Les anciens couvents de Lyon/22. Jésuites

Emmanuel Vitte (p. 401-414).

LES JÉSUITES



LA Compagnie de Jésus, fondée par saint Ignace de Loyola, fut, depuis son berceau jusqu’à nos jours, l’ordre essentiellement militant de l’Église ; aussi les tribulations ne lui ont-elles pas manqué dans tous les temps, et, de nos jours encore, est-elle sous le coup de la persécution. Nous allons en avoir une idée succincte dans un rapide exposé.

Saint Ignace naquit au château de Loyola, en Guipuscoa, l’an 1491, de dom Bertrand, seigneur d’Ognez et de Loyola, et de Martine Saëz de Balde. Il était le dernier de onze enfants et fut d’abord page du roi Ferdinand V. Il ne tarda pas à devenir officier, et se signala dans sa première campagne, au siège de Najarre. Jusqu’à l’âge de trente ans, ce fut un brillant gentilhomme qui goûtait avec ivresse ses succès mondains, et qui avait à l’armée une éclatante réputation de bravoure.

Mais en 1521, chargé de défendre le château de Pampelune attaqué par les Français, il est blessé d’un éclat de pierre à la jambe droite et d’un boulet de canon à la jambe gauche. C’est dans le repos forcé qu’il est obligé de prendre, à la suite de cette double blessure, que le bon Dieu l’attend. Pour se distraire en effet de son inaction prolongée, Ignace demande des romans, il n’y en a pas là. En fait de livre, on n’a à lui offrir que la Vie des saints ; il la lit pour s’amuser, d’abord sans aucun plaisir, mais ensuite, touché par la grâce, avec beaucoup d’édification. Alors de plus violents combats se disputent son âme : d’un côté la passion de la gloire et son attachement profond pour une dame de la cour de Castille, de l’autre la vanité de la gloire humaine, le néant de la vie qu’il comprend mieux que jamais, tels sont les sentiments qui l’agitent. Mais enfin la grâce triomphe, et quand il est en état de marcher, il se rend en pèlerinage au monastère de Montserrat, fameux par une image miraculeuse de Marie, il suspend son épée à un pilier de l’église, et renonce à la milice et à la gloire mondaine ; puis désireux de passer en Terre sainte, il continue son voyage. Mais la peste sévit à Barcelone et le port est fermé : pour attendre le moment favorable, il se retire, après avoir échangé ses vêtements contre ceux d’un pauvre mendiant, dans la petite ville de Manrèse, située à trois lieues de Montserrat.

Si Manrèse est célèbre aujourd’hui, elle était, avant saint Ignace, bien inconnue : elle avait cependant un couvent de Dominicains et un hôpital, où notre converti s’empressa de se mettre au service des malades. Peu à peu on apprit que ce mendiant était un gentilhomme, et Ignace, pour échapper à la faveur populaire qui commençait à se manifester, se retira dans une grotte déserte à six cents pas de Manrèse : c’est là qu’il composa son fameux livre des Exercices spirituels, qui mérita les plus grands éloges du pape Paul III.

Quand la peste a cessé à Barcelone et que le port est ouvert, il part de Manrèse, où il séjournait depuis six mois, et passe en Palestine. Ne pouvant y rester, et comprenant que pour travailler à la conversion des âmes, il fallait avoir des connaissances qui lui manquaient, il revient à Barcelone pour y apprendre le latin, il est alors âgé de trente-trois ans. Quand il possède la langue latine, il se rend à Alcala pour y suivre le cours de philosophie.

Dès ce temps où il est élève à Barcelone et à Alcala, on peut remarquer l’esprit de prosélytisme de saint Ignace. Il s’attache quatre jeunes gens ; ensemble ils s’exercent aux œuvres de charité et portent un costume particulier. Différentes intrigues ourdies par le mauvais vouloir de ceux qui l’entourent font suspecter saint Ignace, qui est jeté en prison et délivré ensuite. Il quitte Alcala et va à Salamanque, où il trouve les mêmes aventures et passe trois semaines en prison. Il quitte Salamanque et se rend seul à Paris pour y suivre les cours de l’Université.

