Imprimerie de l'Indépendance (p. 5-7).

LES
Deux Testaments

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PREMIÈRE PARTIE
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LA VEUVE ET L’ORPHELIN

CHAPITRE I.


— Ainsi donc, Maria, il n’y a plus d’espoir pour nous ?

Celui qui prononçait ces mots était un beau jeune homme au visage franc et sympathique. Sa voix était troublée et l’expression de sa physionomie annonçait la tristesse et le découragement.

La jeune fille à laquelle il s’était adressé garda le silence. Elle aussi semblait triste et découragée.

Les gais rayons du soleil de juin, se glissant à travers les pensionnes à demi fermées, se jouaient sur les meubles et le tapis du petit salon où se trouvaient les deux jeunes gens ; une brise fraîche, au souffle doux et caressant, une de ces brises printanières qui font rêver à l’on ne sait quoi, entrait de temps en temps par la fenêtre ; un gentil serin s’agitait joyeusement dans sa petite cage en chantant, tout comme les libres oiseaux des bois, un hymne au beau printemps. On entendait les voix animées des enfants qui jouaient dans la rue ; enfin il semblait que tout fut joyeux ce jour là, à l’exception des deux jeunes gens qui continuaient à garder un silence sombre, occupés qu’ils étaient de leurs tristes pensées.

Xavier LeClerc, c’était le nom du jeune homme, levant enfin les yeux sur celle qu’il aimait, vit deux grosses larmes qui coulaient lentement sur ses joues roses.

À cette vue, il ne put se contenir plus longtemps.

— Maria, dit-il, en se rapprochant d’elle et en prenant ses mains qu’il serra doucement dans les siennes, Maria, ma bien aimée, je vous en supplie, consolez-vous ! Cela me brise le cœur de vous voir pleurer.

Après une pause, il reprit.

— Je vais faire une nouvelle tentative auprès de votre père ; je lui dirai que je suis disposé à attendre deux ou trois ans, s’il le faut. Pendant ce temps, je ferai mon possible pour améliorer ma position ; je ferai des économies ; je pourrais même aller tenter la fortune aux États Unis, si je vois que je ne réussis pas ici.

Mais mon patron est bon et juste ; il m’estime bien et il a promis d’augmenter mes gages, l’année prochaine. Le destin peut aussi amener des changements, en attendant. Si deux ou trois des anciens commis partaient pour une raison ou pour une autre, cela m’avancerait beaucoup. Je gagnerais, alors, un salaire suffisant pour nous établir confortablement, sinon avec luxe. Je suis jeune, travaillant ; je jouis d’une bonne santé ; j’appartiens à une famille respectable… C’est déjà quelque chose. Votre père y songera deux fois avant de briser notre existence.

— Oui, répliqua la jeune fille tristement. Cela serait fort bien, si papa n’avait pas l’idée fixe de me faire épouser ce veuf exécrable parce qu’il le considère un bon parti. Il est si sérieux et si religieux que papa le trouve l’homme le plus parfait du monde. Moi, je le déteste.

— Et moi, me détestez vous ? demanda Xavier en approchant son visage de celui de la jeune fille.

— Fou ! murmura Maria, vous savez bien que je vous aime.

— Donnez moi un baiser, alors !

Et sans attendre une réponse, qui aurait pu être défavorable, il déposa un long baiser sur ses lèvres.

Confuse et troublée, Maria cacha son visage contre l’épaule du jeune homme qui lui murmura passionnément à l’oreille.

— Jure moi que tu seras ma femme. Jure moi que tu n’en épouseras pas d’autre !

Maria allait peut-être faire le serment demandé, quand un bruit de pas retentit dans l’escalier. Effrayée, elle s’échappa des bras de Xavier et un instant après, sa mère qui revenait des vêpres — c’était le dimanche — entra. En apercevant le jeune homme elle prit un air digne et sévère et le salua froidement, car elle n’était guère disposée en sa faveur.

Après une demi-heure de conversation banale et réservée, Xavier prit congé de la mère et de la fille en jetant sur cette dernière un long regard d’amour et de regret.

Il sortit le cœur plein de tristes pressentiments.