Les anciens couvents de Lyon/35.3. Sainte-Marie-des-Chaînes

Emmanuel Vitte (p. 606-612).

SAINTE-MARIE-DES-CHAÎNES



QUELQUES mois avant la mort de sainte Chantal, un troisième monastère se fondait à Lyon. Une jeune fille originaire du Bugey, Mlle Antoinette de Montvert, qui avait une sœur déjà religieuse au couvent de Bellecour, allait être l’instrument dont Dieu se servirait pour agrandir encore la famille de saint François de Sales. Seule héritière de la maison du sieur Melchior de Montvert, bourgeois de Lagnieu, elle était très recherchée dans le monde et de brillants partis lui étaient offerts. Ses désirs secrets la poussaient vers Dieu ; aussi, sans rien manifester de ses projets, demanda-t-elle à ses parents la permission d’aller à Lyon dire adieu à sa sœur, avant de s’engager dans les liens du mariage. Cette permission lui fut aisément accordée. Elle pénétra dans le monastère, et après qu’elle y fut entrée, elle n’en voulut plus sortir. Après y avoir demeuré quelques jours, elle découvrit son dessein à la supérieure, qui était sa cousine, Mme de Blonay. Voulant se faire religieuse, ayant des biens dont elle pouvait disposer, elle fut remplie de joie à la pensée qu’on lui suggéra qu’elle, pouvait fonder dans notre ville un troisième monastère.

Mais cette fondation nouvelle rencontra un obstacle de premier ordre dans l’opposition absolue du cardinal de Richelieu, qui longtemps ne voulut en entendre parler. Mgr l’archevêque de Vienne, alors présent dans notre ville, voulut profiter de cette situation, et offrit à plusieurs reprises sa ville archiépiscopale pour la fondation projetée, mais M. Deville, alors grand vicaire de Lyon et custode de Sainte-Croix, finit par obtenir l’approbation de Son Éminence, qui vit la jeune fondatrice, et en fut si touchée, qu’elle voulut elle-même chercher et choisir le futur local du nouvel établissement.

Ce choix fut définitivement fixé sur un emplacement agréable
veüe du pont de chaîne qui ferme la rivière de saône à lion
de la rive gauche de la Saône, à l’extrémité de la ville. Il y avait là une belle maison, avec de frais ombrages, ce bon air et beau promenoir », appartenant à un citoyen de Lyon, originaire de Milan, nommé Moneri. Cette propriété fut achetée, et le contrat de fondation, en date du 16 mai 1640, put recevoir son exécution. Cette maison devint le troisième monastère de la Visitation à Lyon, et prit le nom de Sainte-Marie-des-Chaînes, à cause du voisinage des chaînes qui étaient tendues sur la Saône pendant la nuit, pour empêcher l’entrée furtive dans la ville des bateaux et des marchandises. Cette appellation, jointe à un autre fait dont nous parlerons plus bas, nous aidera à déterminer d’une façon plus précise l’emplacement du monastère.

Pour l’établissement de ce nouveau couvent, les sœurs de Bellecour désignèrent comme supérieure la sœur Anne-Marie Pillet, qui s’était distinguée pendant la peste, qui avait fondé la maison de Villefranche dont elle fut six ans supérieure, et qui devait mourir à Bourg-en-Bresse. Elles lui donnèrent pour compagnes sœur Marie-Hélène Bernardon, qui, après avoir été assistante de la première supérieure, devint supérieure à son tour et resta trente-cinq ans dans cette communauté, sœur Louise-Catherine Vernat, sœur Marie-Bonne de Séverat, sœur Jeanne-Charlotte de Montvert, sœur de la fondatrice, sœur Marie-Sibille Bruyas, et sœur Marie-Françoise de Lestang. Conduites par messire Claude Deville, docteur en théologie, custode de Sainte-Croix et vicaire général substitué de Son Éminence, toutes ces religieuses arrivèrent à Sainte-Marie-des-Chaînes le 26 septembre : les Almanachs de Lyon disent le 27, mais le livre du couvent que j’ai sous les yeux dit le 26 ; elles ne furent réellement installées que le 29. Ce jour-là, on célébra la sainte messe, et les religieuses commencèrent à réciter l’office divin, « le reste des cérémonies étant différé à cause du bâtiment du chœur et accommodement de la chapelle, qui ne put être parachevée que le 25 du mois de mars, jour de l’Annonciation de Notre-Dame, auquel jour on exposa le très saint Sacrement, on bénit la chapelle et tout le monastère, et l’on mit entièrement la clôture ».

