Les anciens couvents de Lyon/21. Jacobins

Emmanuel Vitte (p. 385--).

LES JACOBINS



lES Jacobins de Confort, tel était le nom sous lequel on désignait, à Lyon, les fils de saint Dominique. Quand ils vinrent à Paris, ils s’établirent rue Saint-Jacques, de là leur nom de jacobins, sous lequel ils furent connus dans toute la France. Nous verrons bientôt pourquoi ils s’appelèrent parmi nous les Jacobins de Confort. Auparavant disons un mot de saint Dominique et du grand ordre religieux qu’il fonda.

Dominique, né en 1170, à Colaroge, dans le diocèse d’Osma, en Vieille-Castille, appartenait à l’illustre et noble famille des Guzman. Il fut élevé avec grand soin, par ses parents d’abord, ensuite par un de ses oncles, archiprêtre de l’église de Grémyel d’Yssan, puis par les maîtres de l’université de Palencia.

Le zèle de son salut et du salut de ses frères l’anima dès ses jeunes années ; sa préoccupation constante était la conversion des pécheurs, et il se persuada que la parole devait être son grand moyen d’action. Sa première conquête fut un jeune seigneur nommé Conrard, qui avait été son compagnon d’études, qui plus tard se fit religieux dans l’ordre de Cîteaux, et fut élevé à la dignité de cardinal.

Il n’avait que vingt-quatre ans, quand l’évêque d’Osma, voulant réformer son chapitre, et connaissant la grande vertu du jeune Dominique, le nomma chanoine de sa cathédrale. Il édifia tous ceux qui l’entouraient en leur faisant chérir la sainteté de leur vocation ; il parcourut diverses provinces en prêchant la parole de Dieu, en cherchant à détruire les erreurs et les vices ; enfin, lorsqu’il fut élevé à la prêtrise, il fut nommé sous-prieur du chapitre d’Osma.

Mais, en 1204, l’évêque d’Osma fut envoyé-par Alphonse, roi de Castille, en qualité d’ambassadeur en France, pour y négocier le mariage de son fils Ferdinand avec la princesse de Lusignan, fille du comte de la Marche. Dominique faisait partie de la suite du prélat. En traversant le Languedoc, il fut ému par le spectacle des ravages causés par les Albigeois en ce pays, et après bien des péripéties, il obtint du pape Innocent III de demeurer dans le Languedoc pour travailler à la conversion des hérétiques. Il fut aidé d’abord, dans l’œuvre de la mission, par des religieux et des prêtres zélés, qui un instant abandonnaient leurs travaux et leurs fonctions pour prêcher la parole de Dieu. Mais ces auxiliaires, n’étant que temporaires, se retiraient après un certain temps et laissaient Dominique dans un cruel embarras. Il eut alors la pensée de créer un ordre pour la prédication de l’Évangile, la conversion des hérétiques, la défense de la foi et la propagation du christianisme. Ses premiers compagnons furent Guillaume du Clairet et Dominique l’Espagnol. Cette compagnie s’augmenta jusqu’au nombre de seize ; outre les deux que je viens de nommer, on comptait encore Bertrand de Cariga, Étienne de Metz, Odier de Bretagne, Mathieu de Paris, Jean de Navarre, et deux frères de Toulouse, Pierre et Thomas de Syllan, qui donnèrent à saint Dominique leur maison située près la porte de Narbonne. Cette maison devint le premier couvent des dominicains. Notre fondateur avait encore, parmi les premiers compagnons de ses apostoliques travaux, son propre frère Menez de Guzman.

Il s’occupa alors de choisir une règle et de la faire approuver.

