Les contes choisis (Aulnoy)/La Belle aux Cheveux d’Or

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Les contes choisisBelin-Leprieur et Morizot (p. ill.-18).


LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR.


LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR.


l y avait une fois la fille d’un roi qui était si belle, qu’il n’y avait rien de plus beau au monde ; et par cette raison, on la nommait la Belle aux Cheveux d’Or : car ses cheveux étaient plus fins que l’or, et blonds par merveille, tout frisés, et si longs, qu’ils lui tombaient jusque sur les pieds. Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête, et des habits brodés de diamants et de perles, de sorte qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer.

Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n’était point marié : il était bien fait et fort riche. Quand il eut appris tout ce qu’on disait de la Belle aux Cheveux d’Or, bien qu’il ne l’eût point encore vue, il se prit à l’aimer si fort, qu’il se détermina à la faire demander en mariage. Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur ; il lui donna plus de cent chevaux, autant de laquais, et lui recommanda bien de lui amener la princesse.

Quand il eut pris congé du roi et qu’il fut parti, toute la cour ne parlait d’autre chose ; et le roi, qui ne doutait pas que la Belle aux Cheveux d’Or ne consentît à ce qu’il souhaitait, lui faisait déjà faire de belles robes et des meubles admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler, l’ambassadeur, arrivé chez la Belle aux Cheveux d’Or, lui fit son petit message : mais, soit qu’elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur, ou que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l’ambassadeur qu’elle remerciait le roi, et qu’elle n’avait point envie de se marier.

L’ambassadeur partit de la cour de cette princesse, bien triste de ne la pas amener avec lui ; il rapporta tous les présents qu’il lui avait portés de la part du roi ; car elle était fort sage et savait bien qu’il ne faut pas que les filles reçoivent rien des garçons ; aussi elle ne voulut pas recevoir les beaux diamants que le roi lui envoyait.

Quand l’ambassadeur revint à la cour du roi son maître, où il était attendu très impatiemment, chacun s’affligea de ce qu’il n’amenait point la Belle aux Cheveux d’Or, et le roi eut tant de chagrin, qu’on ne pouvait venir à bout de le consoler.

Il y avait à la cour un jeune garçon qui était beau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume ; à cause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant. Tout le monde l’aimait, hors les envieux, qui étaient fâchés que le roi lui fît du bien.

Avenant se trouva avec des personnes qui parlaient du retour de l’ambassadeur, et qui disaient qu’il n’avait rien fait qui vaille ; il leur dit sans y prendre trop garde : Si le roi m’avait envoyé vers la Belle aux Cheveux d’Or, je suis certain qu’elle serait venue avec moi. Tout aussitôt ces méchantes gens vont dire au roi : Sire, vous ne savez pas ce que dit Avenant ? Que si vous l’aviez envoyé chez la Belle aux Cheveux d’Or, il l’aurait ramenée. Considérez bien sa malice, il prétend être plus beau que vous, et qu’elle l’aurait tant aimé, qu’elle l’aurait suivi partout. Sur ce récit, le roi se mit dans une si furieuse colère, qu’il était hors de lui. Ha ! ha ! dit-il, ce joli mignon se moque de mon malheur, et il se prise plus que moi. Allons, qu’on le mette dans ma grosse tour, et qu’il y meure de faim.

Les gardes du roi furent chez Avenant, qui ne pensait plus à ce qu’il avait dit ; ils le traînèrent en prison, et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon n’avait qu’un peu de paille pour se coucher ; et il serait mort sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait pour se rafraîchir ; car la faim lui avait bien séché la bouche.

Un jour qu’il n’en pouvait plus, il disait en soupirant : De quoi se plaint le roi ? il n’a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi ; je ne l’ai jamais offensé ; Le roi par hasard passait proche de la tour, et quand il entendit la voix de celui qu’il avait tant aimé, il s’arrêta pour l’écouter. Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui en vinrent aux yeux, il fit ouvrir la porte de la tour, et l’appela. Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa ses pieds : Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si rudement ?

— Tu t’es moqué de moi et de mon ambassadeur, dit le roi. Tu, as dit que si je t’avais envoyé chez la Belle aux Cheveux d’Or, tu l’aurais bien amenée. — Il est vrai, sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je suis persuadé qu’elle n’aurait pu s’en défendre ; et en cela je n’ai rien dit qui ne vous dût être agréable. Le roi trouva qu’effectivement il n’avait point de tort ; il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l’emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu’il lui avait faite.

