Les députés des Trois-Rivières (1808-1838)/BARNARD, Edward

Les éditions du « Bien Public » (p. 59-66).

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Edward Barnard

(1806 — 1885)

Edward Barnard naquit à Québec le 27 août 1806 du mariage de James Barnard et d’Élizabeth Barber. James était né à Deerfield, Massachusetts, États-Unis, le 6 mars 1775, d’une famille originaire du Yorkshire, Angleterre.

Francis, le chef de la lignée des Barnard d’Amérique était venu s’établir à Deerfield, dans la première moitié du XVIIe siècle. Ses descendants y vivaient paisiblement lorsque les treize colonies se révoltèrent et déclarèrent l’indépendance. Cette révolte et la guerre qui s’ensuivit chassèrent plusieurs Barnard de leur patrie d’adoption. Tandis que ses frères s’établissaient dans les Cantons de l’Est, James vint à Montréal et se rendit peu après à Québec où il se fixa définitivement. Il épousa, en cette ville, en 1805, Élizabeth Barber, de Londres, Angleterre, fille de James Barber et d’Élizabeth Lloyd. Ils eurent deux fils, Edward et James, et une fille, Éliza.

Barnard mourut en 1825, laissant à son fils aîné, Edward, la charge de sa mère et de ses frère et sœur.

Élève du High School, à Québec, Edward s’était fait maître d’école dans les Cantons de l’Est où il retrouvait des cousins. Mais il était ambitieux et voulait parvenir. Après les heures consacrées à l’enseignement, le professeur studieux et actif, reprenait ses livres, étudiait les classiques et rêvait d’une profession plus libre.

Puritain de religion, comme ses ancêtres, Edward rencontra aux Trois-Rivières le pieux abbé de Calonne qui l’instruisit et reçut son abjuration.

Edward Barnard commença l’étude du droit chez M. Hugh Fraser, protonotaire aux Trois-Rivières, puis la continua à Montréal, après la mort de M. Fraser, dans le bureau de MM. Lévesque, Monk et Morrogh, protonotaires à Montréal. Il obtint une commission d’avocat le 3 juillet 1828 et s’établit aux Trois-Rivières.

M. Barnard représenta cette ville à l’Assemblée législative, du 22 novembre 1834 au 27 mars 1838. Cette même année 1838, lors des troubles, il prit fait et cause pour les Canadiens français et fut arrêté pour haute trahison. Il fut logé dans la prison de Montréal avec les autres détenus impliqués dans la rébellion. Il fit valoir ses droits de citoyen britannique, demanda qu’on lui fît son procès sans retard, et s’adressa même au gouverneur dans ce but. On lui refusa le procès demandé mais il fut relâché le 3 décembre de cette même année.

D’après une tradition de famille, Edward Barnard aurait été nommé procureur ou solliciteur général du Bas-Canada ou aurait été désigné pour agir comme tel, après sa sortie de prison, mais ayant été défait aux élections suivantes, il ne put exercer ses fonctions. De minutieuses recherches n’ont pu confirmer cette tradition. Non seulement, Edward Barnard ne reçut pas de commission, ni comme procureur ni comme solliciteur général, mais nous n’avons pu trouver aucune lettre ou autre document se rapportant à une telle nomination. De plus, il ne fut pas candidat aux premières élections du Canada sous l’Union. Et, dernier détail, le poste de procureur général l’aurait fait membre du conseil exécutif et M. Barnard ne parut jamais aux séances de ce conseil. En fait, Charles-Richard Ogden nommé procureur général du Bas-Canada en 1833, retint son poste jusqu’à l’avènement du ministère La Fontaine-Baldwin, en septembre 1842, et Charles-D. Day, qui fut nommé, le 26 mai 1840, solliciteur général en remplacement de M. Andrew Stuart, conserva sa charge jusqu’au 20 juin 1842.

M. Barnard aurait-il tout simplement agi comme substitut du procureur général aux Trois-Rivières ? Il ne reçut pas de commission comme tel.

Le 5 juillet 1844, lord Metcalfe nommait M. Barnard greffier de la couronne et protonotaire du district des Trois-Rivières, en remplacement de M. William-Craigie-Holmes Coffin, promu à Montréal. Le 11 septembre, il fut nommé commissaire pour faire prêter les serments dans le district des Trois-Rivières et, le 24 décembre 1849, il devint greffier de la cour de circuit.

