Les aventures extraordinaires de deux canayens/02/I

Imprimerie A.-P. Pigeon (p. 48-51).

I

BOULEVERSEMENT MONDIAL.


Depuis près de trois mois une agitation inaccoutumée troublait les populations de l’univers.

Ce malaise inexplicable, étrange, se remarquait partout sur les deux hémisphères, ceci du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest.

En effet, de l’Archangel à l’Arabie, des Indes à l’Océanie, l’Afrique toute entière, enfin tout le monde fût-il civilisé ou barbare, savant ou ignorant, rien ne fut épargné, pas même les deux Amériques, depuis la Terre de Feu aux habitations luxueuses des Pieds Noirs en l’Isle de Montréal.

Cette agitation, ou plutôt cette inquiétude avait pour cause l’apparition d’un phénomène météorologique, phénomène qui bouleversait la quiétude publique et qui éveillait l’attention du monde scientifique à un tel point que la presse des deux mondes s’en empara et on vit surgir de nombreux articles et commentaires qui firent momentanément oublier les soucis de la grande guerre.

En effet des manifestations singulières, presque surnaturelles, avaient été remarquées, tout d’abord par les astronomes, puis par les autorités militaires des grandes puissances de plus en plus en garde contre les aéroplanes et autres dirigeables, instruments terribles de destruction aérienne.

Enfin le public lui-même avait pu se rendre compte et observer de lui-même ces singularités.

Ces phénomènes, disons-nous, étaient caractérisées par l’apparition irrégulière et inexplicable d’une masse parfois sombre, d’autres fois lumineuse, qui occupait les régions élevées de l’éther. Parfois même on eut pu la prendre pour une étoile filante ou une comète.

Qu’est-ce que cela pouvait bien être ?

Les astrologues intrigués braquèrent leurs télescopes les plus puissants et afin de savoir ce qui en était observèrent les moindres recoins du ciel. Enfin, après bien des hésitations — ce qui est permis pour une chose de cette importance — ils finirent par déclarer que ce phénomène devait être un bolide détaché sinon d’une étoile de notre système planétaire ou sinon d’une provenance inconnue. Naturellement il était très important de connaître au juste la vitesse et la marche de ce bolide, car il était essentiel de savoir s’il ne lui prendrait pas la fantaisie de venir en contact avec notre planète, et alors quels pourraient en être les résultats et les catastrophes qui en seraient la conséquence.

De là l’inquiétude universelle.

La presse, naturellement, trouva le champ fertile et nos bons amis les reporters en profitèrent pour y glaner toute une moisson de faits divers plus ou moins sensationnels, dont ils confectionnèrent des articles mirifiques. Les extras succédèrent aux extras et les journaux se vendirent comme des petits pains.

En effet le sujet en valait la peine et nous ne pouvons blâmer nos excellents amis de cette bonne aubaine.

Tous se mirent donc à l’œuvre pour trouver des renseignements pouvant éclairer les lecteurs.

C’est à cette fin qu’un reporter du « Canard ».

C’est à cette fin qu’un reporter du « Canard » de Montréal, au Canada, ayant été interviewer un astronome bien connu de Westmount, celui-ci lui apprit qu’un médecin montréalais, astronome distingué, avait prévu vers 1878 le phénomène en question, que du reste il avait lui-même écrit à ce sujet à M. Camille Flammarion et attendait incessamment une réponse de ce dernier.

Le « New York Herald » publia un article disant que les astronomes de l’observatoire de l’Université Columbia avaient observé que le susdit bolide se dirigeait avec une rapidité vertigineuse vers le Nord-Est, et que d’après les calculs il ne devait pas être à une distance fort éloignée de la croûte terrestre.

Le « Times » de Londres confirma ces observations en disant que le bolide qui semblait se rapprocher sensiblement de la terre, avait passé au-dessus des Îles Britanniques semblant se diriger vers le continent européen.

Le « Petit Parisien » écrivit que les directeurs de l’observatoire de Paris avaient remarqué que non seulement ce bolide que l’on pouvait remarquer en France, non seulement se rapprochait sensiblement mais aussi et chose singulière était par intermittence lumineux.

Les journaux hollandais publiaient ceci par l’entremise de la « Presse Associée » des articles d’autant plus intéressants qu’ils donnaient l’opinion de la presse allemande, d’après ceux-ci, les grands quotidiens berlinois n’osaient trop se prononcer et restaient dans une prudente réticence. La « Gazette de Francfort », journal semi-officiel, allait jusqu’à prétendre que le fameux bolide ne devait être qu’une manifestation du « Gott » allemand, et que dans ce cas les Alliés n’avaient plus qu’à bien se tenir.

Trois jours plus tard, « The Melbourne Gazette » lançait la nouvelle incroyable que le bolide avait été observé en Australie et se dirigeait vers le continent asiatique.

Le « Jiji » de Yokohama publia peu après des articles et câbla que l’Observatoire Impérial du Japon avait également observé le bolide qui sans hésitation allait vers la Corée ou la Sibérie.

Décidément, pour un singulier météore, c’était un singulier météore qui changeait de route avec la plus grande facilité et qui semblait avoir des caprices de jolie femme. Naturellement, et cela se conçoit, la chanson se mit de la partie et les cafés-concerts firent fortune.

Comme cela se conçoit il s’engagea dans les journaux des discussions véhémentes et des polémiques qui menacèrent de devenir sanglantes.

Une des plus fameuses à ce moment et qui fera sans contredit époque dans les annales du journalisme, fut celle qui s’engagea au Canada, dans la bonne et pourtant si pacifique Province de Québec, entre le « Nicolétain » et le « Trifluvien ».

Toutes ces recherches, tous ces cris, ces torrents d’encre répandus donnaient à réfléchir, et nous ne pouvons nous étonner si le monde entier dans l’attente se demandait : Que va-t-il arriver ?

Était-ce qu’un vulgaire bolide qui ne faisait que traverser la couche éthérée qui entoure notre planète, ou un météore formidable qui menaçait la terre et s’il venait en contact avec elle pouvait avoir des conséquences si non fatales, du moins terribles.

Tous attendaient donc dans l’anxiété la plus grande lorsqu’un beau matin l’incroyable nouvelle que nous allons lire vint jeter les peuples du globe dans la plus étrange des perplexités.