un gendre aussi ordinaire que ce Théophile Laplante.

La saine logique de Mde Bernier réussissait ordinairement à consoler sa fille.

Mais ce qu’elle ne pouvait dissiper, c’était la terreur pleine de remords que la pauvre enfant éprouvait quand son père, prenant un air sévère et terrible, la menaçait de tous les malédictions et de tous les châtiments que le Seigneur réserve aux enfants ingrats envers leurs parents.

À chacune de ces scènes violentes, il semblait à Marie-Louise qu’elle allait perdre la raison.

Aussi sa santé commençait-elle à s’altérer, ses joues roses devenaient pâles, ses beaux yeux bleus se creusaient et se cernaient, et le sourire semblait avoir quitté ses lèvres pour ne plus y reparaître.

Mais dans son entêtement brutal Bernier ne semblait pas voir qu’il faisait mourir sa fille.

Mais Mde Bernier s’en apercevait bien, elle, et la pauvre femme devenait de plus en plus désespérée, car elle ne savait que faire.

Cependant Bernier commençait à s’impatienter de ne pouvoir vaincre la résistance de cette enfant, si faible en apparence.

Il se doutait bien que Mde Bernier encourageait Marie-Louise à ne pas céder, mais il n’osait pas s’attaquer à la première, car il se sentait toujours subjugué et mal à l’aise en sa présence.

Il n’osait pas non plus parler contre elle à sa fille, car il pressentait que Marie-Louise prendrait la part de sa mère dans le cas où il y aurait des difficultés entre les deux.

Quant à Marie-Louise, elle sentait bien, elle aussi, que sa santé s’altérait rapidement, mais la mort n’avait pas de terreur pour elle, au contraire.

— Je serais bienheureuse si je mourais, se disait-elle. La vie est trop lourde et j’en suis fatiguée.

Oh Joe ! mon amour ; pourquoi ne m’as-tu pas aimée comme je t’aimais ? Papa aurait consenti alors, à notre mariage, et j’aurais été si heureuse avec toi !

Il y avait déjà plusieurs semaines que M. Bernier avait fait les premières ouvertures auprès du père de Théophile, quand le bonhomme vint le trouver, une après-midi pour s’informer d’où en étaient les affaires.

— Avez-vous parlé à votre fille, dit-il. Moi j’ai parlé à mon garçon, et il est aux anges.

— Tant mieux ! J’ai parlé, moi aussi à ma fille, et elle ne m’a pas caché qu’elle préférait Théophile à tous les autres jeunes gens qu’elle connaissait. Cependant, comme tous les jeunes filles, elle hésite un peu avant de s’engager définitivement.

— Oh, je comprends cela. Dans tous les cas, nous ne sommes pas absolument pressés.

On ne doit jamais trop hâter ces choses là. Il faut donner à ces jeunes gens le temps de réfléchir avant de s’engager pour la vie.

— Vous avez bien raison, père Laplante.

Mais à part des hésitations assez naturelles de Marie-Louise, il y a une autre chose qui me tracasse parfois.

— Quoi donc ? Vous m’inquiétez :

— Ma femme ne veut pas entendre parler de marier sa fille. Elle veut la garder auprès d’elle, à ce qu’elle dit.

— Mais c’est ridicule, cela. Vouloir faire une vieille fille de cette charmante enfant. Et pourquoi, cela ? A-t-elle une raison au moins ?

— Non, elle ne semble pas en avoir de définie. Je ne sais pas ce qu’elle a, ma femme, depuis quelques temps. Elle, toujours si raisonnable, si sage, semble devenir de plus en plus capricieuse et revêche.

— C’est bien étrange, vraiment. Elle n’est pourtant pas âgée, votre femme. Elle ne doit guère dépasser la quarantaine.

— Elle a justement quarante et un ans. Non, ce n’est pas l’âge qui l’affecte bien certainement, car elle est encore jeune.

— Dans tous les cas, puisque Marie-Louise aime mon garçon, nous pourrons toujours les fiancer.

— Je le désirerais bien et je vais faire mon possible pour convaincre Marie-Louise qu’elle n’est pas tenue d’écouter sa mère dans cette affaire.

Quand le bonhomme Laplante fut parti, Bernier se mit à réfléchir profondément.

