Les dévotions de Mme de Bethzamooth ; La retraite, les tentations et les confessions de la marquise de Montcornillon/04

Bibliothèque des curieux, Bandeau-Esses
Bibliothèque des curieux, Bandeau-Esses


NOTES


SÉRIEUSES ET INTÉRESSANTES


Vaguelettes
Vaguelettes


(1)Page 10. — Assemblée des saints. — Lorsque, sous Louis XIV, la dévotion fut devenue une mode de cour, les assemblées furent très communes à Paris et à Versailles. La plus connue de toutes se tenait chez le duc de Beauvilliers. Mme de Maintenon s’y trouvait souvent ; M. de Fénelon en fut longtemps l’orateur et même l’oracle. Mme Guyon, l’amie de Fénelon, y fut admise. C’est là qu’elle expliquait à ses auditeurs son système de quiétisme. Elle disait que le Saint Esprit l’obumbrait ; le barnabite Lacombe était le véritable obumbrateur. Ce moine, enfermé à Vincennes, avoua avoir passé quinze nuits avec elle. Lorsqu’elle fut arrêtée, dans une petite maison, à la Roquette, l’un des faubourgs de Paris, on trouva sur sa table le Cantique des cantiques et les opéras de Quinault, un crucifix et les comédies de Molière.

(2) Page 10. — Quant au soufflet. — Voici l’histoire morale du fameux soufflet que reçut le prophète Michée d’un de ses camarades. Josaphat, roi de Jérusalem, alla voir son confrère Achab, roi de Samarie. Celui-ci, soit qu’il voulût donner la comédie à son hôte, soit qu’il agît sérieusement, fit assembler dans la place publique quatre cents prophètes.

Leurs Majestés juives montèrent chacune sur un trône et les prophètes eurent ordre de faire leur métier, c’est-à-dire d’annoncer l’avenir. Chaque prophète disait tout ce qui lui passait par la tête ; car Dieu, à qui cette farce déplaît, leur mit en la bouche un esprit de mensonge. (Paralipomène, ch. 2.)

Sédécias attira l’affection des deux rois et de ses camarades prophétisant et mentant. C’était un prophète courtisan. Pour annoncer à Achab, son roi, qu’il battrait ses ennemis, il mit sur sa tête une belle paire de cornes de fer. La tête ornée de ce symbole de la force et de la terreur, il se promenait dans cette assemblée de quatre cents prophètes.

Le petit prophète Michée, qui avait été aussi invité à jouer son rôle dans cette comédie, s’avança à son tour, et ayant dit qu’il voyait Dieu dans le Ciel assis sur son trône, il ajouta que tous les prophètes étaient des menteurs.

Son camarade aux cornes de fer, Sédécias, à qui la grossièreté du compliment déplut, lui donna un soufflet et lui demanda ensuite gravement : « Par quel chemin l’esprit de Dieu a-t-il passé pour aller de moi à toi ? Per quam viam transivit spiritus Domini a mente loqueritur tibi ? »

Michée n’en fut pas quitte pour ce soufflet : le roi Achab l’envoya dans sa bastille et ordonna de le mettre à un régime très rigoureux : au pain et à l’eau. Voilà ce que c’est que de dire la vérité aux rois. Il n’en arrive jamais rien de bon.

(3) Page 16. — Mâcher à vide. — C’est l’expression dont se servait Voltaire en parlant des discours que prononcent les récipiendaires à l’Académie française.

Il est étonnant que des gens d’esprit, en présence d’une assemblée d’hommes dont la plupart ont un très grand mérite, parlent souvent comme s’ils ne voulaient point être entendus. Chaque phrase de leurs discours de réception est une énigme ; ceux qui la devinent applaudissent et ceux qui ne la devinent pas font semblant de la comprendre et joignent de grands battements de mains aux applaudissements des premiers.

L’amour-propre du récipiendaire est la source de ces amphigouris : pour ne point paraître trivial, il évite la clarté, il donne à des idées communes des tournures recherchées et inusitées. Il met en phrases ce qui lui manque en génie. Mme de Maintenon appelait cela parler sur des paroles.

(4) Page 17. — Jonas prédicateur. — Le sermon de Jonas aux Ninivites est le meilleur qu’on ait encore fait. Il ne prêcha qu’une fois ; il ne dit que peu de paroles, encore le fit-il en courant dans une ville qui avait trois journées de chemin. Ninive erat civitas magna trium dierum, c’est-à-dire qui était au moins quatre fois plus étendue que Paris, et tous les Ninivites se convertirent. Le roi descendit de son trône et jeûna. Les animaux jeûnèrent aussi et Dieu pardonna à tous. Nous n’avons pas d’exemple d’un pareil sermon. Il est une preuve que les plus courts sont les meilleurs ; ils sont devenus une denrée trop commune.

