Imprimerie de l'Indépendance (p. 3-4).

AVANT-PROPOS


Depuis quelque temps des productions françaises de bas étage, ne se recommandant certes pas par la forme, encore moins par la morale, mais qui, grâce à leurs prix modiques, gagnent peu à peu l’accès de toutes les classes de la société, prennent une vogue de plus en plus alarmante.

Rien de vrai, de beau, de saint et de noble dans cette littérature malsaine.

Les héros sont assez souvent de vulgaires malfaiteurs, qui entassent crimes sur crimes, pendant le cours du récit, jusques au jour où, traqués par des policiers à l’intelligence surhumaine, ils terminent leur ignoble carrière sur l’échafaud avec un cynisme révoltant qui n’a rien d’édifiant pour le lecteur.

Quant aux héroïnes, elles sont pour la plupart des femmes de mauvaise vie, dont l’auteur détaille les faits et gestes avec une précision digne d’un meilleur usage.

Les épouses les plus vertueuses ont ordinairement une faute de jeunesse à se reprocher, et les jeunes filles honnêtes sont d’une fadeur et d’une bêtise extrêmes, sans doute pour mieux contraster avec les courtisanes qui sont toujours représentées comme des modèles de grâce et d’esprit irrésistible.

Cette littérature immonde ne peut que démoraliser et abrutir l’esprit de ses lecteurs.

Et, pourtant, on admet ces romans-feuilletons au sein de familles honnêtes et pieuses.

Il ne manque pas de propagateurs enthousiastes de cette littérature pernicieuse.

Il y a peu d’années encore, la classe illettrée prêtait une signification tout à fait scabreuse au mot roman. Aujourd’hui ces préjugés ont presque entièrement disparu, mais hélas ! on est tombé de Charybde en Sylla.

Un bon moyen de combattre l’influence de ces romans serait peut être d’offrir, à leur place, des productions canadiennes se rattachant à nos mœurs, à notre histoire et qui, si elles ne sont pas toujours des chefs-d’œuvre, ne contiennent néanmoins rien de préjudiciable à la morale, ou n’excluent pas totalement l’idée de Dieu.

Faisons aimer davantage à la génération qui croît — génération plus ou moins exposée à l’absorption de la race anglo-saxonne — les traditions et les coutumes de nos pères.

Mme Duval-Thibault

Fall River, Mass. E. U. Déc. 1888.