Cependant, s’il se rend seul dans cette capitale célèbre, il ne tarde pas à se lier à des compagnons d’étude et à se faire des disciples. Mais cette nouvelle société rend encore notre saint suspect, et il est déféré à l’inquisiteur, qui, après avoir pris connaissance de cette affaire, le renvoie absous. Il continue ses études, est reçu maître ès arts et fait sa théologie. À mesure qu’il avance dans la connaissance des mystères de la foi, il forme le dessein d’établir une congrégation d’hommes apostoliques. Ce projet grandit, se fortifie, se réalise.

Le 15 avril 1534, dans une chapelle souterraine de l’église de Montmartre, sept jeunes gens sont à genoux. Ils se nomment Ignace de Loyola, Pierre Lefèvre, originaire de la Savoie, François Xavier, Jacques Lainez, Alphonse Salmeron, Nicolas Alphonse, surnommé Bobadilla, du lieu de sa naissance, enfin Simon Rodriguez, gentilhomme portugais. Pierre Lefèvre, le seul prêtre de cette compagnie, célèbre les saints mystères et distribue aux autres le pain des forts ; ils font ensuite tous ensemble vœu de chasteté et de pauvreté perpétuelles, et s’engagent à aller en Terre sainte, pour prêcher et mourir là où le divin Maître annonça sa doctrine et versa son sang. Mais dans le cas où ils n’auraient pas le pouvoir de séjourner en Palestine, ou même de s’embarquer après une année entière, ils s’obligent à se rendre à Rome, pour jurer obéissance au souverain Pontife sans exception de temps ni de lieu. Telle est le commencement de cette société fameuse, qui grandira bien vite et se fera dans l’Église une large place, par la multiplicité des œuvres qu’elle embrassera.

Après bien des craintes fondées et disparues, après bien des obstacles entrevus et surmontés, le souverain Pontife Paul III, par une bulle du 27 septembre 1540, confirma le nouvel institut, auquel il donna le nom de Compagnie de Jésus. Bientôt l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas demandèrent des Jésuites. La France ne les appela pas tout d’abord, et pendant une quinzaine d’années les Jésuites n’y eurent pas d’établissement ; mais comme les protecteurs ne leur manquaient pas, ils obtinrent, en 1550, le collège de Clermont, aujourd’hui Louis-le-Grand, à Paris.

Ces progrès continuèrent, et lorsque mourut saint Ignace, en 1556, à l’âge de 65 ans, il eut la consolation de voir son institut répandu dans le monde entier et divisé en douze provinces. La Compagnie de Jésus eut à subir des fortunes bien diverses, nous les constaterons en passant, dans l’historique des Jésuites à Lyon.

Les constitutions dressées par saint Ignace sont considérées comme un chef-d’œuvre. Le noviciat est de deux années, occupées presque exclusivement par la spiritualité ; après le noviciat, on fait un certain nombre d’années d’études, et ensuite un second noviciat d’un an. Outre les novices, il y a, dans la compagnie de Jésus, des religieux de trois degrés différents : les profès, les coadjuteurs, les scholastiques ; les profès sont de deux sortes : les uns de quatre vœux, les autres de trois seulement. Le supérieur général est perpétuel, il a auprès de lui cinq assistants et un admoniteur. Le costume est celui des prêtres séculiers.

Cet ordre est sans contredit celui qui a donné à l’Église le plus d’hommes célèbres ; de saint François Xavier au P. Félix, du cardinal Bellarmin au cardinal Franzelin, la liste en serait longue, et les savants, les théologiens, les orateurs, les apôtres, les saints y seraient nombreux : c’est une heureuse impuissance que celle où réduisent la richesse et la multiplicité des illustrations. Cet ordre a pour armes un nom de Jésus d’or, entouré de rayons de même en champ d’azur, avec cette devise : Ad majorem Dei gloriam.