(5) Page 17. — M. de Sacy à la Bastille. — Il fut, en effet, privé de sa liberté parce qu’on le soupçonna de jansénisme et d’avoir travaillé à la version du Nouveau Testament, imprimé à Mons. On tremble toutes les fois qu’on pense qu’il faille si peu de chose pour priver un homme de sa liberté, le premier des biens. M. de Sacy fut enterré trois ans à la Bastille, dans la tour Comté. C’est la première à droite en entrant dans la cour des prisonniers ; c’est dans cette même tour que fut enfermé Fouquet, auquel tant d’hommes de lettres prirent intérêt. Sacy, pour se dérober à l’ennui de cet affreux séjour, s’occupa à y écrire ceci : « et à me moquer et de Launay, principal geôlier de ces affreux cachots, et d’Amelot, tyran aussi méprisable que bête. Il peut tenir mon corps en captivité ; mais il ne saurait enchaîner ma pensée. Il me tient ici parce que j’ai dit qu’il était une bête ; j’en sortirai, et je crierai encore en plein Palais-Royal qu’il est une bête. »

(6) Page 18, ce renvoi se rapporte à la page 22, ligne 15. — La grande Jahel. — Cette juive est devenue célèbre par un mensonge et par un meurtre abominable. Voyant fuir Sisara, général de l’armée du roi Jabin : « Entrez chez moi, lui dit-elle, entrez, monseigneur, et ne craignez rien. » Sisara, trompé par le propos, entre dans la tente de Jahel. Elle lui fait boire une coupe de lait, le couvre d’un manteau et, lorsqu’il est endormi, elle lui fiche un grand clou dans la tête. Après la mort de Sisara, les prophétesses Débora et Barac, pour célébrer ce trait d’hospitalité, chantèrent un duo, ou cantique à deux parties. Nous rapporterions bien ce cantique, mais nous craignons la censure de M. de Chab***, qui, après les odes de Pindare, ne trouve rien de beau.

(7) Page 22. — La dévote Judith. — Cette veuve juive, ayant jeûné et prié, se lava le corps, frisa ses cheveux, prit sa belle coiffure, ses beaux habits, une chaussure élégante, ses bagues, ses bracelets, ses lis d’or et ses pendants d’oreilles. Après cette toilette, elle sortit de Béthulie et, à force de mensonges, parvint à coucher avec Holopherne. Quand elle fut au lit, ce général fit ce que n’a jamais fait général. Au lieu de caresser la belle aventurière, il s’endormit, et elle lui coupa la tête. Les gens du monde, qui se connaissent en galanterie, disent qu’elle n’en agit d’une manière aussi barbare que par dépit ; mais il faut en croire les théologiens, qui savent bien ce qu’il en est et qui assurent que ce fut par dévotion qu’elle assassina ce général ivre.

L’abbé Arnault ne voulait pas croire cette histoire, ni l’abbé Delille non plus. Pour moi, je suis comme M. d’Alembert : je crois tout ce qu’on me dit de croire et, comme lui, dans tous les traits de l’Ancien Testament je vois le cachet de la vérité et le doigt de Dieu. Je crois aussi fermement que Dieu était de moitié dans l’assassinat d’Holopherne, car, pour que Judith ne manquât pas son coup, il la fit ce jour-là encore plus belle qu’elle n’était. « Dominus in illam pulchritudinem ampliavit », dit l’Écriture sainte.

(8) Page 31. — Le prince Bethzamooth. — Il y avait, en effet, au delà du Jourdain une bourgade du nom de Bethzamooth. Les tribus de Ruben et de Gad demandèrent ce pays pour eux. Dans le dénombrement des enfants d’Esaü, frère aîné de Jacob, on trouve un prince de Bethzamooth. Faisons observer que les livres juifs donnent le nom de rois aux chefs de bourgades et celui de princes aux chefs de famille.

(9) Page 42. — Le roi Eglon. — Ce roi est une des plus anciennes victimes que le fanatisme de religion ait immolées. Le récit de cet assassinat a quelque chose de bien édifiant.