Trente ans plus tard, sœur Louise-Catherine Vernat étant supérieure, le 4 janvier 1671, l’église fut consacrée par Mgr Camille de Neuville, sous le vocable de saint François de Sales. Ce fut la première église dédiée et consacrée en France à l’honneur de cet aimable saint, ce La dévotion et le concours de peuple y furent extraordinaires, dit le court récit de la supérieure, nonobstant l’inondation des eaux qui était grande, occupant les rues jusques proche de notre monastère. » Je ne pourrais donner une idée de cette église, mais le chœur devait être grand, car il comprenait trente-sept stalles pour les sœurs choristes, y compris celle de la supérieure, ce qui faisait dix-huit stalles de chaque côté ; il y avait aussi trois grands bancs pour les sœurs associées. On y remarquait un grand tableau représentant un crucifix, avec la sainte Vierge et saint Jean l’Évangéliste de chaque côté de la croix, et sainte Madeleine au pied. La sacristie avait d’abord, en fait de linges d’église et d’ornements, été fournie par les sœurs de Bellecour, mais bientôt les religieuses de Sainte-Marie-des-Chaînes eurent complété cette partie du mobilier avec richesse. Ce monastère eut, à un moment donné, une très grande prospérité, on y compta jusqu’à trente novices.

Mais cette prospérité n’eut qu’un temps. En feuilletant les éloges funèbres des supérieures de Sainte-Marie-des-Chaînes, nous nous rendrons compte du changement de situation qui peu à peu s’opéra. Sœur Louise-Catherine Vernat, supérieure, mourut en 1689 ; il est dit d’elle : « Elle avait toujours l’œil de la prévoyance ouvert…, car il fallait avoir soin de l’entretien de plus de soixante personnes dont la communauté était composée, et payer de grands intérêts que l’on devait de l’achat de notre maison, et ses revenus très petits… Quand Dieu nous l’a ôtée, elle a vu cette maison beaucoup augmentée en de beaux fonds, sans dette et commodément logeable, à la réserve d’un bâtiment neuf qu’elle n’a osé entreprendre, pour y vivre selon la pauvreté évangélique. » Donc, à cette époque, il n’y avait pas de dette, mais, quoique commodément logeable, la maison était à reconstruire.

Dans la notice funèbre de Séraphique Baconnier, supérieure, on lit : « Il n’a pas tenu à elle que nous n’eussions aucune méchante affaire : sa charité usa de tous les moyens d’honnêteté pour éviter ce grand procès que nous avons contre MM. les comtes de Saint-Jean, de cette ville. »

Enfin, sœur Séraphique d’Honoraty meurt en 1729 ; il est dit d’elle : ce C’est à elle que nous avons l’obligation de nous avoir fait bâtir le bâtiment étant presque achevé fut éboulé entièrement. Cet événement, quelque triste qu’il fût, ne l’abattit point… elle ne laissa pas son ouvrage imparfait, elle fit recommencer sur nouveaux frais, elle eut la consolation de voir la fin de son entreprise, et notre maison achevée, qui nous était absolument nécessaire, étant très mal logées. »

De ces faits il ressort avec évidence que le monastère fut engagé dans les dettes, et même d’une manière considérable. Un peu plus tard surviennent les lois sur la conventualité, et alors l’existence du monastère fut mise en question. C’est en effet ce que prouve la pièce suivante :