Nous avons vu que les Jésuites eurent quelque peine à s’établir en France, mais une fois qu’ils y furent établis, ils ne tardèrent pas à y étendre leur action. Nous allons les voir s’installer à Lyon ; mais, pour bien exposer les faits, il est nécessaire de remonter un peu plus haut.

jésuite

Au quatorzième siècle, du port Charlet à la rue Neuve, il y avait des champs, des broussailles, des granges et des vignes, d’où viennent probablement les noms de rue Buisson, rue de la Gerbe. Ces champs et ces vignes avaient été acquis par la confrérie la plus nombreuse, la mieux choisie et la plus ancienne du royaume. Cette association datait de 1306, époque à laquelle elle se forma pour célébrer, avec une dévotion plus particulière et mieux marquée, la fête de la très sainte Trinité. Elle jouit paisiblement de ces acquisitions jusqu’en 1529[1]. À cette date, François Ier ordonna que les fonds possédés par les confrères seraient appliqués à des collèges, à des hôpitaux ou à d’autres bonnes œuvres pareilles. Les échevins, chargés par le roi de l’exécution de ce nouvel édit, traitèrent la chose à l’amiable avec les principaux de la confrérie. On convint, par un acte de 1527, que les granges et les vignes en question serviraient à la fondation et à l’entretien d’un collège public, mais à certaines conditions dont les principales furent : 1° que le nouveau collège porterait le nom de la Trinité ; 2° qu’on y ferait publiquement tous les jours certaines prières pour les confrères vivants ou défunts ; 3° que si le collège venait à être détruit, ses fonds reviendraient à la confrérie. Ce fut sur les remontrances de Symphorien Champier et par les sages conseils de Claude de Bellièvre que l’établissement du collège de la Trinité fut décidé par le Consulat.

Une fois en possession du terrain, le Consulat s’occupa de la construction des classes et du choix des régents. D’abord le collège ne fut qu’un externat où les écoliers étaient admis moyennant la modique rétribution de deux sols six deniers par mois. Mais, dès 1536, on augmenta le nombre des classes et l’on éleva les bâtiments nécessaires pour la « demeurance des commensaux ». Guillaume Durand, Lyonnais, fut nommé principal du collège, et l’on appela, d’ailleurs des professeurs distingués, Christophe Milieu, Gilbert Ducher, Claude Bigotier. Le plus renommé de tous fut Barthélémy Aneau, de Bourges, qui fut d’abord professeur de rhétorique, et ensuite, par deux fois, principal du collège. Aneau ne tarda pas à se faire en notre ville une large place, par son talent et sa réputation grandissante, mais comme il avait étudié à Bourges sous le fameux professeur Melchior Volmar, qui était un luthérien des plus zélés, sa foi, à tort ou à raison, fut vivement suspectée par ses ennemis, qui n’attendaient qu’une occasion pour le perdre. Cette occasion se présenta en 1561, le jour de la Fête-Dieu : au moment où la procession du Saint-Sacrement passait à l’extrémité de la rue Neuve, un forcené se précipita sur l’officiant, lui arracha des mains l’ostensoir et le foula aux pieds. Le peuple, témoin de cet attentat, entra en fureur, fit prompte justice de ce misérable, puis, excité par cette scène sanglante, il se précipita au collège et massacra l’infortuné principal dont il suspectait les croyances. Le collège fut fermé le lendemain.

Or, en 1560, le cardinal de Tournon avait proposé aux échevins les pères Jésuites pour la direction du collège ; le Consulat avait repoussé cette offre. Après le massacre de Barthélémy Aneau, le cardinal renouvela ses instances, le Consulat renouvela son refus ; il confia la direction du collège à maître André Martin, qui s’établit à Lyon le 15 octobre 1561, mais qui périt victime de la peste de 1565.

On sait quels étaient ces temps troublés ; la guerre religieuse désole notre province ; le baron des Adrets est maître de Lyon, pille et saccage tout. Mais, après la pacification, vient à Lyon un prêtre qui doit fixer un instant notre attention, le P. Emond Auger.