Il commençait à se sentir embarrassé et indécis, car il comprenait bien que les choses ne pouvaient marcher bien longtemps de ce train.

— Il faut que Marie-Louise consente, se dit-il avec rage, et il faut que sa mère la laisse tranquille, enfin. C’est elle qui a fait échouer mon projet jusqu’à ce jour. Quelle prenne garde, ou je saurai me venger.

En ce moment. Marie-Louise entra dans le salon.

Elle était pâle et triste, mais calme.

Sans remarquer son père qui était assis dans un coin obscur, elle se mit au piano, et commença à jouer un air doux et plaintif.

Bernier qui écoutait sans rien dire, se rappela que Joe Allard avait chanté cet air plusieurs fois.

— Elle pense encore à ce misérable, se dit-il avec une colère toujours grandissante, et ne pouvant se contenir plus longtemps, il dit brusquement, d’une voix qui fit tressaillir la jeune fille.

— Marie-Louise !

— Que voulez-vous ? mon père, dit-elle en se remettant

— Je veux une réponse définitive. Je veux que tu consentes à épouser Théophile Laplante.

— Je resterai fille toute ma vie, si vous le voulez, mon père, mais je n’épouserai pas ce jeune homme ; je vous l’ai déjà dit.

Suffoquant de rage, le père s’écria.

— Si tu ne l’épouses pas je te maudirai, et il semblait près à s’élancer pour anéantir cette enfant qui lui parlait d’un ton si calme et pourtant si ferme.

— Effrayée comme elle ne l’avait jamais été de sa vie, Marie-Louise s’échappa du salon et courut se réfugier dans la chambre de sa mère qui se leva toute tremblante en voyant sa fille entrer aussi subitement.

— Qu’as-tu donc, ma fille ? es-tu malade ? demanda-t-elle avec une inquiétude mortelle.

— Papa vient de me menacer de me maudire, si je n’épouse pas Théophile.

Elle n’en put dire plus long. Se sentant suffoquée elle s’approcha de la fenêtre ouverte pour respirer mieux. Au même instant, elle porta vivement son mouchoir à sa bouche et quand elle l’en retira, il était tout taché de sang.

— Mon Dieu ! ayez pitié de nous, s’écria Mde Bernier. Ce misérable va la tuer !

Marie-Louise essaya de rassurer sa mère par tous les moyens, mais elle ne réussit pas.

— Écoutez, maman, dit-elle, enfin. Je vous assure que j’aimerais mieux mourir que d’épouser Théophile, et si je meurs, mon père ne pourra pas me maudire.

Dans son trouble, Mde Bernier ne songeait pas à appeler personne, ni à faire demander un médecin. À la vérité, elle sentait si bien que c’était le chagrin et les soucis qui tuaient sa fille, qu’elle trouvait inutile de chercher à la soulager autrement qu’en ôtant de son esprit les craintes qui la rendaient si malheureuse.

Cependant se sentant faible et brisée, la jeune fille s’était jetée sur le lit de sa mère.

— Écoute ma chérie, dit alors Mde Bernier. Je vais tenter une démarche qui réussira peut-être à prévenir tous les malheurs qui nous menacent. Reste ici, toi, et attends-moi.

J’aurai peut-être de bonnes nouvelles à t’annoncer à mon retour.

Sans prendre le temps de mettre un chapeau et un manteau, elle saisit un grand châle de laine, le jeta sur sa tête et ses épaules, et sortit de la maison sans avoir été observée de personne.

Une fois sur la route, elle prit le chemin de la demeure des Laplante qui se trouvaient bien à un quart d’heure de marche.

Elle était si troublée et si absorbée dans ses pensées, qu’elle ne remarquait pas que sa présence sur la route, avec un simple châle sur la tête, elle qui ne sortait ordinairement qu’en voiture et en toilette soignée, attirait l’attention de tous les gens du village.

— Que se passe-t-il donc chez M. Bernier, se demandait-on, et les commérages allaient leur train comme on le pense bien.

Enfin, elle arriva chez le père Laplante.

En la voyant entrer ainsi, pâle haletante, et les cheveux en désordre, sous le châle qui lui couvrait la tête, Mde Laplante qui était debout sur son perron, faillit perdre la tête.