M. Barnard fut chargé, le 4 décembre 1860, de faire le recensement de la ville des Trois-Rivières, ce dont il s’acquitta à la satisfaction de tous.

Ce fut M. Barnard qui présida la première assemblée des notaires du district des Trois-Rivières, le 27 septembre 1847, à laquelle une chambre des notaires fut créée pour ce district.

M. Barnard avait épousé une Canadienne, mademoiselle Mathilde Blondin, fille de Pierre-Cadet Blondin, athlète célèbre au pays. Blondin avait voyagé pour le compte de grandes compagnies de traite et accompli des prouesses, des tours de force qui sont restés légendaires.[1]

On trouve ce qui suit dans les Mélanges Historiques, de Sulte :[2]

« Et Cadet Blondin qui portait la charge de trois hommes dans les portages ! En voilà un voyageur ! Vers 1818, alors que les compagnies du Nord-Ouest et de la baie d’Hudson étaient en guerre, il chercha refuge, par un soir de tempête, dans un poste de la compagnie rivale. Personne ne le connaissait en cet endroit, mais on voyait bien à ses allures qu’il n’était pas de la compagnie. Un quolibet n’attendait pas l’autre. Blondin se brûlait les sangs. Aprés avoir fumé la pipe, quelqu’un lui demanda de prendre un petit baril qui se trouvait dans un coin et de le lui passer. Il voulut faire la chose poliment, mais bernique ! L’objet lui glissa entre les doigts. Et les compagnons de rire aux éclats. C’était mettre le feu à la poudre. La poudre c’était Blondin. Quant au baril, il était rempli de balles. En deux secondes, l’hercule se baissa, enleva le malencontreux paquet et le lança contre le pilier qui supportait la toiture. Tout croûla comme si une bombe y passait.

« — Et maintenant, dit-il, couchez dehors ; mon nom est Cadet Blondin.

« Les anciens m’ont raconté que, durant la guerre de 1812-14, un détachement des artilleurs royaux, passant à Yamachiche, y avait fait halte pour souper. C’était l’hiver. Sur des traîneaux on avait placé les bouches à feu, et sur d’autres les boulets. Quelques gaillards voulurent s’amuser aux dépens des gens du pays. Trois ou quatre entrèrent chez Cadet Blondin et, sans dire bonjour ni bonsoir, enfilèrent l’escalier du premier étage. Aux cris des femmes, Blondin accourut. Le premier soldat qu’il saisit passa par la fenêtre, emportant vitres et barreaux ; le second de même ; les autres s’échappèrent. Ce fut le signal d’une levée de baïonnettes, pour ne pas dire de boucliers. Les militaires n’entendaient pas avoir le dessous. Blondin, voyant sa maison cernée, s’échappa et courut vers les traîneaux, suivi de toute la bande. Alors commença une scène épique, un chant d’Homère. L’athlète empoignait les boulets, et de son bras formidable, les lançait comme eût fait un canon bien servi. Ce n’étaient point des boules de neige. Bras, jambes, etc., tout se brisait au contact de ces joujoux. Le quart de la troupe resta à l’Hôpital. Il ne séjourna plus de soldats réguliers à Yamachiche durant la guerre. »

Edward fut le père de douze enfants. Entre autres, Edmund Barnard, avocat, conseil de la Reine, de Montréal ; d’Édouard-A. Barnard, secrétaire du conseil d’Agriculture de Québec ; et de James-C. Barnard, arpenteur-géomètre et ingénieur civil, des Trois-Rivières. Deux de ses filles entrèrent au couvent de Jésus-Marie à Lauzon et finirent leurs jours au couvent de la même communauté, à Willesden, Angleterre. Une autre, Agnès, était une femme d’une intelligence remarquable, mais assez excentrique. Elle avait entrepris une fois de donner des conseils à l’honorable Honoré Mercier, alors premier ministre. Celui-ci avait trouvé la lettre tellement bien écrite qu’il la montrait à diverses personnes, entre autres à l’honorable sénateur Tessier, neveu par alliance de mademoiselle Barnard. Elle est morte célibataire.

