Les aventures de Perrine et de Charlot/11
IX
Larmes séchées
Les deux premiers jours sont employés par les nouveaux colons à faire connaissance avec tous et à explorer les alentours. Perrine et Charlot sont accueillis avec une chaude sympathie.
Mais de nombreuses distractions ne peuvent consoler Charlot de l’absence de Julien. Et, en cet après-midi où il fait du beau soleil, pourtant, il est assis tristement sur le banc près de la maison de Jean Bourdon. Son arc et ses flèches sont à sa portée. Il est seul ; Perrine vient d’entrer, appelée par la grand’mère Le Gardeur.
Soudain, Charlot ne fait qu’un bond. Il s’élance. Julien arrive doucement. Mais qu’a-t-il donc ? Pourquoi est-il si sombre ? Pourquoi le regarde-t-il avec ses gros yeux pleins de larmes ?
Hélas ! Charlot ne comprend que trop. Avec des sanglots il se cramponne au bras du matelot : « Non, non, je ne veux pas que tu partes, Julien. Non, oh ! non. »
Ses pleurs attirent l’attention. On vient. Madame de Repentigny, accompagnée de Perrine, s’avance rapidement.
« Que se passe-t-il ? » dit-elle effrayée.
Perrine devine comme tout à l’heure a deviné Charlot. Julien doit partir. Elle entoure son frère de ses bras et essaie de le calmer. Il résiste. Il est en proie à une véritable crise de désespoir. Julien l’idiot ne bouge plus. Seuls ses yeux ont un peu d’affolement. L’émotion, la gêne qu’il éprouve en présence de Mme de Repentigny le paralysent.
Vous partez, Julien ? Où allez-vous donc ? Vous m’en voyez étonnée. M. de Courpon que nous avons vu hier n’a pas soufflé mot de ce départ.
Nous appareillons pour Tadoussac, Madame.
Vraiment ? Qu’y allez-vous faire mon ami ?
Je ne sais pas, Madame. Ça regarde mon capitaine.
Madame de Repentigny réprime un sourire. Puis, caressant les boucles de Charlot :
Allons, cher petit, console-toi. Nous irons le voir à Tadoussac, ton ami Julien. Un beau canot d’écorce nous y mènera.
Charlot ne répond pas. Des sanglots nerveux le secouent. Ses petits doigts s’accrochent, convulsifs, aux mains du matelot. Soudain, celui-ci saisit Charlot dans ses bras, et tout en le tenant serré contre lui, se laisse tomber sur le banc près de la maison. Doucement, bien doucement, il écarte du front de l’enfant les cheveux trempés de larmes. Il y appuie en tremblant ses lèvres. Puis sa tête, courbée sur l’orphelin, ne se relève plus.
Catherine de Cordé s’approche, appuyée au
Marie, que veut dire cette scène ? Pourquoi se lamente-t-on ainsi ?
Chère mère, c’est le départ de Julien qui navre Charlot. Nous ne savons que faire.
L’amitié de ce matelot, un peu idiot mais très bon, pour notre petit protégé, est une des choses les plus touchantes que je connaisse. Sur le navire, il a veillé sur l’orphelin avec des soins inimaginables.
Ils sont gentils, madame, ces mioches, et fort attachants. Cela se comprend. Julien vient vous apprendre, sans doute, que le navire de M. de Courpon fait voile demain pour Tadoussac ?
Oui, et j’en suis, Monsieur, fort surprise.
Voici. Nous sommes à l’époque de la traite des fourrures, et un sauvage qui nous est arrivé, il y a quelques heures, nous signale l’arrivée imminente à Tadoussac, de quatre ou cinq cents Algonquins. L’équipage de M. de Courpon sera très utile là-bas.
Catherine de Cordé s’est assise près de Julien. Pensive, elle effleure avec des gestes doux les mains frémissantes de Charlot. Enfin elle se lève et se dirige vers Jean Bourdon.
Mon cher hôte, pouvez-vous disposer d’une heure et me la consacrer ? Nous monterions sous votre escorte, ma belle-fille et moi, jusqu’au fort Saint-Louis. M. de Courpon doit y être.
Je suis à vos ordres, Madame.
Cette bonne grand’maman nous prépare une douce surprise. Sa physionomie la trahit.
Tut, tut, Marie. Sornettes que tout cela ! Partons.
Une heure plus tard, Catherine de Cordé et Jean Bourdon sont de retour. La figure de l’aïeule resplendit. Le succès, évidemment, a dépassé ses espérances. Elle se glisse un peu lasse sur le banc. Julien et les enfants y sont demeurés. Aucun d’eux ne bouge. Charlot, épuisé par sa crise de larmes, s’est endormi sur l’épaule du matelot. Une de ses mains, toute crispée, tient encore fermement le col de Julien. Perrine tresse en soupirant une couronne de feuillage.
Je ne comprends pas, Madame. Qu’est-ce qu’il a dit mon capitaine ? C’est lui qui commande, Madame. Pas d’autres.
Voici, mon brave Julien. Écoutez-moi avec attention. Votre capitaine vous commande de rester ici, de prendre soin de Charlot lorsque je le désirerai, et à d’autres heures de travailler sous les ordres de M. de Saint-Jean. Cela vous va-t-il ? Suis-je plus claire que tantôt ?
Ah !… c’est mon capitaine qui…
Si mon capitaine a ordonné, Madame, il faut obéir.
Ah ! Ah ! je reste avec mon petit ami alors… Ah ! Ah !… il est bon, mon capitaine ! Il pense à tout. Ah ! Ah !…
Mon brave homme, c’est Madame…
Lentement, bien lentement, la vérité pénètre dans l’esprit de l’infirme. Il tressaille. Avec un cri, et tenant toujours Charlot, il se jette aux pieds de Catherine de Cordé.
Madame, Madame, je comprends !… Ah !…
Pauvre garçon ! Je vous crois. J’ai confiance. Allons, remettez-vous, et expliquez toutes choses à Charlot qui s’éveille et nous regarde effrayé.
Souvenez-vous pourtant de ceci, Julien. Vous répondez sur votre tête