Les anciens couvents de Lyon/14.3. Relations

III
bonnes relations qui existaient entre la chartreuse et l’église de lyon

Les Chartreux étaient trop voisins de Lyon, et l’Église de Lyon était trop célèbre, pour qu’il ne s’établît pas entre celle-ci et ceux-là des relations plus ou moins intimes. La Sainte Église de Lyon, qui, par S. Irénée et S. Pothin, remonte à l’Église de Smyrne, a toujours conservé dans sa liturgie, ses cérémonies, son chant sacré, quelque chose de la grandeur et de la noblesse orientales. Les Pères de la Grande-Chartreuse furent désireux de posséder dans leur solitude ces antiques traditions. En 1126, pendant l’épiscopat de Raynauld, membre de la Maison de Semur, en Bourgogne, légat apostolique et soixante-seizième archevêque de Lyon, ils s’adressèrent « à la très sainte et très antique Église de Lyon, primatiale des Gaules, comme la plus célèbre de toutes, » et ils en adoptèrent pieusement les livres de chant et la façon de chanter. C’est à dater de cette époque, que d’autre familles, monastères et églises des Chartreux, n’hésitèrent pas à adopter le même chant.

L’Église de Lyon témoigna la même confiance à la famille de S. Bruno ; voici en effet ce que nous lisons dans Surius, savant religieux de l’ordre : « Vers le milieu du douzième siècle, le comte de Forez Guy II, ayant pris par ruse la ville de Lyon, la dévasta, la pilla, et exerça sa fureur principalement sur les églises et sur le clergé dont il détruisit les habitations. Par la protection de Dieu, les clercs échappèrent à la mort. L’archevêque Héraclius lui-même et d’autres personnes de grande dignité vinrent, comme des fugitifs et des proscrits, jusqu’à la Chartreuse de Portes, où quelquefois ils se réunissaient précédemment pour traiter d’importantes questions. Après les avoir consolés, le généreux prieur Anthelme ajouta : « Je vous en prie, Messeigneurs, ne continuez pas cette course errante et n’allez nulle part chercher un refuge. Demeurez parmi nous, et si vous voulez sortir pour l’expédition de vos affaires, revenez ensuite auprès de nous. Nous vous nourrirons (à l’exception des chevaux) et vos prêtres et vos clercs, aussi longtemps qu’il faudra ; ce sera pour nous un bonheur, et vous n’aurez pas à craindre d’être indiscrets. Donc on allait et on venait, beaucoup même s’établirent à demeure, et toutes les choses nécessaires à la vie leur furent fournies en abondance et avec la plus aimable générosité, jusqu’à ce que bientôt après, les ennemis étant chassés et défaits, on rentra à Lyon, non sans grand miracle. »

L’Église de Lyon ne fut pas ingrate, et aussitôt qu’elle put témoigner sa reconnaissance, elle le fit avec bonheur. Étienne, prieur de la Chartreuse de Portes, qui devint évêque de Die, et le frère Tétricus, convers, prièrent Raynauld, archevêque de Lyon, d’exempter les Chartreux de tout péage dans la ville de Lyon. Voici le texte de la réponse archiépiscopale :

« Raynauld, par la grâce de Dieu, humble serviteur de l’Église primatiale de Lyon, et tout le chapitre de la dite Église, à tous nos chers fils les prieurs des Chartreuses, et au chapitre général de l’ordre, salut dans le Seigneur. Les demandes justes et raisonnables et qui ont trait à des œuvres de piété et de salut, nous les accueillons avec bonheur, nous y accédons avec un plein et cordial assentiment. Soit donc parce que le prieur de Portes et le frère Tetricus nous en ont supplié, soit surtout et avant tout parce que nous vénérons votre ordre et que nous tenons au salut de nos âmes, nous voulons accéder avec bonté et générosité à votre demande. Donc à vous qui êtes profès de votre ordre et à tous ceux qui y appartiendront à l’avenir, au sujet de tout ce que vous pourrez acheter ou vendre pour votre usage dans notre ville, comme aussi de tout ce que vous aurez acquis ou obtenu pour être transporté à travers notre ville jusqu’à l’une de vos maisons, on n’exige aucun droit, péage, usage. Nous entendons que tous ces objets traversent la cité sans être frappés d’aucune contribution. »

Nous verrons plus tard la municipalité lyonnaise accorder aux Chartreux des privilèges et des franchises semblables.

L’Église de Lyon ne borne pas là ses bienfaits, mais encore, à diverses époques, elle favorise de tout son pouvoir l’établissement de plusieurs Chartreuses dans le diocèse. Il y a eu jusqu’à sept maisons de Chartreux et deux de religieuses Chartreusines : ce sont les Chartreuses de Montmerle, sur la Saône, en face de Belleville ; celles de Seillon et de Sélignac, près de Bourg ; de Portes, près d’Ambérieu ; de Meyriat, dans la Bresse ; de Sainte-Croix, près de Rive-de-Gier ; de Lyon enfin ; il faut encore ajouter La Balme, couvent de dames Chartreusines, appelées Sallettes, fondé par les dauphins de Viennois, sur le bord méridional du Rhône, et la maison de Polletins, en Bresse, qui avait été aussi couvent de Chartreusines, et dont l’immeuble, comme nous le verrons, fut plus tard réuni à la Chartreuse de Lyon.

En retour les Pères Chartreux, qui passent leur vie dans la prière, et qui ne peuvent que par la prière témoigner leur gratitude à leurs bienfaiteurs, ne négligèrent pas ce moyen de reconnaissance. Quand on eut fondé la Chartreuse de Sainte-Croix, en la paroisse de Pavézin, le doyen et le chapitre de l’Église de Lyon, qui avaient fait à la nouvelle fondation une généreuse aumône, reçurent du Général et du Chapitre de la Chartreuse un bref par lequel, « en considération de leurs bonnes affections et bienfaits au nouveau couvent de Sainte-Croix, ils leur font pleine participation de tous leurs biens spirituels et promettent de prier pour tous ceux de ladite Église dont leur sera notifié le décès à leur Chapitre général du dimanche Cantate Dominum. »

Tous ces faits indiquent suffisamment la cordialité des rapports qui existaient entra l’ordre des Chartreux et la sainte et vénérable Église de Lyon. Quand les enfants de S. Bruno voudront fonder dans notre ville une maison de leur ordre, ils ne trouveront point d’opposition. Dieu dès longtemps aura préparé les voies.