Après l’avoir fait souper à merveille, il l’appela dans son cabinet, et lui dit : Avenant, j’aime toujours la Belle aux Cheveux d’Or, mais je ne sais comment m’y prendre pour qu’elle veuille m’épouser : j’ai envie de t’y envoyer pour voir si tu pourras réussir. Avenant répliqua qu’il était disposé de lui obéir en toutes choses, qu’il partirait dès le lendemain. Ah ça, dit le roi, je veux te donner un grand équipage. — Cela n’est point nécessaire, répondit-il, il ne me faut qu’un bon cheval avec des lettres de votre part. Le roi l’embrassa ; car il était ravi de le voir sitôt prêt.

Ce fut un lundi matin qu’il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade, tout seul, sans pompe et sans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d’engager la Belle aux Cheveux d’Or d’épouser le roi ; il avait une écritoire dans sa poche, et quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa harangue, il descendait de cheval, et s’asseyait sous des arbres pour écrire, afin de ne rien oublier. Un matin qu’il était parti à la petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, il lui vint une pensée fort jolie ; il mit pied à terre, et se plaça contre des saules et des peupliers, qui étaient plantés le long d’une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu’il eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit. Il aperçut sur l’herbe Une grosse carpe dorée, qui bâillait et qui n’en pouvait plus ; car ayant voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté si haut hors de l’eau, qu’elle s’était élancée sur l’herbe, où elle était prête à mourir. Avenant en eut pitié, il fut la prendre ; et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sentit la fraîcheur de l’eau, elle commence à se réjouir et se laisse couler jusqu’au fond ; puis revenant toute gaillarde au bord de la rivière : Avenant, dit-elle, je vous remercie du plaisir que vous venez de me faire ; sans vous je serais morte, et vous m’avez sauvée : je vous le revaudrai. Après ce petit compliment, elle s’enfonça dans l’eau, et Avenant demeura bien surpris de l’esprit et de la grande civilité de la carpe.

Un autre jour qu’il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle ; il était près de l’attraper, et il l’aurait avalé comme une lentille, si Avenant n’eût eu compassion de cet oiseau ; puis mirant bien l’aigle, croc, il lui décoche une flèche dans le corps, et le perce de part en part ; il tombe mort, et le corbeau ravi vint se percher sur un arbre : Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m’avoir secouru, moi qui ne suis qu’un misérable corbeau ; mais je n’en demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai.

Avenant admira le bon esprit du corbeau, et continua son chemin. Un jour, en entrant dans un grand bois, si matin qu’il ne voyait qu’à peine à se conduire, il entendit un hibou qui criait en désespéré ; il chercha de tous côtés, et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit ; il tira son couteau et coupa les cordelettes. Le hibou prit l’essor ; mais revenant à tire d’ailes : Avenant, dit-il, j’étais pris, j’étais mort sans votre secours ; j’ai le cœur reconnaissant, je vous le revaudrai.

Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant dans son voyage : il était si pressé d’arriver, qu’il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle aux Cheveux d’Or. Tout y était admirable ; l’on y voyait les diamants entassés comme des pierres, les beaux habits, l’argent, enfin les choses les plus merveilleuses ; et il pensait en lui-même, que si elle quittait tout cela pour venir chez le roi son maître, il faudrait qu’il jouât bien de bonheur. Il prit un habit de brocard, des plumes incarnates et blanches ; il se peigna, se poudra, se lava le visage ; il mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu’il avait acheté dans son chemin. Avenant était si bien fait, si aimable, et il faisait toutes choses avec, tant de grâce, que lorsqu’il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence ; et l’on courut dire à la Belle aux Cheveux d’Or qu’Avenant, ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir.

Sur ce nom d’Avenant, la princesse dit à ses femmes : Donnez-moi ma grande robe de satin bleu brodée, éparpillez bien mes blonds cheveux, et faites-moi des guirlandes de fleurs nouvelles, car je veux qu’il dise partout que je suis vraiment la Belle aux Cheveux d’Or.