« Ce jourd’hui, 23 juin 1753, la communauté capitulairement assemblée, au son de la cloche, dans la salle du Chapitre, à la manière accoutumée, la mère supérieure a dit qu’aucune des sœurs n’ignorait le fâcheux état des affaires temporelles du monastère, occasionné par les dettes considérables que l’on a contractées pour l’entretien des personnes qui le composent et des bâtiments qui en dépendent, que les choses en sont venues au point qu’il serait impossible de payer lesdites dettes et de subvenir à l’entretien des religieuses, ce qui l’a engagée d’avoir recours de leur avis à Son Éminence pour pouvoir prendre quelque arrangement capable de remplir ces deux objets, que l’on avait pu obtenir la permission de la Cour de vendre une partie des immeubles pour satisfaire les créanciers, que Son Éminence s’étant adressée à la Cour pour obtenir les secours nécessaires à la communauté dans les circonstances présentes, la commission établie par Sa Majesté pour ces sortes d’affaires a offert des pensions viagères pour les religieuses professes, à condition qu’elles consentiraient à l’extinction et suppression de ce monastère sans que néanmoins les dites religieuses soient obligées d’en sortir, avant qu’elles soient réduites au nombre de huit ou dix, et que jusque-là la conventualité subsisterait dans ledit monastère, qu’en conséquence de ladite réponse, le promoteur général du diocèse avait présenté requête à Son Éminence Mgr le cardinal de Tencin, archevêque et comte de Lyon, pour parvenir à ladite suppression et extinction et assurer parla le payement des dettes et la subsistance des religieuses de la maison, qu’il avait fait assigner la communauté à donner son consentement aux dites suppression et extinction, le 14 avril dernier, et qu’il était nécessaire de prendre un parti définitif, que c’est sur quoi elles ont à délibérer. » — Suit le procès-verbal de la délibération.

Les religieuses de Notre-Dame-des-Chaînes étaient alors au nombre de soixante-deux, elles délibérèrent et consentirent à l’extinction de la communauté quand elles ne seraient plus qu’au nombre de dix, c’étaient donc cinquante-deux décès à attendre. On devait donner deux cent cinquante livres de rente annuelle et viagère à chacune des religieuses. Mais l’avenir se chargea de modifier ce programme : la Révolution arriva la première ; car, en 1789, sœur Marie-Christine Conque est élue supérieure ; en 1790, au mois de novembre, les religieuses confirment une dernière fois leurs vœux, la vie conventuelle existe encore à Sainte-Marie-des-Chaînes. Mais n’importe, la Révolution ne frappa là qu’un agonisant qui allait mourir de lui-même. En 1807, 27 août, l’ancien claustral de ce monastère fut mis à la disposition du ministre de la guerre ; depuis cette époque, les soldats ont succédé aux filles de saint François de Sales, et cette circonstance nous aide à déterminer l’emplacement de Sainte-Marie-des-Chaînes ; il devait occuper les terrains où sont aujourd’hui la manutention militaire et les magasins d’habillement et de campement. Aujourd’hui il ne reste rien de l’ancien monastère, ni une pierre, ni un nom.

SOURCES :

Vies de saint François de Sales et de sainte Chantal.

Le P. Hélyot :Dictionnaire des ordres monastiques.

Le P. Maillaguet :Miroir des ordres religieux.

Clapasson, Chappuzeau, Guillon, Cochard, Montfalcon.

Manuscrit inédit du couvent de l’Antiquaille.

Les Premières Mères de la Visitation.

Archives municipales.

Lyon ancien et moderne : Antiquaille, Gendarmerie.

Revue du Lyonnais, février 1843.

Relation du voyage des Visitandines fuyant Lyon.

Archives du Rhône, VII, p. 241.

Histoire de l’hospice de l’Antiquaille, par Achard James.