Les bases de l’histoire d’Yamachiche/01

C. O. Beauchemin et Fils (p. 7-16).


PRÉFACE



Comment écrire une histoire utile, même celle d’une paroisse, avec quelques documents isolés, d’une époque à l’autre ? On aurait beau remplir les lacunes par une suite de faits et d’événements traditionnels que l’imagination embellirait et enchaînerait logiquement, leur donnant toutes les apparences de la vérité, si on recourt aux sources anciennes oubliées dans la poussière des vieilles archives, ce bel enchaînement et les conclusions naturellement exposées et développées, prennent, sous cette lumière, le caractère choquant d’une fiction.

Après une expérience de cette nature, un de nos écrivains concluait que toute notre histoire était à refaire. Cette expression exagère sans doute le mal. Il est cependant prouvé depuis longtemps qu’il est très grand, puisque, de nos jours, on exige des preuves documentaires pour ajouter foi. Il est passé le temps où les romans historiques avaient autant d’autorité sur certains esprits que les histoires vraies, même aux yeux de très honnêtes lecteurs.

Les vieux documents, avec leurs dates et leurs expressions surannées, semblent jurer avec le vernis littéraire du jour et avec les traits piquants d’une belle imagination toujours agréables à lire : mais en revanche ils offrent la certitude de la stricte vérité des faits dans les termes de leur époque. Cette compensation est de beaucoup préférable pour les esprits sérieux.

Le principal mérite de cet ouvrage est dans la collection de ces vieux documents qui servent de preuve à ce que nous écrivons nous-même.

Avant nous, M. l’abbé (aujourd’hui chanoine) Caron a traité surtout de l’histoire religieuse d’Yamachiche, avec une parfaite compétence, ayant en main les archives de cette paroisse. M. F. L. Desaulniers a publié les généalogies des familles tirées des registres ecclésiastiques et de l’état civil, signalant en même temps les hommes distingués qui, par leurs talents, ont brillé dans le monde et dans l’Église, donnant du relief à leurs noms, à leurs familles, à leur paroisse.

Il nous restait le sol, ses possesseurs primitifs et successifs et ses premiers défricheurs. Nos recherches ne devaient guère dépasser cette limite, et nous avons cru juste de donner pour titre à cette publication, « les Bases de l’histoire d’Yamachiche. »

L’Hon, juge L.-O. Loranger nous avait dit un jour : « L’histoire des commencements d’Yamachiche, de ses fiefs et seigneuries, serait un utile travail à faire ; quelqu’un devrait l’entreprendre ; et ce quelqu’un, c’est vous ; vous avez le goût des recherches ; vous avez l’habitude des études sérieuses, et votre retraite du service public vous laisse des loisirs. Si vous ne le faites pas, personne ne le fera plus tard. C’est aujourd’hui le temps »

Nous acceptâmes ce jugement de notre honorable ami, comme une condamnation au travail forcé, avec la résolution de la subir consciencieusement.

Nous avions déjà recueilli des documents suffisants pour démontrer, d’une manière certaine, quels ont été les premiers habitants établis sur le territoire arrosé par les rivières d’Yamachiche, et sur quel point de la paroisse ils s’étaient d’abord groupés.

En retraçant l’histoire des fiefs dont était composée la paroisse d’Yamachiche, notre démonstration n’en devient que plus complète. Les faits principaux s’en dégagent tout naturellement. Ce travail n’a pas été pour nous une pénitence sans compensation. Quand on remue les vieux papiers on ne trouve pas tout de suite ce que l’on cherche, mais que de choses instructives sur les événements du passé s’offrent à nos yeux, piquent notre curiosité et demandent une note, agrandissant l’horizon de nos recherches. Dès que le document désiré se découvre, jetant une lumière éclatante sur des faits, des points d’histoire embrouillés ou faussés, le plaisir et la satisfaction qu’on en éprouve reposent l’esprit de toute fatigue. Nous n’avons donc pas eu l’occasion ni la tentation de maudire notre juge, durant le temps alloué par la coutume, après la sentence. Au contraire, nous l’en avons loué et remercié, sachant qu’il n’avait en vue que l’intérêt d’Yamachiche et qu’il aime, autant que nous, notre commune paroisse natale. Nous livrons aujourd’hui ce travail à l’examen des lecteurs patients et bienveillants.