L’on conduisit Avenant dans la salle d’audience ; il demeure transporté d’admiration ; néanmoins il prit, courage, et fit sa harangue à merveille : il pria la princesse qu’il n’eût pas le déplaisir de s’en retourner sans elle. Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter sont fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu’un autre ; mais il faut que vous sachiez qu’il y a un mois je fus me promener sur la rivière avec toutes mes dames, et comme l’on me servit la collation, en ôtant mon gant je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière : je la chérissais plus que mon royaume ; je vous laisse juger de quelle affliction cette perte fut suivie ; j’ai fait serment de n’écouter jamais aucune proposition de mariage, que l’ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à faire là-dessus ; car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment.

Avenant demeura bien étonné de cette réponse ; il lui fit une profonde révérence, et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l’écharpe ; mais elle lui répliqua qu’elle ne voulait point de présents, et qu’il songeât à ce qu’elle venait de lui dire.

Quand il fut retourné chez lui, il se coucha sans souper ; et son petit chien, qui s’appelait Cabriolle, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. Tant que la nuit fut longue, Avenant ne cessa point de soupirer. Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière, disait-il ? c’est toute folie de l’entreprendre. La princesse ne m’a dit cela que pour me mettre dans l’impossibilité de lui obéir : il soupirait et s’affligeait très fort. Cabriolle qui l’écoutait, lui dit : Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune ; vous êtes trop aimable pour n’être pas heureux : allons dès qu’il sera jour au bord de la rivière. Avenant lui donna deux petits coups de la main, et ne répondit rien ; mais tout accablé de tristesse, il s’endormit.

Cabriolle voyant le jour, cabriola tant qu’il l’éveilla, et lui dit : Mon maître, habillez-vous, et sortons. Avenant le voulut bien ; il se lève, s’habille, et descend dans le jardin, et du jardin il va insensiblement au bord de la rivière, où il se promenait son chapeau sur ses yeux et ses bras croisés l’un sur l’autre, ne pensant qu’à son départ, tout d’un coup il entendit qu’on l’appelait : Avenant, Avenant. Il regarde de tous côtés et ne voit personne ; il crut rêver. Il continue sa promenade ; on le rappelle : Avenant, Avenant. — Qui m’appelle ? dit-il. Cabriolle, qui était fort petit, et qui regardait de près dans l’eau, lui répliqua : Ne me croyez jamais, si ce n’est une carpe dorée que j’aperçois. Aussitôt la grosse carpe paraît et lui dit : Vous m’avez sauvé la vie dans le pré des Aliziers, où je serais restée sans vous, je vous promis d’en être reconnaissante. Tenez, cher Avenant, voici la bague de la Belle aux Cheveux d’Or.

Il fut droit au palais. L’on alla dire à la princesse qu’il demandait à la voir. L’on fit entrer Avenant, qui lui présenta sa bague, et lui dit : Princesse, voilà votre commandement fait ; vous plaît-il de recevoir le roi mon maître pour époux ? Quand elle vit sa bague où il ne manquait rien, elle resta si étonnée, qu’elle croyait rêver. — Vraiment dit-elle, gracieux Avenant, il faut que vous soyez favorisé de quelque fée, car naturellement cela n’est pas possible. Madame, dit-il, je n’en connais aucune, mais j’avais bien envie de vous obéir. — Puisque vous avez si bonne volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service sans lequel je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui ne demeure pas loin d’ici, appelé Galifron, lequel s’est mis dans l’esprit de m’épouser. Il m’a fait déclarer son dessein avec des menaces épouvantables, et a dit que si je le refusais il désolerait mon royaume ; mais jugez si je pouvais l’accepter, c’est un géant qui est plus grand qu’une haute tour ; il mange un homme comme un singe mange un marron. Quand il va à la campagne, il porte dans ses poches de petits canons, dont il se sert au lieu de pistolets ; et lorsqu’il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui mandai que je ne voulais point me marier, et qu’il m’excusât ; cependant il n’a point laissé de me persécuter ; il tue tous mes sujets, et avant toutes choses il faut vous battre contre lui, et m’apporter sa tête.