M. Edward Barnard décéda le 5 juin 1885, à Baltimore, Maryland, États-Unis, et fut inhumé en cet endroit. Il avait pris sa retraite en 1878 et avait été remplacé par M. Philippe-Olivier-Ernest Pacaud, comme protonotaire et greffier de la cour Supérieure.[3]

La maison de M. Barnard, aux Trois-Rivières, sur la rue Laviolette en face du Château de Blois, fut occupée par la famille jusqu’à tout récemment quand elle devint la propriété d’un couvent qui s’en sert comme de dépendance,

Les Sœurs Marie-Réparatrice se proposent, dit-on, de la démolir sitôt que l’appel à la charité publique le leur permettra. Ce serait regrettable, car c’est une des plus belles constructions du genre, absolument bien conservée, et avec la ligne très pure de nos bonnes vieilles résidences canadiennes dans le Québec. Pourquoi pas en faire un musée ?

La démolition de l’ancienne résidence du sénateur Montplaisir a été une perte également, et pour le même motif. L’ancienne résidence Dawson, que les Trifluviens appelaient le château Dawson, faisant le coin des rues Saint-Charles et Laviolette, méritait un meilleur sort. Elle était vénérable et classique ; le duc de Kent y était venu danser avec la belle jeunesse du temps et tout le monde du bel air de Québec et Montréal.

M. Edmund Barnard était un avocat très occupé et très combatif. On dit qu’il avait plaidé devant le Conseil Privé dès l’âge de vingt-six ans. Dans sa jeunesse il était l’un des avocats du trône et de l’autel.

Il a été aussi l’avocat des ouvriers et fut l’un des promoteurs du mouvement qui aboutit à la suppression de la journée de corvée à Montréal.

M. Edmund Barnard avait épousé Ellen King Austin, fille de Charles-Lee Austin, recorder d’Albany, N. Y., homme distingué et très cultivé.

M. Joseph Barnard, avocat, des Trois-Rivières, est le fils de James-C. Barnard. Il a collaboré à plusieurs journaux et fut le premier rédacteur en chef du Bien Public, fondé en 1909. Cet organe ayant changé de propriétaires, M. Barnard cessa d’y collaborer. Il est depuis mai 1921, chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

M. Joseph-E. Barnard, rédacteur en chef de l’Événement de Québec, est le fils d’Édouard-André-Benjamin Barnard et d’Amélie Chapais, sœur de l’honorable Thomas Chapais, sénateur, conseiller législatif, chevalier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

Édouard-André-Benjamin Barnard fut pendant trente ans une de nos personnalités les plus marquantes dans le monde agricole de la province. Il fut le premier conférencier agricole et le premier à faire de l’expérimentation sur sa terre de Varennes d’abord, puis aux Trois-Rivières, et, enfin à l’Ange-Gardien près Québec. Il encouragea l’industrie laitière et organisa la première fromagerie de la province à Saint-Denis de Kamouraska. M. Barnard fut l’un des fondateurs de la Société d’Industrie Laitière qui fit tant de bien à la classe agricole.

M. Barnard fut aussi l’un des créateurs du journalisme agricole dans la province. Il fut l’un des zélateurs de l’idée du Mérite agricole et l’un des fondateurs des Syndicats Agricoles et de la Société Générale des Éleveurs. Personne n’a plus que lui contribué à l’établissement de la culture de la betterave à sucre, laquelle malheureusement n’obtint qu’un succès éphémère.

Il a écrit plusieurs livres techniques sur l’agriculture et son dernier ouvrage, le Manuel de l’Agriculture, est son œuvre capitale.

Avant 1870, M. Barnard avait été militaire et il occupait la position de paie-maître avec le grade de major. En 1866, lors de l’invasion fénienne, il commandait les détachements de Saint-Armand et de Frelighsburg. L’année suivante, il était à la tête du mouvement zouave dont il fut avec Mgr Bourget, le principal organisateur.

M. Barnard décéda à l’Ange-Gardien, près Québec, le 19 août 1898.[4]

L’aînée des filles d’Edmund, Frances-Mathilda Barnard, épousa le sénateur Jules Tessier, de Québec. Madame Tessier s’est occupée activement de toutes les œuvres sociales dans la ville de Québec. Elle est l’une des trois dames canadiennes honorées par la faveur royale, au début de janvier 1934, ayant obtenu le titre d’officière de l’ordre de l’Empire Britannique (O.B.E.).