Ce ne fut pas sans peine, car à cette époque le concile général de Latran (1215) avait décidé qu’on travaillerait à la réforme des ordres déjà établis plutôt qu’à leur multiplication. Mais cette œuvre naissante était trop l’œuvre de Dieu pour que les obstacles ne fussent pas surmontes. La règle fut celle des chanoines réguliers de Saint-Augustin, augmentée de quelques particularités, et le 22 décembre 1216, une bulle d’Honorius III confirmait l’institut nouveau sous le titre de l’ordre des Frères Prêcheurs.

dominicain appelé aussi jacobin

Fort de l’approbation pontificale et confiant dans l’avenir, Dominique envoya en divers endroits des ouvriers évangéliques, et lui-même se rendit à Rome en passant par la Lorraine. Pendant ce voyage, il fonda les monastères de Metz et de Venise, et quand il fut arrivé dans la ville éternelle, il reçut du pape l’église de Sainte-Sabine, avec une partie du palais pontifical, pour servir de demeure à ses religieux qui se trouvaient déjà en grand nombre. En 1218, le couvent de Lyon était établi ; en 1219, le beau monastère de Bologne, le second de cette ville et un des plus beaux d’Italie, était fondé, et saint. Dominique y tint deux chapitres généraux (1220 et 1221). Dans ce dernier, on divisa l’ordre, qui comptait déjà soixante couvents, en huit provinces, à la tête de chacune desquelles on mit un provincial.

Après quelques voyages entrepris encore pour le bien de son ordre, Dominique revint mourir au couvent de Bologne, en 1221. Il n’était âgé que de cinquante et un ans ; il fut canonisé par Grégoire IX en 1234, et l’Église célèbre sa fête le 4 du mois d’août.

Cet ordre, si florissant pendant la vie même de son fondateur, fit, après la mort de saint Dominique, des progrès plus considérables encore et se répandit dans toutes les parties du monde. La règle était sévère, l’abstinence continuelle, les jeûnes prolongés, la pauvreté presque complète. Le costume fut d’abord celui des chanoines de Saint-Augustin, mais, en 1219, à la suite d’une vision du bienheureux Renaud d’Orléans, il fut changé et consista en une robe blanche, un scapulaire et un chaperon de même couleur, c’est le vêtement de la maison ; au chœur et en ville, les religieux ont de plus une chape et un chaperon noirs. Les frères ont le scapulaire noir.

Le souverain Pontife honore cet ordre d’une distinction spéciale : c’est toujours un religieux dominicain qui est nommé Maître du sacré palais. Le Maître du sacré palais est en quelque sorte un maître de la doctrine ; il examine les sermons, nomme les prédicateurs de la chapelle papale, reçoit au grade de docteur en théologie, accorde ou refuse l’imprimatur, est consulteur-né des congrégations du Saint-Office et des Rites, assiste aux assemblées de l’Index et à celles qui se tiennent chez le cardinal-vicaire pour les concours des curés de Rome. Il prend rang après les auditeurs de Rote et a le titre de Révérendissime. Hugues Seguin de Billom, en Auvergne, exerça cette charge en 1281, il devint ensuite cardinal et évêque auxiliaire de Mgr Raoul de la Tourette, archevêque de Lyon.

C’est aussi dans cet ordre qu’on prenait les inquisiteurs, juges d’un tribunal doctrinal qui prononçait sur les questions d’orthodoxie, et qu’il ne faut pas juger avec nos idées d’aujourd’hui.

La famille dominicaine a donné un nombre considérable d’illustres personnages ; elle compte, d’après un calcul authentique, plus de treize mille martyrs, treize saints canonisés et plus de soixante-dix bienheureux. Elle s’honore encore d’avoir donné à l’Église quatre papes, plus de soixante-dix cardinaux, plusieurs patriarches, quatre cents archevêques et deux mille évêques. Les grands talents, les génies même, ne lui ont pas manqué. Faut-il citer saint Thomas d’Aquin, l’Ange de l’école, le grand génie théologique, saint Antonin, saint Vincent Ferrier, Albert le Grand, Vincent de Beauvais, Louis de Grenade, Savonarole, le moine fougueux et éloquent, Fra Angelico da Fiesole, le peintre angélique, Fra Sisto Ristoro et Giovanni, qui ont élevé, dans Florence, cette belle église de Santa Maria Novella, admirée de Michel-Ange lui-même ? Et pour en venir à nos temps, est-il besoin de rappeler le grand Lacordaire, le cardinal Zigliara, le P. Monsabré ?

