Les bases de l’histoire d’Yamachiche/02

C. O. Beauchemin et Fils (p. 17-23).

DESCENDANCE
DES
TROIS FRÈRES GELINAS


PREMIERS COLONS D’YAMACHICHE.


Étienne Gelineau, marié à Huguette Robert, à Saintes, ville épiscopale de la Saintonge, eut un fils, né vers 1646, et nommé au baptême Jean Gelineau.

Devenu veuf, quand le fils eut grandi, il décida de venir avec lui s’établir au Canada, et ils arrivèrent aux Trois-Rivières vers 1660.

Il serait probablement inutile de poursuivre des recherches généalogiques en France, pour remonter plus haut vers l’origine de cette famille. Les vieilles archives de Saintes ayant été brûlées par un incendie, au milieu du siècle dernier, il faut nous contenter de ce que nous connaissons d’eux depuis leur arrivée aux Trois-Rivières.

Nous avons au moins la satisfaction de savoir, qu’à cette époque, en France, on n’admettait pour émigrer au Canada que des sujets de bonne réputation et de conduite irréprochable.

Si nous ne connaissons pas quelle industrie notre ancêtre, Étienne Gelineau, exerçait en France, nous savons au moins qu’en arrivant au Canada, il se fit défricheur et agriculteur. Voici comment cette connaissance nous fut communiquée en 1856. Notre savant et estimable historien, M. l’abbé J.-B.-A. Ferland, n’avait pas oublié son très humble élève et servant de messe au collège de Nicolet ; même au milieu de ses grands travaux, en poursuivant ses recherches historiques à Québec, il pensait à nous ; et, s’il trouvait quelques faits pouvant nous intéresser personnellement, il daignait s’interrompre pour nous les transmettre. Nous lui devons, entre autres, la lettre suivante au sujet de notre aïeul :

Québec, 4 février 1856.


Mon cher Raphaël,

Parmi une masse de vieux papiers déposés aux archives de la province, je viens de trouver quelque viellerie qui t’intéresse ; j’en ai fait un extrait que je t’envoie.

« Le treizième jour de septembre 1662, en cour et jurisdiction du Cap-de-la-Magdeleine, par devant nous, notaires, s’est présenté personnellement… le R. P. Claude d’Allouez de la Compagnie de Jésus, supérieur des missions Ez Trois-Rivières et de la Seigneurie du Cap… lequel a recognu et confessé… avoir donné et conceddé à titre de cens et rentes nobles, foncières et féodalles, payables par chacun an, au jour et feste de St. Martin d’hyver, à Etienne Gelinat demeurant de présent en ce lieu, pour luy, ses hoirs et ayans cause, la consistance d’un arpent sept perches de terre de front sur la route généralle qui sera faite de proffondeur, scituée sur la dite Seigneurie du Cap par une ligne qui court nor ouest, laquelle ligne fait la séparation d’entre les terres d’Etienne de Lafond et celle de la présente concession, d’un autre costé à Réné Houray (dit Granmont), d’un bout au dernier chenail des 3 Rivières, et de l’autre bout aux terres non conceddées appartenant aux P. P. de la Compagnie de Jésus ; …moyennant le nombre de deux boisseaux de bled froment et d’un chapon et de deux deniers de cens et rentes nobles, foncières et féodalles… le dit Gelinat acquéreur… personnellement étably et demeurant soubmis en la dite cour a promis et s’est obligé payer lequel debvoir par chacun an… fait et passé… présence de Guillaume De La Rue et Pierre Bourguignolle, tesmoins qui ont signé avec… et le Père… »

(Signé) D’Allouez,

Estienne Gelineau.

« Dans la même année 1662 eut lieu aux Trois-Rivières un procès dans lequel paraît comme témoin Jean Gelineau, âgé de 16 ans et natif de la ville de Xaintes (ou Saintes). J’ai tout lieu de croire que ce Jean était fils d’Estienne ; l’orthographe du nom n’y fait rien, car alors on y regardait peu. La conclusion à tirer est que ce dernier venait de la ville de Saintes ; et que tu es Saintongeois par tes ancêtres.