— Mais, Mde Bernier ! commença-t-elle, mais elle ne put achever, tant elle était consternée par cette étrange visite.

Le père Laplante, qui était près de là arriva aussitôt, et resta aussi stupéfait que sa femme.

— Je voudrais vous parler seul, M. Laplante, dit Mde Bernier, d’une voix affaiblie par l’émotion et la marche rapide, et elle suivit le bonhomme qui entra machinalement au salon, n’étant pas encore revenu de sa surprise.

M. Laplante, commença-t-elle, quand la porte fut refermée. Je viens vous parler au sujet de ma fille. Elle n’aime pas votre garçon et elle ne veut pas consentir à l’épouser.

Cependant son père menace de la maudire, si elle ne fait pas sa volonté, et la pauvre enfant se meurt de frayeur et de chagrin.

Je sais que vous êtes un honnête homme, et je ne doute pas qu’en apprenant ces détails que mon mari n’a sans doute pas jugé à propos de vous raconter, vous retiriez la demande que vous avez faite pour votre fils, et je ne crois pas que ce dernier veuille consentir à épouser de force, une jeune fille qui ne veut pas de lui.

Voilà tout ce que j’avais à vous dire.

Je vous prie d’excuser l’étrangeté de ma visite ; dans un accès de désespoir ma fille est venue me trouver, et hors de moi-même je me suis décidée à venir vous voir sans attendre plus longtemps.

Pendant que la pauvre femme parlait, le père Laplante, qui était déjà rempli de préjugés contre elle à cause des paroles de M. Bernier qu’il se rappelait clairement, il se disait.

— Décidemment, elle est folle cette femme. Son mari ne sait pas ce qu’elle a depuis quelques temps, mais je le vois bien, moi.

Ne faut-il pas qu’elle soit folle pour ne pas vouloir d’un bon parti comme mon garçon pour sa fille. Et puis l’idée de venir ici, pendant qu’il fait encore clair, et qu’il commence déjà à faire froid, vêtue comme elle l’est et rien qu’avec un châle de laine sur la tête.

Ma femme n’est pas si fière qu’elle, mais elle ne sortirait pas attifée de cette manière pour bien de quoi, surtout pour marcher sur le chemin à la vue de tout le monde.

Il faut qu’elle soit folle.

Cependant, Mde Bernier avait fini de parler, et elle semblait attendre une réponse.

— Vous avez raison, ma bonne dame, dit aimablement le bonhomme, qui se flattait de savoir comment il fallait s’y prendre avec les fous.

— Oui, vous avez parfaitement raison, et je ferai comme vous dites.

— Dans ce cas je vais repartir dit sa visiteuse en s’enveloppant dans son châle qu’elle avait laissé tomber en rentrant dans le salon. Je crains qu’on ne soit étonnée de mon absence, à la maison, car je n’ai prévenu personne de mon départ.

— Permettez moi de ne pas vous laisser partir à pied, Mde Bernier. Dans une minute, ma voiture couverte va être à votre disposition et vous me permettrez de vous reconduire chez vous, je l’espère.

— Je ne veux pas vous donner cette peine, monsieur, dit poliment Mde Bernier.

— Ce n’est pas une peine, c’est un plaisir, je vous l’assure. Et puis, cela ne vous coûte-t-il pas de marcher ainsi sur la route en négligée comme vous l’êtes, sauf le respect que je vous dois ?

Mde Bernier qui sentait la justesse de cette observation, se décida à accepter l’offre qui lui était faite, et un quart d’heure plus tard elle monta dans la voiture couverte avec le bonhomme Laplante, qui se répétait en lui-même qu’il savait bien comment s’y prendre avec les fous.

M. Bernier qui ignorait la sortie de sa femme fut fort surpris en la voyant descendre de la voiture devant sa porte, avec l’aide de son ami.

— D’où venez-vous donc, Madame ? demanda-t-il sévèrement, et que signifie cette nouvelle folie ?

En prononçant ces paroles, une pensée diabolique traversa son esprit, et dut refléter dans ses yeux, car Mde Bernier se sentit défaillir sous ce regard dur et cruel.