Fils d’un laboureur de la Champagne, Emond Auger était allé à Rome, où il avait fait la connaissance de saint Ignace, qui le fit entrer dans son institut. Six ans après la mort du saint fondateur, nous trouvons Emond Auger à Valence, qu’il remue par ses éloquentes prédications. Lorsque Lyon est débarrassé du baron des Adrets, il vient en notre ville. Il y déploya son zèle et son éloquence, et ses succès furent tels que vingt mille personnes, dit-on, se pressaient tant dans l’église que sur la place Saint-Jean, quand il disait la messe ou quand il montait en chaire ; on se foulait sur son passage, on touchait ses vêtements avec respect. Il n’est pas douteux que cet enthousiasme populaire, qui s’adressait à la personne de l’entraînant prédicateur, et par contre-coup à la Compagnie de Jésus, ait changé les dispositions des échevins. Quand l’archevêque de Lyon, après la peste de 1565, renouvela ses offres, le Consulat les accepta, et les Jésuites s’établirent au collège de la Trinité (1566).

Non seulement ils s’établirent au collège, mais une trentaine d’années après leur prise de possession, ils eurent à Lyon une maison professe, et plus tard ils établirent une succursale de leur collège sur la rive droite de la Saône ; étudions un peu ces trois établissements.

Le collège de la Trinité fut inauguré, sous la direction des pères Jésuites, le 3 octobre 1565, et l’on y appela des professeurs distingués, Creighton d’Angleterre, Passevin, Perpinien. Quatre régents enseignèrent la grammaire, un cinquième fut chargé de la rhétorique. Plus tard, le P. Emond Auger érigea une chaire de cosmographie et une de théologie.

Après deux ans d’essai, terme convenu entre le Consulat et les pères, le collège de la Trinité fut cédé aux Jésuites, avec cette clause cependant que, « si la congrégation venait à défaillir ou à délaisser, ce qu’à Dieu ne plaise, l’exercice dudit séminaire, la jouissance des bâtiments reviendrait à la ville ». Plus tard, les Jésuites ajoutèrent à leur programme l’enseignement de la philosophie ; trois nouveaux professeurs furent adjoints aux premiers, et la ville reconnaissante augmenta ses faveurs et ses dons pour les pères enseignants. La prospérité du collège allait grandissant.

Mais un jour cette prospérité s’écroula. Jean Châtel, fils d’un drapier de Paris, et élève du collège de Clermont, s’étant introduit furtivement dans l’appartement de Gabrielle d’Estrées, essaya d’assassiner Henri IV, qu’il blessa à la lèvre. Le jeune assassin fut condamné à mort, mais les Jésuites furent rendus responsables de son crime et expulsés du royaume (1594). Ceux de Lyon se retirèrent à Avignon, et leurs biens furent confisqués. Mais neuf ans plus tard, grâce à l’influence du P. Cotton, jésuite et confesseur d’Henri IV, un édit royal de septembre 1603 les autorisa à rentrer en France. Le 3 juillet de l’année suivante, à la suite d’un nouveau traité avec le Consulat, fort heureux de voir les pères revenir et désireux de voir le collège reprendre son ancien éclat, très diminué pendant leur exil, ils reprenaient possession du collège de la Trinité, avec une allocation de six mille livres.

Après cette reprise de possession, les élèves devinrent si nombreux que les locaux furent jugés insuffisants ; on songea à construire un nouveau collège. Martel Ange, frère jésuite et habile architecte, en rédigea les plans. Le collège actuel remonte à l’année 1607, et l’église à l’année 1617. Vers 1701, le père de Saint-Bonnet, astronome distingué, obtenait du Consulat la construction d’un observatoire ; c’est aussi vers cette époque que se forma cette riche bibliothèque, également remarquable par les ouvrages qui la composent et par le vaisseau qui les renferme.

Cette seconde époque de l’administration des Jésuites fut celle où leur enseignement à Lyon jeta le plus d’éclat. Ils eurent des professeurs remarquables : Antoine Milieu, Pomey, Joubert, humanistes distingués, le P. de la Colombière, le P. de Colonia, le P. Cotton, qui fut confesseur d’Henri IV, le P. de la Chaise, qui fut plus tard confesseur de Louis XIV. Mais le plus étonnant de tous fut sans contredit le P. Ménestrier, dont le portrait est à la grande bibliothèque de la ville, et dont le nom est attaché à cette rue qu’on appelle communément la Voûte du Collège. Je ne résiste pas au plaisir de le faire connaître davantage.