Les Israélites, depuis dix-huit ans assujettis à Eglon, roi de Moab, lui envoyèrent des présents par Aod, leur juge. Cet Aod était un maître juge. Il fit faire une épée à deux tranchants, dont la garde était de la longueur de la paume d’une main. Armé de cette épée, il vint offrir les présents au roi Eglon, qui était chargé de graisse. Il s’approcha de Sa Majesté moabite, laquelle était dans sa chambre d’été, et lui dit : Verbum habeo ad te. « J’ai un mot à vous dire. » Le roi fait sortir les courtisans et se lève pour écouler son secret. Alors Aod l’ambidextre, tirant son épée avec la main gauche, la lui enfonce dans le ventre si avant que sa poignée y entre tout entière avec le fer et se trouve resserrée par la grande quantité de graisse qui se rejoignit par-dessus. Aod sortit ensuite par la porte de derrière (voyez les Juges).

Il est plus que vraisemblable que ce fut sur la conduite de cet Aod, depuis longtemps canonisé, que le moine Clément régla la sienne pour assassiner Henri III. Ce moine jacobin n’était point chargé de présents pour ce roi infortuné, mais il lui portait une lettre du président Harlay ; ce qui valait bien le présent que M. le président Aod portait au roi Eglon.

(10) Page 43. — Thamar coucha avec son beau-père. — Cette aventure est aussi intéressante que celle d’Aod est édifiante, car c’est de l’inceste de cette juive que nous vient notre salut.

Thamar était veuve des deux aînés de Juda, fils de Jacob. Dieu fit mourir son premier mari parce qu’il était un vaurien. Il fit aussi mourir le second parce qu’étant au lit avec sa femme, au lieu d’en agir comme un galant homme, effundebat semen in terras. Ce qui a été d’un fort mauvais exemple, ainsi que le prouve le médecin Tissot dans son livre sur l’onanisme.

Thamar, après la mort d’Onan, se retira chez ses parents. Elle sut que son beau-père Juda devait venir tondre ses brebis à Themna. Elle se couvre d’un voile et pour le raccrocher va dans un carrefour où il devait passer.

Juda la prit pour une fille de joie et, s’approchant d’elle, il demanda à s’amuser. — Que me donnerez-vous ? lui dit-elle. — Un chevreau, répondit-il, et voilà pour arrhes mon bracelet et mon bâton. Le marché fut conclu à ces conditions et le vieux Juda la suivit.

Au bout de trois mois, les habitants de Themna s’aperçurent de la grossesse de Thamar et en avertirent son beau-père Juda, qui répondit : « Qu’on la brûle. » Après avoir ainsi décidé de la mort de sa belle-fille, il vint à la cérémonie du bûcher.

Thamar, avant d’être mise au feu, dit : « Je suis grosse des œuvres de celui à qui appartiennent ce bâton et ce bracelet. » Juda reconnut son gage et dit : « J’ai plus de tort qu’elle. » On ne la brûla point et elle accoucha de deux enfants : de Zara et de Pharès. C’est de ce dernier que descend Jésus-Christ, suivant la généalogie de la famille de Joseph, son père putatif.

Si l’on jugeait de cette histoire comme on juge des histoires ordinaires, on pourrait s’étonner que les Juifs eussent été assez barbares pour faire rôtir une femme enceinte ; mais ceux qui se connaissent en galanteries s’étonnent bien davantage que Juda, en caressant sa belle-fille Thamar, ne l’ait pas reconnue. Quand on va en bonne fortune, il est d’usage qu’on veuille savoir à qui on a affaire, connaître le visage auquel on a à parler, s’il est plus ou moins joli. À cela nous répondrons que l’ivresse des sens et de l’amour obscurcissait sans doute la vue du bon vieillard : Dieu le permit ainsi.

(11) Page 50. — Trembler les rois sur leur trône. — Ce mot trembler n’est pas trop fort. Les rois Henri III et Henri IV furent déclarés incapables de régner par des décrets de Sorbonne. L’opinion de cette école, composée de pédants et de séditieux sous ces rois ainsi que sous Charles VI et Charles VII, entraîna la révolte du peuple qui, lorsqu’il est ignorant et abruti par la superstition, croit toujours entendre la voix de Dieu dans la voix de ses prêtres.

Gondi, évêque de Paris, fut obligé de s’évader pour avoir refusé de signer un décret de Sorbonne contre Henri IV. Tous les meubles du palais de ce prélat devinrent la proie des ligueurs.