Avenant demeura un peu étourdi de cette proposition ; il rêva quelque temps, et puis dit : Hé bien ! madame, je combattrai Galifron, je crois que je serai vaincu ; mais je mourrai en brave. La princesse resta bien étonnée : elle lui dit mille chose pour l’empêcher de faire cette entreprise. Cela ne servit de rien, il se retira pour aller chercher des armes et tout ce qui lui fallait, il remit le petit Cabriolle dans son panier, il monta sur son beau cheval, et fut dans le pays de Galifron. Il demandait de ses nouvelles à ceux qu’il rencontrait, et chacun lui disait que c’était un vrai démon, dont on n’osait approcher : plus il entendait dire cela, plus il avait peur. Cabriolle le rassurait, et lui disait : Mon cher maître, pendant que vous

LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR.
vous battrez, j’irai lui mordre les jambes ; il baissera la tête

pour me chasser, et vous le tuerez. Avenant admirait l’esprit du petit chien ; mais il savait assez que son secours ne suffirait pas.

Enfin il arriva proche du château de Galifron ; tous les chemins étaient couverts d’os et de carcasses d’hommes qu’il avait mangés ou mis en pièces. Il ne l’attendit pas longtemps, qu’il le vit venir à travers d’un bois ; sa tête passait les plus grands arbres, et il chantait d’une voix épouvantable :

Où sont les petits enfants,
Que je les croque à belles dents ?
Il m’en faut tant, tant et tant,
Que le monde n’est suffisant.

Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le même air :

Approche, voici Avenant,
Qui t’arrachera les dents,
Bien qu’il ne soit pas des plus grands,
Pour te battre il est suffisant.

Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et il aperçut Avenant l’épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l’irriter. Il n’en fallait pas tant, il se mit dans une colère effroyable ; et prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna si juste dans les yeux, qu’il les creva ; son sang coulait sur son visage, il était comme un désespéré, frappant de tous côtés. Avenant l’évitait, et lui portait de grands coups d’épée qu’il enfonçait jusqu’à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdit tant de sang qu’il tomba. Aussitôt Avenant lui coupa la tête, bien ravi d’avoir été si heureux et le corbeau qui s’était perché sur un arbre, lui dit : Je n’ai pas oublié le service que vous, me rendîtes en tuant l’aigle qui me poursuivait ; je vous promis de m’en acquitter, je crois l’avoir fait aujourd’hui. — C’est moi qui vous doit tout, monsieur du Corbeau, répliqua Avenant, je demeure votre serviteur. Il monta aussitôt à cheval, chargé de l’épouvantable tête de Galifron.

Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait et criait : Voici le brave Avenant, qui vient de tuer le monstre ; de sorte que la princesse qui entendit bien du bruit, et qui tremblait qu’on lui vînt apprendre la mort d’Avenant, n’osait demander ce qui lui était arrivé ; mais elle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui ne laissa pas de lui faire encore peur, bien qu’il n’y eut plus rien à craindre. Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort, j’espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître. — Ah ! si fait, dit la Belle aux Cheveux d’Or, je le refuserai, si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de m’apporter de l’eau de la grotte ténébreuse.

Il y a proche d’ici une grotte profonde qui a bien six lieues de tour ; on trouve à l’entrée deux dragons qui empêchent qu’on y entre, ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux ; puis lorsqu’on est dans la grotte, on trouve un grand trou dans lequel il faut descendre : il est plein de crapauds, de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petite cave ou coulé la fontaine de Beauté et de Santé : c’est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu’on en lave devient merveilleux ; si l’on est belle on demeure toujours belle ; si on est laide, on dévient belle ; si on est jeune, on reste jeune ; si l’on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter.

Madame, lui dit-il, vous êtes si belle, que cette eau vous est bien inutile, mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort : je vais vous aller chercher ce que vous désirez, avec la certitude de n’en pouvoir revenir. La Belle aux Cheveux d’Or ne changea point de dessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriolle, pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l’eau de Beauté.

Il arriva vers le haut d’une montagne, où il s’assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval et courir Cabriolle après des mouches ; il savait que la grotte ténébreuse n’était pas loin de là, il regardait s’il ne la verrait point ; enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l’encre, d’où sortait une grande fumée, et au bout d’un moment un des dragons qui jetait du feu par les yeux et par la gueule ; il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours : Cabriolle vit tout cela, il ne savait où se cacher, tant il avait de peur.

Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, et descendit avec une fiole que la Belle aux Cheveux d’Or lui avait donnée pour la remplir de l’eau de Beauté. Il dit à son petit chien Cabriolle : C’est fait de moi, je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par les dragons : quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang, et la porte à la princesse, pour qu’elle voie ce qu’elle me coûte ; et puis va trouver le roi mon maître, et lui conte mon malheur. Comme il parlait ainsi, il entendit qu’on l’appelait : Avenant, Avenant ! Il dit : — Qui m’appelle ? et il vit un hibou dans le trou d’un vieux arbre, qui lui dit : — Vous m’avez retiré du filet des chasseurs où j’étais pris, et vous me sauvâtes la vie ; je vous promis que je vous le revaudrais, en voici le temps. Donnez-moi votre fiole ; je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse, je vais vous quérir l’eau de Beauté. Avenant lui donna vite sa fiole, et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d’un quart d’heure, il revint rapporter la bouteille bien bouchée. Avenant fut ravi, il le remercia de tout son cœur ; et remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.

Il alla droit au palais, il présenta la fiole à la Belle aux Cheveux d’Or, qui n’eut plus rien à dire : elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu’il lui fallait pour partir ; puis elle se mit en voyage avec lui. Elle lui disait quelquefois : Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi ; nous ne serions point partis de mon royaume ; mais il répondait : Je ne voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maître, quoique je vous trouve plus belle que le soleil.

Enfin, ils arrivèrent à la grande ville du roi, qui, sachant que la Belle aux Cheveux d’Or venait, alla au-devant d’elle, et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l’épousa avec tant de réjouissances, que l’on ne parlait d’autre chose ; mais la Belle aux Cheveux d’Or, qui aimait Avenant dans le fond de son cœur, n’était bien aise que quand elle le voyait, et elle le louait toujours : Je ne serais point venue sans Avenant, disait-elle au roi ; il a fallu qu’il ait fait des choses impossibles pour mon service : vous lui devez être obligé ; il m’a donné de l’eau de Beauté ; je ne vieillirai jamais ; je serai toujours belle.

Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi : Vous n’êtes point jaloux, et vous avez sujet de l’être ; la reine aime si fort Avenant, qu’elle en perd l’appétit, elle ne fait que parler de lui. — Vraiment, dit le roi, qu’on aille le mettre dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. L’on prit Avenant ; et pour sa récompense d’avoir si bien servi le roi, on l’enferma dans la tour après l’avoir enchaîné. Il ne voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou, et de l’eau dans une écuelle de terre ; pourtant son petit chien Cabriolle ne le quittait point, il le consolait, et venait lui dire toutes les nouvelles.

Quand la Belle aux Cheveux d’Or sut sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et toute en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait, pensant en lui-même que la reine ne le priait ainsi de faire sortir Avenant de prison, que parce qu’elle l’aimait. Donc il n’en voulut rien faire ; la reine n’en parla plus, mais elle était bien triste.

Le roi pensa qu’elle ne le trouvait peut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter le visage avec de l’eau de Beauté, afin que la reine l’aimât plus qu’elle ne faisait.

Cette eau était dans la fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine : elle l’avait mise là pour la regarder plus souvent ; mais une de ses femmes-de-chambre, voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l’eau fut perdue. Elle balaya vitement, et ne sachant que faire, elle se souvint qu’elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable, pleine d’eau claire comme était l’eau de Beauté ; elle la prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.

L’eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau, ils s’endormaient et ne se réveillaient plus. Un soir donc le roi prit la fiole, et se frotta bien le visage ; puis il s’endormit et mourut.

Le petit chien Cabriolle l’apprit des premiers, et ne manqua pas de l’aller dire à Avenant, qui lui dit d’aller trouver la Belle aux Cheveux d’Or, et de la faire souvenir du pauvre prisonnier.

Cabriolle se glissa doucement dans la presse, car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine : Madame, n’oubliez pas le pauvre Avenant. Elle se souvint aussitôt des peines qu’il avait souffertes à cause d’elle et de sa grande fidélité : elle sortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant, et lui mettant une couronne d’or sur la tête, et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit : Venez, aimable Avenant, je vous fais roi, et vous prends pour mon époux : il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l’avoir pour maître ; il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux Cheveux d’Or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.

Si par hasard un malheureux
Te demande ton assistance,


Ne lui refuse point un secours généreux :
Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.
Quant Avenant, avec tant de bonté,
Servait carpe et corbeau ; quand jusqu’au hibou même,
Sans être rebuté de sa laideur extrême,
Il conservait la liberté ;
Aurait-on pu jamais le croire,
Que ces animaux quelque jour
Le conduiraient au comble de la gloire.