Claude-François Ménestrier, né en 1631, entra à quinze ans au noviciat des Jésuites, et dès lors il commença ses immenses travaux. L’histoire, le blason, les devises, les médailles, les inscriptions, les décorations trouvèrent en lui un chercheur passionné et un écrivain de mérite. Sa mémoire était prodigieuse, et l’on cite de lui à ce sujet des faits surprenants. Il fut longtemps professeur au collège de la Trinité ; il n’avait que trente-un ans quand on peignit les murs de la grande cour du collège sur ses dessins. Son grand titre de gloire, auprès de la postérité et des savants, est l’Histoire civile et consulaire de la ville de Lyon, histoire absolument nécessaire à ceux qui veulent étudier nos vieilles institutions et en approfondir la connaissance. Grand prédicateur, il eut à Paris, où il mourut en 1705, de brillants succès.

Les bâtiments du collège s’étendent du quai de Retz à la rue de la Bourse, et de la rue Gentil à la rue du Bât-d’Argent. Ce vaste parallélogramme est divisé par la voûte du collège ou rue Ménestrier, mais les bâtiments communiquent par trois ponts. On y trouve six cours intérieures, mais les bâtiments sont mal aménagés et l’ensemble n’a rien de beau. La bibliothèque, l’observatoire, l’église sont seuls dignes d’attention. La bibliothèque est remarquable par son étendue et par l’harmonie de ses proportions, elle a quarante-huit mètres de longueur, onze de largeur et treize de hauteur ; elle contient cent mille volumes. L’observatoire est une tour nue, carrée et pesante, qui a une hauteur de huit étages : de la terrasse on peut jouir d’un panorama splendide, et l’on voit encore, sur le carrelage, le méridien établi par les Jésuites. L’église est remarquable par la profusion des marbres qui la décorent, par la chaire à prêcher, et par le maître autel.

Le collège resta entre les mains des Jésuites jusqu’à leur seconde suppression, qui eut lieu en 1762 ; néanmoins on leur accordait un délai de huit mois, c’est-à-dire jusqu’au 1er avril 1763. À cette date ils furent chassés de France, et ceux de Lyon se retirèrent encore à Avignon. Comme nous le verrons plus tard, le collège passa dans les mains des Oratoriens, qui ne le gardèrent qu’une trentaine d’années. Alors la Révolution chassa les prêtres enseignants comme les membres des autres ordres. Après le siège de Lyon, le grand collège devint une caserne. En 1802, la Consulta italienne, qui devait fonder la république cisalpine et donner à Napoléon Bonaparte le titre de président, y tint ses séances ; là, le poète républicain Ugo Foscolo, l’ami d’Alfieri, refusa un don de six mille francs qu’on lui offrait pour faire l’éloge du premier consul, préférant à tout sa fière indépendance. Ensuite l’école centrale, qui était au palais Saint-Pierre, vint y mourir. Enfin, à la création de l’Université, le collège de la Trinité devint un lycée impérial, et l’Université y règne encore.

J’ai voulu aller jusqu’au bout de cette histoire du collège en groupant tous les faits qui s’y rapportent, mais il faut maintenant revenir en arrière, et parler de la maison professe de Saint-Joseph.

Le 6 juillet 1592, Louis-François de Rhodes donna, par testament, tout son bien pour bâtir une maison professe ; mais l’expulsion de 1594 ayant mis un arrêt momentané à ce projet, l’établissement n’eut lieu qu’en 1605. C’est au P. de Canillac, qui se fit jésuite lui-même en 1606, et qui voulut y employer une partie de son patrimoine, que l’on dut la réalisation du projet susdit. Le résultat fut la construction d’une maison de probation. Les Jésuites de la rue Sainte-Hélène conservaient un portrait de ce père, sur la toile duquel on lisait cette inscription : François de Montboissier de Canillac, recteur et principal bienfaiteur de la maison de probation de Saint-Joseph de la Compagnie de Jésus, et fondateur de la mission de Constantinople.