Les armes de l’ordre sont, selon d’Hoziér, une vierge mère sur un champ d’azur, c’est ce blason qui est en tête de cet article ; je ne sais s’il a été longtemps celui de l’ordre. Aujourd’hui les armes né sont pas toujours très uniformes, mais au fond elles sont ainsi : chape d’argent et de sable à un lis tige et une palme d’or passée en sautoir brochant sur le tout, et une étoile d’or en relief ; l’argent chargé d’un livre sur lequel est un chien posant la patte sur un monde et tenant à sa gueule un flambeau allumé ; l’écu timbré d’une couronne ducale, ayant pour cimier une tiare, une mitre, un chapeau de cardinal, une crosse et une croix patriarchale.

Cet ordre célèbre, qui rendit de grands services à l’Église, fut proscrit, comme tous les autres, par la grande Révolution. Un homme de génie le restaura en France, en 1840, en parlant aux générations de son temps le langage qui leur convenait. « Mon habit, disait-il, est une liberté. » On semble aujourd’hui ne plus comprendre ce langage noble et fier, et Lacordaire, comme autrefois, pourrait s’écrier : ce Nous vivons dans un temps où un homme, qui veut devenir pauvre et le serviteur de tous, a plus de peine à accomplir sa volonté qu’à se bâtir une fortune et à se faire un nom. »

Les Frères Prêcheurs, comme nous l’avons indiqué, vinrent, du vivant même de saint Dominique, se fixer à Lyon en 1218. Ils s’établirent d’abord à la montée du Gourguillon, près la chapelle de Sainte-Madeleine, une recluserie que nous retrouverons encore. Mais ce premier local étant insuffisant, ils n’y restèrent pas longtemps, et allèrent s’installer à la Rigaudière, là où fut ensuite l’Arsenal. En 1236, ils changèrent une troisième fois de domicile ; l’abbé d’Ainay leur ayant donné des terrains derrière la maison des Templiers, ils y transportèrent leur habitation. Là se trouvait déjà la chapelle de Notre-Dame de Confort ou de Bon-Secours ; elle fut également donnée aux religieux, qui plus tard l’enchâssèrent dans la grande église qu’ils construisirent. Cette grande église fut bâtie en deux fois et se divisait visiblement en deux parties : la première, appelée la basse église, servait, à proprement parler, de vestibule à la seconde, qu’on appelait la grande église. Celle-ci fut commencée en 1243, et, en 1252, Mgr Falavelli, évêque de Sisteron, y disait la première messe. Sur les terrains considérables, voisins de la chapelle, ils construisirent leur monastère. C’est la première période. Au xve siècle, la chapelle et le monastère sont reconstruits par les libéralités des résidents florentins de notre ville, qui formaient une corporation riche et puissante ; c’est la seconde période. La troisième période date du xviiie siècle (1723), époque à laquelle on démembra l’ancien chapitre, qui était au milieu du cloître, pour continuer la construction d’un nouveau couvent.

église et place des jacobins

L’église était longue, étroite, avec des bas-côtés ; elle était de style gothique. Le chœur des religieux était séparé de la nef et des ailes par une clôture de colonnettes en marbres variés. À l’entrée du chœur s’élevaient deux grandes et belles colonnes de marbre blanc veiné, venues de Gênes ; elles supportaient un attique dans lequel étaient les armes de la famille Orlandini : tranché enté en ondes de sable et d’or de cinq pièces et deux demi, le chef chargé d’un lambel de gueules et l’écu engrelé de même, une couronne sur le timbre, pour cimier un lion issant d’or, pour supports deux lions de même. De la nef au sanctuaire il y avait une balustrade de marbre, dont la forme ondée, dit Clapasson, était assez ingénieuse. Le grand autel avait un tableau représentant le Baptême de Notre-Seigneur, œuvre de Giusto Menabuoi, peintre du grand-duc de Florence.