(12) Page 58. — Galbanum de bonne odeur. — Nous ignorons, ainsi que Mme de Bethzamooth, s’il y a du galbanum de bonne odeur. Il nous en vient du Levant de différentes espèces ; mais toutes d’une odeur désagréable, telle que celle du castoreum et de l’assa fetida, ou merde du diable.

Au reste il y avait chez les Juifs un arrêt de mort porté contre ceux qui vendaient ou qui composaient, pour leurs plaisirs, un parfum semblable à celui dont Dieu avait donné la recette à Moïse, et qu’il voulait qu’on brûlât dans son temple.

(13) Page 62. — La surface de la terre. — C’est dans la Genèse, chap. II, qu’il est parlé de cette fontaine. Fons ascendebat de terra irrigans universam superficiem ejus. Les incrédules ont beaucoup glosé sur ce jet d’eau ; mais il n’est pas plus merveilleux que les sources de quatre fleuves, de l’Euphrate, du Tigre, du Phison et du Ghéon, qui se trouvaient dans le Paradis terrestre. Qui croit aux quatre sources doit croire au jet d’eau qui arrosait toute la terre.

(14) Page 62. — Un agneau à sept cornes. — Saint Jean vit cet agneau dans le ciel : Vidi agnum stantem quasi occisum, habentem cornua septem. (Apoc., ch. 5). — À un homme qui dit j’ai vu, il n’y a rien à répondre. L’incrédulité est confondue. Les philosophes prétendent que Saint Jean a fait du Paradis le pays des bêtes à cornes. C’est là une bien mauvaise plaisanterie. Ils n’en font jamais d’autres.

(15) Page 62. — Que le diable ait emporté J.-C. — Cette aventure, qui se termina à la honte du diable, est rapportée dans Saint Mathieu (chap. 4) ; elle fut précédée d’une conversation que J.-C. et son ennemi eurent ensemble. C’est ce qu’on appelle la tentation du fils de Dieu. Dans cette conversation, c’est à qui des deux interlocuteurs citera mieux l’écriture sainte. Le diable, peu satisfait des réponses de son adversaire, le porta d’abord sur le pinacle du Temple, ensuite sur une montagne, dont on ne dit ni le nom, ni la situation, mais de laquelle il lui montra tous les royaumes du monde.

Le dernier des écoliers en géographie sait que sur le globe il n’existe pas de semblable montagne et qu’il n’en peut exister ; une élévation sur la terre de laquelle on voit tous les empires est aussi absurde qu’un jet d’eau qui arrose toute la surface de la terre.

Ce qui paraît étrange à ceux dont la foi n’est pas ferme, c’est que le diable sût que Jésus-Christ avait faim, et qu’il ne sût pas qu’il était le fils de Dieu, soit par les écritures qu’il savait par cœur, soit pour l’avoir vu autrefois dans le ciel avant d’en être chassé.

Sans la foi, on dirait que cette aventure de J.-C. est le conte le plus insipide et le plus maladroit que l’absurdité ait jamais fabriqué. Mais il vaut beaucoup mieux se soumettre et croire que de raisonner et de douter. C’est par la foi qu’on plaît à Dieu.

(16) Page 66. — Samgar était, ainsi que Samson, juge en Israël. — Avec un soc de charrue il extermina six cents Philistins. Ce soc a quelque chose de moins merveilleux que la mâchoire dont se servit Samson pour en assommer mille. Voyez ce qu’en dit l’abbé Sabatier de Castres à l’article mâchoire.

(17) Page 76. — Dieu propose des énigmes. — Cela est très vrai, tant pour l’ancienne que pour la nouvelle loi. L’énigme la plus agréable et la plus utile dont l’histoire ecclésiastique fasse mention, est celle que Dieu proposa à la sœur de Montcornillon de Liége pendant qu’elle dormait. Il lui montra d’abord dans un premier songe, le trou à la lune, et, dans un second, il lui apprit que la lune était l’Église et que le trou était une fête qui manquait à ses solennités, et vite, pour boucher ce trou, le pape, à qui Mme de Montcornillon fit part de l’énigme que Dieu lui avait proposée, institua la fête du Saint-Sacrement.

Frère Jean, religieux, seconda la sœur de Montcornillon pour boucher ce trou ; il fit aussi avec elle l’office du Saint-Sacrement ; nous ne disons pas qu’il fit autre chose.