Citons de suite, pour n’avoir pas à y revenir, un autre bienfaiteur des Jésuites, soit au collège, soit à Saint-Joseph, Horace Cardon, gentilhomme lucquois, qui conquit son droit de cité par ses immenses bienfaits, et dont nous avons déjà parlé.

Le nouvel établissement des Jésuites était situé à l’angle de la rue Sainte-Hélène et de la rue d’Auvergne, et s’étendait à l’orient jusqu’à cette grande et "singulière maison qui a servi autrefois de caserne à la gendarmerie à pied, et qui fut jadis la maison des retraites. Ce vaste emplacement, de près d’un hectare, comprenait la maison professe, la maison de la congrégation, l’église de Saint-Joseph et la maison des retraites.

La maison professe ne fut d’abord qu’un noviciat destiné principalement aux exercices spirituels du troisième an, que les pères sont obligés de faire avant la profession solennelle. Le Consulat s’opposa d’abord à la fondation de cette maison, comme contraire au traité passé entre les religieux et les échevins pour la direction du collège de la Trinité, mais le P. Acquaviva, général des Jésuites, rectifia les clauses du contrat, et le Consulat révoqua son arrêté.

Le long de la rue d’Auvergne existait une congrégation de laïques sous la direction des Jésuites. Elle se réunissait d’abord dans une chapelle de l’intérieur de la maison ; mais, en 1643, les congréganistes achetèrent de leurs directeurs un emplacement, moyennant quinze cents livres et une rente de cent cinquante, pour y construire un bâtiment, avec cette clause que si les exercices venaient à cesser, les Jésuites ne pourraient rentrer en possession de cet immeuble qu’en payant aux congréganistes l’achat du terrain et les frais de construction. La chapelle de cette congrégation était ornée de belles boiseries et de plusieurs tableaux de Sarrabat.

L’église, sous le vocable de saint Joseph (la seconde qui, en France, fut placée sous ce patronage), occupait l’emplacement actuel du prolongement de la rue Saint-Joseph, qui alors n’était ouverte que jusqu’à la rue Sainte-Hélène. Elle fut bâtie grâce aux libéralités de François Clapisson, président des trésoriers de France, et de Marguerite d’Ullins, son épouse, vers 1620. Le roi Louis XIII, le cardinal de Richelieu, Horace et Jacques Cardon contribuèrent par leurs dons à son embellissement. On y remarquait le tableau du maître autel, attribué à Mutien, un Ecce homo du vieux Palme, un tableau de Le Blanc, et une chapelle du dessin de Delamonce.

La maison des retraites était contiguë à l’église ; elle fut élevée sur un terrain qui faisait jadis partie d’un emplacement acquis, en 1637, d’un sieur Claude Burlet. Ce terrain était considérable, puisqu’il put servir à la maison dès retraites, au jardin qui en dépendait, et à celui des chevaliers de, l’Arc, que les Jésuites avaient vendu à la ville. C’était, comme on peut le voir encore, une grande maison de cinq étages, dont chacun se composait d’un long corridor servant de communication à de nombreuses cellules, où logeaient ceux qui venaient s’y retirer. On y faisait régulièrement, dans le temps de Pâques, deux retraites de huit jours, et une, chaque mois, d’un jour seulement. Le P. de Broissia était chargé de la direction de cette maison.

Lors de la suppression des Jésuites, un arrêt du Parlement (1762) mit leurs maisons et leurs établissements à la charge des curés, en leur enjoignant de veiller à tout ce qui concerne la décence des vases sacrés et des chapelles intérieures et extérieures, le tout par provision et jusqu’autrement il y ait été pourvu. Il est donc à présumer que le clergé d’Ainay fut chargé de cette conservation.