Les chapelles, fort nombreuses en cette église, étaient plus intéressantes à visiter que l’église elle-même. Nous connaissons les noms de quelques-unes : Sainte-Catherine, Sainte-Marthe, Saint-Pierre-de-Vérone, Notre-Dame-de-Pitié, Sainte-Anne, Saint-Joseph. Les confréries s’y rendaient nombreuses ; les archives manuscrites des Frères Prêcheurs nous en nomment vingt-six qui se donnaient rendez-vous à leur église. Je transcrirais cette liste, si je ne craignais qu’elle ne fût fastidieuse ; je ne cite que les plus intéressantes : les confréries des Chirurgiens, de la Compagnie des Indes, des Notaires, des Canonniers de l’Arsenal et des Écrivains publics.

Ceux qui désirèrent dormir leur dernier sommeil à l’ombre des autels, dans l’église des Dominicains, furent si nombreux qu’il faudrait un volume entier pour en parler et les faire connaître. Je ne cite que les plus illustres : mettons en première ligne les Gadagne, qui y avaient leur chapelle ; nous en avons parlé quand nous avons traité du couvent de l’Annonciade.

Puis ce sont Jacques de Bourbon et son fils, morts à Lyon des suites de leurs blessures reçues à la bataille de Brignais contre les Tard-Venus, après la paix de Brétigny ; Jacques de la Tour-du-Pin ; Guichard d’Anthon et sa veuve ; Pierre de Chaponay, de cette antique et illustre famille qui a fourni pendant tant de siècles des conseillers de ville, des prévôts des marchands, des intendants, des chevaliersde Malte, des chanoinesses à Alix, une abbesse au couvent de la Déserte, et qui fonda la chapelle de Saint-Jacques-le-Majeur, place Saint-Nizier, où se réunissaient les autorités municipales ; les d’Albon, plus antiques et plus illustres encore, puisqu’un vieux proverbe disait : Noble comme d’Albon ; Santé Pagnini, Dominicain et fameux orientaliste, qui par son heureuse influence fit fonder à Thomas de Gadagne l’hôpital de Saint-Laurent pour les pestiférés ; Claude de Cléberg, baron de Saint-Trivier ; la famille de la Poyppe ; les Capponi, noble famille de Florence qui trempa dans la conjuration des Pazzi, et dont un des membres, Laurent Capponi, inhumé mois quatre mille aux Jacobins, avait nourri à ses dépens pendant un personnes, lorsqu’en 1573 une horrible famine vint éprouver les habitants de notre cité ; les Rubys, qui ont donné un historien à Lyon, etc. etc.

notre-dame de confort

Sortons de l’église. À l’entrée, nous avons à remarquer un portail de marbre d’une certaine richesse, commencé en 1657, sur les dessins de Le Pautre. Ce portail était surmonté de trois niches, une statue de la sainte Vierge occupait celle du milieu, et les statues de saint Jean-Baptiste et de saint Dominique les niches latérales. En 1660, le Consulat accordait mille livres aux religieux pour les aider, à construire ce portail. Aujourd’hui ce portail orne l’entrée d’une maison de la rue de Sully, et la pierre tombale des Gadagne sert de plafond à un escalier. Ô vicissitudes humaines !

Jetons en passant un regard sur la place de Confort, devenue la place des Jacobins. Rabelais en a parlé. Comme autrefois les nouvellistes d’Athènes se rendaient à l’Agora, ainsi les oisifs lyonnais se rendaient en ce lieu pour s’entretenir des faits du jour. Rabelais, qui avait été médecin à notre Hôtel-Dieu, parle quelque part « des bavards de Confort ». Sur cette place, dit J. Spon, contre la maison appelée la Tour de l’Ange, au coin de la rue Écorche-Boeuf, on avait inscrit le souvenir d’un terrible débordement de nos deux fleuves : « L’an 1570, et le dimanche troisième jour de décembre environ onze heures du soir, le Rhosne et la Saosne se sont assemblés en la place de Confort, au coin de la maison appelé la Tour, et l’onzième jour du dit mois le Rhône est remonté au dit coin. » Sur cette place encore on éleva, en 1609, une pyramide eh l’honneur d’Henri IV, on la remania en 1740, et on lui fit un piédestal sur lequel était rappelée la dédicace ancienne, et formulée une autre dédicace en l’honneur de Louis XV. Cette pyramide, détail assez singulier à signaler, portait le nom de Dieu gravé en vingt-quatre langues.