Catherine-Lucy, autre fille d’Edmund Barnard, épousa le juge Charles-Joseph Doherty, qui fut ministre de la Justice sous sir Robert-Laird Borden et membre du comité judiciaire du Conseil privé d’Angleterre, ce qui lui donnait droit au titre de très honorable (The Right Honourable). Kathleen, fille du juge Doherty et de Catherine-Lucy Barnard est l’épouse de M. Georges Gonthier, auditeur général du Canada.

Une autre, Élodie, est l’épouse de l’honorable Édouard-Fabre Surveyer, juge de la cour Supérieure à Montréal, professeur de droit criminel à l’université McGill, membre de la Société Royale du Canada, chevalier de la Légion d’honneur, ancien vice-président de l’Association des Auteurs Canadiens et ancien Secrétaire honoraire de l’Association du Barreau Canadien.

L’honorable Pierre-Édouard Blondin, président du Sénat et Commandeur de la Légion d’honneur, est le fils de Louis-M. Blondin, notaire et régistrateur du comté d’Yamaska, et d’Élodie Barnard, fille d’Edward Barnard.

Les autres enfants d’Edmund furent : Archibald, qui pratiqua d’abord à Montréal, comme avocat, puis sa vue l’ayant empêché de continuer son travail, il alla en Californie et finit par se faire recevoir avocat à San Francisco. Il est mort il y a une dizaine d’années. Mary-Edith, religieuse du Sacré-Cœur à Montréal. Ellen-Pauline, veuve de J.-Auguste Richard, manufacturier de Montréal. Charles-Austin, avocat et conseil du Roi, décédé le 5 décembre 1933. Juliette épousa en premières noces John Cassidy, d’Albany, et en secondes noces, John-A. Bevington, de Boston, décédé. Edward-A. ; employé de banque, décédé. Madeleine, épouse de Claude-H. Lemesurier, de Montréal.[5]

Le séminaire des Trois-Rivières est construit sur la propriété d’Edward Barnard, autrefois connue sous le nom de Ferme Barnard. Elle fut cédée au séminaire vers 1871. Elle comprenait toute la partie située le long de l’Avenue Laviolette, alors rue Des Champs, depuis la rue Sainte-Geneviève jusqu’au pied du coteau Saint-Louis. Sur toute cette étendue il n’y avait pratiquement d’autre construction que celle de l’ancienne résidence d’Edward Barnard, située un peu en deçà du séminaire actuel.

D’autres descendants de Francis Barnard étaient retournés en Angleterre au début de la révolution américaine tandis qu’un certain nombre s’établissaient en Nouvelle-Écosse.

Une autre branche de la famille établie à Québec était représentée par Isaac Barnard. Son fils Francis-Jones Barnard vit le jour en cette ville. Il y épousa, en 1853, Ellen Stillman. Il alla ensuite s’établir en Ontario mais il se rendit bientôt en Colombie-Anglaise et fut représentant au Conseil législatif de la division de Yale, de 1866 à 1871 ; puis député aux Communes du Canada par la même division électorale, de 1879 à 1887.

Le fils de Francis-Jones, sir Frank-Stillman Barnard, né à Toronto en 1856, représenta le comté de Cariboo aux Communes, de novembre 1888 à 1896. Il fut nommé lieutenant-gouverneur de la Colombie-Anglaise en 1914, et créé chevalier de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, en 1917, par Sa Majesté Georges V.

Son frère, l’honorable George-Henry, né à Victoria, en 1868, épousa Ethel Burnham Rogers, fille du lieutenant-colonel H.-C. Rogers, de Peterborough, Ontario. Il est avocat, conseil du Roi, et sénateur depuis 1917.

  1. Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, II, 547.
  2. Vol. 12, pp. 56, 57.
  3. Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, III, 412.
  4. B. R. H. XIX, 375.
  5. Grand merci à mademoiselle Julienne Barnard, à l’honorable E.-Fabre Surveyer, à l’honorable Pierre-Edmond Blondin, président du Sénat, et à M. Joseph Barnard, avocat des Trois-Rivières pour notes obligeamment fournies.