À la Révolution, ce qui avait été les biens des Jésuites fut vendu comme bien national, l’église de Saint-Joseph fut démolie et la rue Saint-Joseph fut prolongée. Dans les premières années de ce siècle, l’administration prit en location l’ancienne maison des Jésuites, et en fit une prison jusque vers 1832, époque à laquelle le transfert de ce pénitencier à Perrache permit d’ouvrir la rue de Bourbon, de la rue Sainte-Hélène à la rue de Jarente. Cette affectation momentanée explique une locution qu’on trouve encore aujourd’hui dans le peuple, et qui depuis un demi-siècle n’a pas de raison d’être : être à Saint-Joseph, pour dire : être en prison. — La maison de la congrégation et la maison des retraites sont aujourd’hui des propriétés particulières.

À ces deux grands établissements de Jésuites, le collège de la Trinité et la maison professe de la rue Sainte-Hélène, il faut ajouter le Petit Collège, qui ne fut fondé que vers 1630. Pour les élèves habitant la rive droite de la Saône ou la colline de Fourrière, le Grand Collège était bien éloigné, et cet éloignement était préjudiciable à un grand nombre et à bien des points de vue. Gabrielle de Gadagne, veuve du marquis de Saint-Chamond, donna aux Jésuites du collège de la Trinité une somme de vingt-quatre mille francs pour fonder un second collège du côté de Fourvière, dans lequel on enseignerait trois basses classes. Le legs fut accepté, et le Petit Collège fut fondé. Le célèbre P. de La Chaisey fut recteur en 1668. Comme au Grand Collège, les Oratoriens remplacèrent les Jésuites, mais la révolution fit fermer les classes.

En 1802, les frères des Écoles chrétiennes, au nombre de vingt-six, voulant y former le centre de leur congrégation, y vinrent habiter avec leur supérieur général. Ils n’y restèrent pas longtemps, ils achetèrent plus tard l’ancienne maison des Lazaristes, qui est au-dessus du Petit Collège, et abandonnèrent cette première résidence. Plus tard encore, le noviciat fut transféré à Caluire, et la maison mère fut établie à Passy, près Paris.

Aujourd’hui, dans les bâtiments de l’ancien Petit Collège sont établis divers services : la chapelle, autrefois ouverte aux exercices religieux de certaines confréries, est maintenant fermée, la municipalité du cinquième arrondissement y est installée, La faculté de droit y a donné ses leçons, la faculté de théologie y faisait entendre naguère encore son haut enseignement.

On sait que la Compagnie de Jésus fut supprimée, en 1773, par le souverain pontife Clément XIV, mais elle fut rétablie par Pie VII, en 1814. Après bien des essais et des luttes, les Jésuites parvinrent à rentrer en France ; ils revinrent à Lyon, en 1832, et s’installèrent à nouveau dans la rue Sainte-Hélène, vers 1866. Leurs deux résidences de Lyon, Sainte-Hélène et Fourvière, étaient magnifiques, mais ils furent expulsés en 1880, en vertu des fameux décrets inventés par J. Ferry. Ils n’ont cependant pas quitté Lyon. Après avoir vécu quelque temps dispersés, ils sont aujourd’hui, soit à Sainte-Hélène dans leur ancienne résidence, soit à Fourvière ou aux Brotteaux, dans deux magnifiques maisons qu’ils viennent de faire construire, soit pour la direction spirituelle des âmes, soit pour l’éducation de la jeunesse. Leur externat de Sainte-Hélène est des plus florissants.

En constatant, à travers l’histoire, cette longue suite de luttes et de combats, de persécutions et d’expulsions, dont les Jésuites sont les héros et les victimes, quand on les voit renaître, pour ainsi parler, de leur tombeau même, on se répète, comme malgré soi, la grande parole de Lacordaire : Les moines sont comme les chênes, ils sont immortels.

SOURCES :

Le P. Hélyot, Dictionnaire des ordres monastiques.

Demogot, Collège, dans Lyon ancien et moderne.

Revue du Lyonnais, janvier 1867 : les Jésuites de la maison Saint-Joseph.

Archives du Rhône, tome VII, page 411, au mot Auvergne et tome XI, pages 81, 161, 337, 399.

Archives municipales.




  1. Dans l’ouvrage Lyon ancien et moderne, M. Demogeot dit que cette donation eut lieu en 1527, deux ans avant l’édit de François Ier, ce qui donnerait plus de prix à l’acte bienfaisant de la confrérie.