Quant au monastère, je ne crois pas qu’il en existe un plan ; on peut cependant, à l’aide de documents épars çà et là, s’en faire une idée, sinon exacte, du moins suffisante. Les terrains occupés primitivement par les Dominicains de Lyon s’étendaient de la place de Confort jusque près de Bellecour, et de la rue Saint-Dominique jusqu’à la rue Confort. Sur ce vaste emplacement il n’y eut d’abord que quelques bâtiments, mais plus tard les libéralités des négociants florentins changèrent la face des choses : il y eut de vastes salles, des cellules nombreuses, des allées, des jardins, etc. En 1617, on vit le jardin se remplir de treillis de vignes et de toutes sortes d’arbres fruitiers, les allées se garnir de tilleuls et d’aubépines, les parterres se former et s’orner de fleurs. Les meubles des chambres furent mis en meilleur état, la grande cour du couvent fut pavée, le lambris et la galerie d’entrée du monastère, ainsi que le réfectoire des malades, furent ornés de tableaux. En 1651, on bâtit un noviciat : ce fut une vaste salle, couverte d’une voûte à ogives et supportée par des pilastres ; puis le grand réfectoire fut pavé en pierres plates. Tous ces ouvrages disparurent quand on rebâtit le couvent, ce qui eut lieu en 1714. À cette époque, le frère Godin dirigea la démolition de l’ancien couvent et la construction du nouveau, qui était tourné vers le jardin. Pour subvenir à ces frais, on vendit une portion de terrain longeant la rue Saint-Dominique. En 1720, les désastres financiers, amenés par les opérations de Law, firent suspendre les travaux ; mais, trois ans plus tard, on se remit à l’œuvre avec activité, et c’est alors, comme je l’ai dit, qu’on démembra l’ancien chapitre qui était au milieu du cloître, pour continuer la construction du nouveau monastère. Quand il fut achevé, il fut un des plus beaux couvents de notre ville. Le claustral avait plusieurs issues, l’une sur la place des Jacobins, l’autre sur la rue Saint-Dominique, et une dernière débouchait par une large et belle allée au milieu de l’ancienne rue Belle-Cordière. Il n’est pas nécessaire d’être bien âgé pour se souvenir de ce magnifique cloître des Jacobins, de son immense cour, de ses grandioses proportions. Aujourd’hui tout a disparu.

Le monastère des Jacobins de Lyon n’a pas eu la gloire d’abriter des hommes illustres de premier ordre, mais il fut l’asile d’hommes qui pendant leur vie ne furent pas sans gloire. Les Frères Prêcheurs avaient le droit d’enseigner dans leur maison la philosophie et la théologie ; dès l’origine ils eurent d’excellents maîtres : Humbert de Romans au xiiie siècle, Jean Maheu, Jacques Périer, Jean Faber, au commencement du xve ; Pierre Godechal, envoyé ensuite à Caen, en 1628 ; Jean-Damascène Lubienki, vers 1699 ; Hyacinthe-Amat de Graveson et tant d’autres. Parmi les religieux, citons Hugues de Saint-Cher, une des grandes illustrations des Jacobins de Lyon, qui fut fait cardinal par Innocent IV, et qui eut une part considérable à tout ce qui fut réglé au premier concile œcuménique de Lyon ; Guillaume Perrault, qui fut suffragant de l’archevêque Philippe de Savoie ; Hugues Seguin, dont nous avons déjà prononcé le nom, qui fut créé cardinal par Nicolas IV ; le P. Batalier qui travailla avec Julien Macho, ermite de Saint-Augustin, à donner une bonne édition de la Légende dorée ; Santé Pagnini, le docte hébraïsant qui mérita, pour sa traduction de la Bible, les encouragements de Léon X.