Tout le terrain compris dans les limites de la paroisse d’Yamachiche, à l’époque de son érection civile, étant divisé en trois fiefs ou seigneuries, il nous a paru utile d’étudier et de faire connaître exactement ces fiefs sur lesquels on retrouve les berceaux des premiers enfants de cette grande et belle paroisse.

Cette étude, au moyen d’écrits authentiques trouvés aux vieilles archives des Trois-Rivières. de Montréal et d’Ottawa, nous permet de faire remonter l’histoire du fief de Grosbois à près de cinquante ans avant l’arrivée des premiers colons à Yamachiche, et de révéler des faits et des actes dont le souvenir avait été perdu.

Il n’y a pas longtemps encore, les anciennes archives étaient considérées comme du vieux papier bien inutile, comme des bagatelles encombrantes qu’on aurait dû brûler. De nos jours, ils sont nombreux les amateurs de la vérité qui les recherchent et s’en servent utilement pour élucider des faits historiques mal interprétés.

Nous avons suivi ce bon exemple, et nos découvertes nous imposent la nécessité de modifier beaucoup de nos impressions anté- rieures, et en même temps, celles d’autres publicistes qui, dans un esprit très louable, ont bien voulu contribuer à l’étude de l’histoire locale d’Yamachiche.

Tous les faits et renseignements que nous allons donner sont appuyés sur ces documents. Nous les citerons dans notre texte au lieu de faire des renvois au bas des pages.

Nous avions, à Yamachiche, une ancienne tradition disant que « trois frères venus du Cap-de-la-Magdeleine ou des Trois-Rivières s’étaient établis les premiers à Yamachiche, s’étaient logés sur la petite Rivière, et que d’autres étaient venus plus tard se joindre à eux, assez nombreux en quelques années pour former une paroisse. Gelinas était le nom de ces trois frères. Un seul conserva le nom de Gelinas, l’autre prit le nom de Bellemare, le troisième prit celui de Lacourse. Ils furent les souches des trois familles portant ces noms. »

Cette tradition constante et uniforme ne fixait pas la date du premier établissement. Cette date était perdue dans la nuit des temps, comme tout ce qu’on ignore du passé.

En 1897, 23 février, M. Francis Bellemare, citoyen marquant d’Yamachiche, étant mort, nous avons dit de lui, dans une notice nécrologique :

« Il descendait en ligne directe de l’un des trois frères premiers colons de cette paroisse du Cap-de-la-Magdeleine, en 1703, pour y défricher des terres en pleine forêt, sur la rivière d’Yamachiche. La première terre mise en culture par ce vaillant pionnier, ayant passé de père en fils, est maintenant encore en la possession de sa descendance ; et c’est sur ce domaine patrimonial que M. Francis Bellemare est venu au monde en 1814. Ce premier colon, son ancêtre, était Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare, et son épouse Jeanne Boissonneau dit St-Onge, souche première de tous les Bellemare du Canada. »

Tout cela était bien conforme à la tradition, si ce n’est que nous avions accepté la date de 1703 sans vérification.

À notre époque on regarde les traditions avec défiance ; et on a raison ; elles peuvent être si facilement changées, altérées et faussées. Il n’est donc pas étrange qu’on ait mis en doute partie des affirmations contenues dans cette notice nécrologique.

Comme une tradition ne vaut qu’aussi longtemps qu’elle n’est pas contestée, à moins qu’on ne puisse l’appuyer sur des faits ou des preuves écrites, nous avons compris que le temps était venu de remonter aux sources de l’histoire d’Yamachiche, afin de voir si la nôtre était susceptible de preuve.

Nous prétendons avoir fait cette preuve amplement.

Les lecteurs qui se donneront la peine de lire ce travail pourront dire si elle est complète et satisfaisante.


Nous déclarons erroné tout ce qui, dans nos écrits antérieurs, n’est pas d’accord avec le contenu de la présente publication.
R. B.