Tout à toi,
J.-B.-A. Ferland, ptre,


Plus tard, ce grand ami des lettres et des connaissances historiques, nous communiquait la découverte du mariage fait à Québec, en 1682, entre Estienne Gelineau, veuf d’Huguette Robert, et Marie Beauregard, veuve de Sébastien Langelier, demeurant à la Pointe-aux-Trembles, près Québec.

Notons ici que Étienne de Lafond, voisin de la concession du père Étienne Gelineau, au Cap, était aussi de la Saintonge, et beau-frère de M. P. Boucher, gouverneur des Trois-Rivières. Il est l’ancêtre des LeSieur du Canada, par sa fille, Françoise de Lafond.

Dans l’acte de concession cité par M. Ferland, le notaire écrivait Étienne Gelinat, et le concessionnaire signait au bas de cet acte, Estienne Gelineau, très lisiblement.

Autre preuve qu’on faisait peu de cas de l’orthographe des noms, dans ce temps-là : dans le recensement des Trois-Rivières, en 1666, le père et le fils sont entrés sur la liste comme suit :

Estienne Gelineau, père, 40 ans ;
Jean Gelineau, fils, 20 ans ;


en 1667, au Cap-de-la-Magdeleine, ils sont nommés :

Estienne Gellyna, père, 40 ans ;
Jean Gellyna, fils, 20 ans.

C’est ainsi qu’a commencé le changement de nom. La signature du père a prévalu pour lui-même, mais son fils n’a plus eu d’autre nom que Jean Gelina ou Gelinas. Remarié et demeurant à la Pointe-aux-Trembles, le père fit souche de Gelineau.

Son fils Jean, resté sur sa terre du Cap, se maria à Françoise de Charmenil et fut la souche d’une nombreuse postérité de Gélinas, Gelinas-Bellemare et Gelinas-Lacourse. Les notaires dans leurs actes, et les missionnaires dans les registres paroissiaux sont responsables de ces altérations de noms.

Nous sommes donc en présence de deux ancêtres nés en France, le grand-père et le père des Gelinas d’Yamachiche.

Nos ancêtres canadiens, Étienne Gelinas et Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare, étaient les fils de Jean Gelinas et de Françoise de Charmenil, de Trois-Rivières d’abord et du Cap-de-la-Magdeleine ensuite. Ils ont été, avec leur frère Pierre, les premiers habitants, premiers concessionnaires de terres à Yamachiche, et pères des premiers enfants nés dans cette paroisse, il y a tout près de deux siècles. Voir pour leur postérité les généalogies de M. F. L. Desaulniers.

Un monument commémoratif du deuxième centenaire d’Yamachiche, sera bientôt érigé en l’honneur de sainte Anne, sur la terre défrichée par Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare.

Note. — Jean Gelinas et Françoise de Charmenil vécurent assez longtemps pour voir tous leurs enfants établis. Restés seuls, ils avaient acquis une terre au sud du fleuve, dans la seigneurie de Bécancour, vis-à-vis des Trois-Rivières, sur laquelle ils vivaient. En 1717, « vu leur grand âge, dit le notaire, et de consentement mutuel, » ils vendirent leur propriété à leur gendre Pierre Rocheleau dit Monruisseau ; et la mère, Françoise de Charmenil, donna sa moitié du produit au dit Monruisseau, afin de passer le reste de ses jours avec sa fille aînée, Marie-Anne, épouse de ce dernier ; et le père Jean Gelinas se donna, avec l’autre moitié de ses biens, à son fils aîné Étienne Gelinas, à la condition de demeurer avec lui à Yamachiche, aussi longtemps qu’il plairait à Dieu de lui conserver la vie. Ces actes de donation se trouvent au greffe de maître Poulin, notaire aux Trois-Rivières. Il est donc probable que leurs restes reposent dans deux cimetières différents, les cendres de la mère à Bécancour, et celle du père à Yamachiche. Leur foi chrétienne se manifeste par l’exigence de messes de requiem après leur décès.