Ce couvent fut le témoin d’événements historiques assez importants pour que nous en disions un mot. C’est là que le 7 août 1316, Jean XXII fut élevé au souverain Pontificat. Après la mort du pape Clément V, les cardinaux assemblés à Carpentras n’ayant pu, dans l’espace de deux ans et quatre mois, faire le choix d’un successeur, Philippe, comte de Poitiers, qui devint Philippe le Bel, roi de France, les attira à Lyon et leur désigna le monastère dés Jacobins pour le lieu de leur assemblée. Après quarante jours, les vingt-trois cardinaux assemblés nommèrent à l’unanimité le cardinal Jacques Eusse, homme de petite taille, d’une naissance obscure, mais doué de grands talents pour son siècle.

C’est aussi dans ce couvent qu’Humbert II de la Tour, dernier dauphin de Viennois de la troisième race, fit, le 16 juillet 1348, dans une assemblée solennelle, la donation pure et simple de ses États du Dauphiné à Charles de France, duc de Normandie, fils du roi Jean. Il l’en mit en possession par la tradition du sceptre, de l’anneau, de la bannière et de l’épée ancienne du Dauphiné. Le lendemain Humbert se faisait Dominicain ; il mourut prieur du couvent de Paris et patriarche d’Alexandrie.

En 1495, Charles VIII et la reine son épouse logèrent dans ce monastère. En 1507, le cardinal d’Amboise y donna le chapeau à René de Prie, évêque de Bayeux ; Louis XII assistait à la cérémonie. En 1562, les huguenots, maîtres de la ville, pillèrent le couvent des Jacobins, enlevant tout ce qu’il y avait de précieux et de sacré. Ils firent abattre une croix élevée au milieu de la place de Confort. Les religieux, plus tard, la remplacèrent par une croix plus belle que la première. Signalons encore deux faits qui, solennisés dans la chrétienté tout entière, furent célébrés avec la plus grande pompe au couvent des Jacobins de Lyon : le premier est la canonisation du pape saint Pie V, religieux dominicain, en l’honneur de qui, le 29 avril 1713, commença une fête qui dura huit jours ; le second est l’exaltation au souverain Pontificat du cardinal Orsini, religieux dominicain, qui prit le nom de Benoît XIII ; elle fut célébrée à Lyon par des réjouissances publiques et des fêtes brillantes.

Enfin il nous semble impossible de parler des Jacobins sans dire un mot de la Grande-Fabrique, dont l’existence pendant longtemps a été étroitement liée à celle du monastère.

La communauté de la Grande-Fabrique d’étoffes d’or, d’argent et de soie de la ville de Lyon n’était pas une corporation religieuse, comme semble l’indiquer son nom. C’était une corporation laïque, dont les membres se soumettaient à des règles communes, en prélevant parmi eux une cotisation annuelle pour subvenir aux frais de leur administration. Cette épithète de Grande indique le haut rang dont elle jouissait parmi les corporations d’arts et métiers. Un article des règlements demandait la possession d’une chapelle particulière, dans l’une des églises de la ville, pour l’accomplissement des cérémonies religieuses de la corporation. En 1641, les membres de cette communauté proposèrent aux Jacobins de leur céder, dans leur église, une place pour y construire une chapelle, sous le patronage de l’Assomption de la sainte Vierge. Les religieux y consentirent, à condition qu’« en place des chambres, magasins et écuries qu’il faudra démolir pour la construction de la dite chapelle, ils feraient bâtir et construire quatre chambres de religieux, lesquelles seront faites et construites sur le cloître ». Ce qui fut fait.

