Les aventures de Perrine et de Charlot/28

Bibliothèque de l’Action française (p. 223-228).



XXVI

Charlot s’échappe


Charlot se réveille au petit jour. Vivement, il se frotte les yeux. Qu’il a dormi longtemps, et que ce repos lui a été salutaire ! La faim le tenaille. Il se lève, boit et mange, se remémorant petit à petit les événements de la veille.

Le reste de la journée, accoudé à la fenêtre, il concerte son plan de délivrance. Il ne fuira que la nuit prochaine, au retour de ses compagnons. Et pour cause. Comment tromperait-il la confiance d’Iouantchou qui, en définitive, n’a pas voulu l’enfermer, hier. Bon Iouantchou, comme Charlot lui est attaché, et qu’il saura plus tard le récompenser. Un jour, certainement, il sera grand, fort, et qui sait, riche et puissant.

Charlot se rassure peu à peu sur les conséquences de sa fuite. Il compte sur les mensonges ingénieux du capitaine huron. Tout fier des huit pièces d’or que Charlot déposera bien en évidence sur son lit, entourées de sa petite blouse bleue, le sagamo tirera bien tout le monde de cette impasse. À Iouantchou, Charlot laissera aussi une pièce d’or avec son collier de porcelaine. Sur un papier, il lui dira en langue sauvage, oh ! avec sa grosse et vilaine écriture, le cher petit n’est pas, un scribe, tout simplement ceci : « Charlot t’aime, Iouantchou. »

Le soir, vers huit heures, les sauvages sont de retour. Ils entrent dans la chambre de Charlot. Le capitaine huron a l’humeur sombre, et repousse Charlot qui s’offre gentiment à le débarrasser de son manteau. Iouantchou sourit à l’enfant. Il le complimente sur sa mine qu’il trouve tout autre qu’au départ. « Qu’a donc fait le petit pour se guérir, demande-t-il ? Depuis des mois, il n’a eu un visage aussi vivant, aussi heureux ! » Le capitaine huron, à ces paroles, se retourne vivement et fixe Charlot de son œil soupçonneux. Il l’appelle. Un petit interrogatoire suit. « A-t-il vu quelqu’un ici durant leur absence ? Ne lui a-t-on rien donné ? Qu’il vide ses poches devant lui. » Charlot obéit, tandis qu’Iouantchou s’éloigne en haussant les épaules. Au moment Charlot, angoissé, déploie sa ceinture que gonflent un peu les pièces d’or, un vase en porcelaine, appartenant au capitaine huron, tombe sous le geste maladroit d’un jeune sauvage. Il se brise en mille fragments. La colère du Huron éclate, terrible. D’un coup de pied, il envoie Charlot rouler dans un coin et se précipite en rugissant sur le sauvage malchanceux. Avec peine, on lui arrache sa victime qui hurle de douleur, et dont la joue droite porte une balafre. Elle saigne abondamment. Le tomahawk, toujours prêt du capitaine huron, a fait son œuvre.

Deux heures plus tard, tous sont au lit. Charlot se sent calme, plein de sang-froid et de courage ! L’heure de sa fuite va sonner bientôt. Onze heures ! Comme tout devient silencieux dans l’auberge. Minuit ! « C’est le moment, » se dit Charlot. Doucement il repousse ses couvertures. Il apparaît tout vêtu. Cela va sauver du temps, et la veille au soir, comme les deux jeunes sauvages, qui reposent près de lui, fort occupés l’un de l’autre, ne le regardaient pas, il s’était vite couché ainsi. Charlot s’approche des deux lits voisins. Quelle respiration régulière et paisible soulève la poitrine des dormeurs ! Il s’éloigne. Il pénètre dans la chambre des trois sagamos. Charlot doit la traverser pour atteindre le grand corridor de la maison. Le capitaine huron et son compagnon ronflent bruyamment.

« À la bonne heure, » se dit Charlot. Au passage, l’enfant dépose sur le lit de son maître les pièces d’or enveloppées dans sa blouse bleue. Maintenant le voilà debout, auprès d’Iouantchou. Son cœur bat à se rompre. Dort-il ou ne dort-il pas son constant défenseur ? Quelle étrange immobilité est la sienne ! L’enfant se penche. Soudain, comme si Iouantchou eût senti le chaud regard de l’enfant posé sur lui, il ouvre les yeux, et se dresse sur son séant. Charlot a juste le temps de se glisser sous le lit. Le sauvage, durant quelques instants, regarde curieusement autour de lui. « Qui va là, » dit-il à voix basse ? N’apercevant personne, ne recevant aucune réponse, il se rejette en arrière et bientôt se rendort. Charlot demeure encore un bon quart d’heure sans remuer ; puis, lentement, il se soulève, place près de l’oreiller d’Iouantchou une petite enveloppe bien close et sort. D’un bond il traverse le corridor et atteint la galerie. Il enlace un des piliers, suit sa courbe capricieuse du haut jusqu’en bas, et, plus tôt qu’il ne l’aurait cru, met le pied sur le sol. La rue déserte s’offre à sa vue. De quel côté va-t-il diriger ses pas ? Hé ! Charlot le sait bien et malgré lui sourit de plaisir. Il ira, aussi vite que ses jambes affaiblies le permettront, jusqu’à la maison de la bonne hôtesse, aux brioches dorées. Il frappera au volet de sa fenêtre. N’habite-t-elle pas la chambre du bas, à droite de l’auberge ?

Aux premières lueurs de l’aube, Charlot est parvenu au terme de sa course. Ses doigts s’accrochent au volet qu’il reconnaît. Il le secoue. On vient. Une figure tendre, encadrée de cheveux blancs se penche à la croisée. C’est la bonne hôtesse. Le cœur de Charlot soudain est inondé de paix. Sauvé ! il est sauvé ! Celle-ci, apercevant l’enfant, pousse un cri qu’elle étouffe aussitôt. Elle tend vivement les deux mains, et Charlot saute à l’intérieur de la chambre. L’espace d’une seconde, tous les deux se considèrent gravement. Puis, Charlot est aux pieds de la vieille dame, haletant, pleurant, et s’exclamant d’une voix entrecoupée : « Oh ! Madame, merci, merci ! » La bonne hôtesse ne bouge pas. Elle le regarde, stupéfaite. Quoi ! le petit sauvage parle le français. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qui serait-il donc ?

Mais compatissante toujours, elle domine son étonnement et relève l’enfant. Elle le presse avec affection contre elle. Elle le conduit vers un large fauteuil, l’y installe, sort vivement et revient un bol fumant à la main.

la bonne hôtesse

Bois, petit, ce lait chaud. Il te remettra. Tes mains sont glacées. Tu trembles. Il ne faut pas être malade, maintenant que te voilà en sûreté. Et tu vas dormir un peu. Quelle nuit tu as dû passer, n’est-ce pas ? Je cours à une messe matinale tandis que tu te reposeras. À mon retour, nous causerons. Tu me diras tout.

Charlot fait signe que oui à maintes reprises. À quoi donc ne consentirait-il pas ? Il se sent si heureux. La voix de la bonne hôtesse est réconfortante, si douce, et sûrement qu’il va dormir. Ses yeux déjà se ferment. À peine entend-il sa protectrice s’éloigner, puis revenir pour le couvrir d’une bonne flanelle chaude. Ah ! la clef a-t-elle tourné dans la serrure ? Oui… Oui !…

Et Charlot, dont la pauvre figure tachée de larmes, n’a plus aucune contraction, ne respire plus l’angoisse, succombe à sa lourde fatigue.