— Mon Dieu ! ayez pitié de moi, dit-elle. Il veut me faire passer pour folle.

C’était en effet l’idée de son époux, idée qui lui était déjà venue à l’esprit, quand il s’était plaint à son ami de l’étrange conduite de sa femme.

Avec sa perspicacité ordinaire, il devinait le motif de cette visite subite et assez inconséquente à la vérité, et il voyait clairement le parti qu’il pouvait en tirer en cas de besoin.

Cependant, il se contenta pour le moment, de remercier le père Laplante de s’être ainsi dérangé, et prenant le bras de sa femme d’un air d’autorité, il la reconduisit à sa chambre en prenant soin de faire du bruit et de parler haut afin d’éveiller l’attention des deux servantes, qui accoururent de la cuisine pour voir ce qui se passait.

C’était précisément ce que voulait Bernier.

Cependant, il feignit de leur lancer un regard courroucé, comme si leur curiosité lui eut beaucoup déplu.

Marie-Louise était restée endormie sur le lit de sa mère.

Elle se réveilla en sursaut en entendant ouvrir la porte de la chambre et, en voyant sa mère pâle et défaite, elle voulut s’élancer vers elle, mais son père la saisit brusquement par le bras et l’entraîna hors de la chambre dont il referma la porte avec fracas.

Il entraîna sa fille dans un des salons donnant sur le jardin, et là, il lui dit d’une voix dure et méchante.

— Ta mère est folle ; j’en ai la preuve ; et si tu ne consens pas à épouser l’homme que je t’ai choisi, je la ferai mettre à l’asile pour te punir de ton obstination.

Je te donne dix minutes pour te décider.

Marie-Louise, prise d’épouvante regarda son père, comme si elle n’eut pas compris le sens de ses paroles.

— Je te dis que ta mère est folle ! répéta-t-il, et que je la ferai mettre à l’asile, si tu ne consens pas à m’obéir.

— Mon père, je vous en supplie, ne me faites pas épouser Théophile Laplante ; je ne peux pas ! je ne veux pas !

— Alors ta mère ira à l’asile.

— Elle n’est pas folle, mon père ; vous savez quelle n’est pas folle, tout le monde le sait, personne ne vous croira.

— Tout le monde me croira, au contraire, à commencer par le bonhomme Laplante et les deux servantes. Elle vient de courir comme une folle chez les Laplante avec son peignoir et un châle sur la tête. Tout le village a dû la voir passer, et personne ne sera étonné d’apprendre qu’elle a perdu la raison, après cette équipée. Quand même, qui osera m’accuser de ne pas dire la vérité, moi l’homme le plus honorable et le plus estimé du village. Pour un cent piastres je trouverai bien un médecin qui dira comme moi.

— Mon Dieu, ayez pitié de nous ! s’écria la pauvre enfant dans son désespoir.

— Tu feras mieux de faire ce que je te commande plutôt que de te recommander au bon Dieu qui ne t’aidera pas bien certain.

— Je déteste Théophile ! Je le méprise l Oh ! mon père, ne me forcez pas à l’épouser.

— Je sais qui t’empêche d’aimer Théophile ; c’est ce misérable Joe Allard, ce mendiant qui voulait t’épouser pour ta dot.

En ce moment une lumière soudaine se fit dans l’esprit de Marie-Louise, au sujet de Joe.

Comprenant pour la première fois le véritable caractère de son père, elle sentit qu’il avait dû la tromper en lui parlant de celui qu’elle aimait. Elle répondit donc hardiment.

— Oui, je l’aime ; je l’ai toujours aimé, et je crois sincèrement que vous m’avez trompée en me disant qu’il ne m’aimait pas pour moi-même.

Écumant de rage à cette franche accusation, Bernier s’écria hors de lui.

— Eh bien ! fille maudite, va le rejoindre, puisque tu l’aimes, mais ta mère ira à l’asile. Je l’y ferai mettre demain.

— Non, mon oncle ! dit une voix grave et sonore, qui fit tressaillir Marie-Louise.

Vous ne ferez pas cela !

Et au même instant, Joe Allard, car c’était lui, entra par la fenêtre qui donnait sur le jardin, et vint se placer près de sa bien-aimée, comme pour la protéger.