Pendant quatre-vingts ans dura cet état de choses. Mais, vers 1724, alors qu’on reconstruisait le couvent et que les religieux avaient besoin d’argent, ils manifestèrent l’intention de vendre une portion de leur terrain longeant la rue Saint-Dominique. Dans ce même temps, la communauté de la Grande-Fabrique cherchait un emplacement pour y bâtir une maison où elle pût tenir des assemblées. En de telles conditions, l’entente entre les vendeurs et les acquéreurs fut facile, et, le 27 octobre 1725, les dominicains cédaient à la Grande-Fabrique un emplacement ayant pour confins du côté du soir la rue Saint-Dominique, du côté du midi la maison du sieur Berthaud, voyer de Lyon, le terrain des révérends Pères pour le surplus, et du côté de bise la basse église des dits révérends Pères et la dite chapelle et sacristie. La maison que l’on y construisit était destinée à l’administration de la corporation : au rez-de-chaussée, la demeure du concierge et du secrétaire, et la chapelle qui possédait une ouverture dans la partie latérale de l’église des Jacobins ; au premier étage, une salle d’assemblée, des bureaux, et une sorte de musée industriel où l’on conservait des types de métiers et des modèles de manœuvres servant à la fabrication. L’entrée du couvent fut ménagée par une allée sans communication, ouverte dans cette construction nouvelle.

La communauté de la Grande-Fabrique fonctionna régulièrement jusqu’en 1779, époque à laquelle elle fut vendue par suite d’une résolution gouvernementale.

Quand survint la Révolution, le couvent des Jacobins ne fut pas épargné. Le monastère de Paris devint le siège d’un club révolutionnaire fameux, où furent agités les débats les plus sanglants, d’où partirent les résolutions les plus féroces. À Lyon, on ne vendit pas le claustral, la ville en resta propriétaire. L’église devint comme une sorte de théâtre en disponibilité, à l’usage des bateleurs et des écuyers de passage ; elle servit ensuite de remise aux voitures. Un moment il fut question de la rendre à sa première destination et d’en faire une église paroissiale sous le patronage de Saint-Pothin ; c’était une excellente idée, vu l’éloignement des églises en ce point de la ville, mais elle ne se réalisa point. Mgr Fesch fit des efforts nombreux pour obtenir cet ancien claustral. Il avait le dessein d’y établir le petit séminaire des enfants de chœur et des autres jeunes gens de Lyon se destinant à l’état ecclésiastique. « Rien, disait-il, ne conviendrait mieux à cet établissement que l’ancien couvent des Dominicains ; il est vaste, central, et surtout très à portée de la Primatiale. Le gouvernement a supprimé l’école secondaire qu’il y avait établie ; il ne lui a pas donné une autre destination. Cette maison a déjà été morcelée ; on en a vendu l’église, qui était belle, et qu’on a en partie démolie ; on a encore vendu le jardin, avec les corps de bâtiments qui étaient sur la rue. Ce qui reste, que je réclame, est dans une cour ; ce sont des pièces vides ou occupées par des personnes qui n’en payent pas le loyer, de sorte que cette concession sera avantageuse au clergé, sans entraîner un grand sacrifice pour le gouvernement… » Malgré cet habile plaidoyer, les vœux de l’archevêque ne furent point exaucés.

Plus tard le couvent servit provisoirement de mont-de-piété ; enfin sous l’administration de M. de Bondy (1810) on résolut d’en faire un hôtel de la Préfecture, mais ce n’est qu’en 1818 que les bureaux y furent définitivement installés. Jusqu’en 1854 on put, dans une certaine mesure, se rendre compte et de l’emplacement et de la forme et des dimensions de l’ancienne demeure des Jacobins de Confort. Mais depuis cette époque tout a été transformé : la Préfecture a été installée à l’hôtel de ville, et en 1890 transférée sur la rive gauche du Rhône ; on a éventré l’ancien couvent, tracé et ouvert des rues à travers les jardins et les dépendances. De tout ce passé il reste deux noms : la rue Saint-Dominique et la place des Jacobins.

SOURCES :

Le P. Hélyot : Dictionnaire des ordres monastiques.

Clapasson : Description de Lyon.

J. Spon : Recherches des antiquités et curiosités de la ville de Lyon.

Cochard : Description historique de Lyon et guide du voyageur à Lyon.

De Bombourg.

Colonia : Histoire littéraire de Lyon.

Lyon ancien et moderne : les Jacobins, par Collombet.

Paul saint-Olive : Vieux Souvenirs.

Archives municipales : Fonds considérable des Jacobins.

Montfalcon : Lyon monumental.