Au reste, il est très vrai que dans le christianisme il y a beaucoup de bonnes choses qui sont la suite de quelque songe. Le retour du pape à Rome, l’établissement des carmes, les diverses peuplades des religieux de Saint-François, les fêtes du rosaire, celles du scapulaire, etc., sont dus aux visions de Sainte Catherine de Sienne, de Sainte Thérèse, de Saint François, de Saint Dominique et de Simon Stok.

(18) Page 76. — Songe de Nabuchodonosor. — Le voici : Le roi ordonna de faire assembler les devins, les mages, les enchanteurs, les sages,… et leur dit : — J’ai eu un songe et je ne sais ce que j’ai songé… Si vous ne me le dites, vous périrez tous, et vos maisons seront confisquées… Ils répondirent : — Ô grand roi, il n’y a que les dieux qui puissent vous l’apprendre, et ils n’ont point de commerce avec les hommes.

Cette réponse était sage. Nos plus grands philosophes, soit anglais, soit français, n’auraient pas mieux répondu. Nabuchodonosor en fut très mécontent, il entra en fureur et ordonna de faire mourir tous les sages de Babylone. Un pareil ordre nous montre combien il est dangereux d’avoir raison avec des rois imbéciles.

Ce rêve de Nabuchodonosor est une des cent et une historiettes de l’ancienne loi dont, en divers temps, se sont moqués : Rabelais, curé de Meudon ; Mélier, curé d’Étrepigny ; l’abbé Genest, l’abbé Gedouin, l’abbé Gassendi, l’abbé Courtin, l’abbé de Chaulieu, l’abbé Pellegrin, l’abbé Grécourt, l’abbé de Châteauneuf, l’abbé de Terrasson, l’abbé de Saint-Pierre, l’abbé du Resnel, l’abbé Prévost, l’abbé Laporte, l’abbé de Voisenon, l’abbé de Condillac, l’abbé Chappe, l’abbé Remi, l’abbé Coger, l’abbé de Mably, l’abbé Millot.

Ces savants ecclésiastiques s’accordaient tous à dire que, dans un livre connu, on ne trouvait point de conte qui renfermât autant d’inepties que le rêve de Nabuchodonosor. Ils se trompaient certainement. S’ils étaient en vie, je leur en montrerais d’aussi ridicules, et je m’efforcerais de les convertir ; mais quand on est mort on ne se convertit pas.

L’abbé Raynal a dit vingt fois publiquement que quiconque croit au rêve de Nabuchodonosor mérite de manger du foin avec ce roi. On sait la persécution qu’a attirée à l’abbé Raynal sa liberté de parler et d’écrire.

Ce qui doit étonner, je ne dis pas tout homme qui pense, mais tout bon chrétien, c’est comment tant d’ecclésiastiques peuvent nier une histoire rapportée dans un livre divin. L’esprit nuirait-il à la croyance ? S’il en est ainsi, je me sais bien bon gré d’être un ignorant. Je remercie Dieu, et de bon cœur, de m’avoir donné une intelligence grossière pour me faire croire ce que tant d’abbés remplis d’esprit et de science ont rejeté comme des tables. Plus je suis bête, et plus j’ai espérance d’avoir part au royaume des deux. Beati pauperes spiritu quoniam possidebunt regnum cælorum.

(19) Page 78. — Il mangera du beurre et du miel. — Le miel et le beurre ne donnent pas toujours un esprit de discernement et de sagesse. Dans ma province, les jeunes gens ne déjeunent et ne goûtent ordinairement qu’avec des tartines enduites de beurre ou de miel, et ils n’en sont ni plus sages ni plus spirituels.

L’un des effets les plus ordinaires de l’usage du beurre est de donner aux jeunes gens la jaunisse, comme l’un des effets du miel est d’occasionner des coliques d’estomac et même d’étouffer si, après avoir mangé, on avait l’imprudence de boire beaucoup d’eau.

Tout ce qu’on peut dire du beurre et du miel, dont parle Isaïe, c’est que la qualité de ces aliments a dégénéré ; c’est aussi ce qu’on peut assurer de bien des choses autrefois respectées, aujourd’hui avilies, méprisées, et méritant de l’être.

Il en est du beurre, qui a perdu la vertu de donner la sagesse, comme du foie de brochet, qui a perdu celle de chasser le Diable.

Bon Dieu, que les hommes sont sots !


FIN

P.-S. — J’étais à la Bastille lorsque j’écrivis ces vérités et ces fadaises, et je riais en les écrivant.


Bibliothèque des curieux, Vignette-longue-02
Bibliothèque des curieux, Vignette-longue-02