Les Yeux fermés (Dubus)

Quand les violons sont partis
Librairie Léon Vanier, éditeur (p. 26-27).

LES YEUX FERMÉS

Pour Julien Leclercq.

Dans l’ombre des rideaux hantés par les chimères,
Quand les petits enfants pleurent de peur, les mères
Viennent les câliner de merveilleux récits.
 
Ils s’endorment, bercés par un songe de fées,
Dont les robes d’azur d’étoiles agrafées,
Traînent dans les lueurs de palais imprécis,

Où, sur un rythme lent de viole, des couples
Dansent nonchalamment, cambrant leurs tailles souples
Dans le brocart semé de joyaux éclatants.
 
Toute blanche, comme une aubépine fleurie,
Voici la Belle-au-bois-dormant : on la marie,
Ce soir, au bien-aimé qu’elle attendit cent ans.


Cendrillon passe au bras de l’Adroite Princesse…
Et les songes épars des contes, vont sans cesse
Souriant aux petits enfants jusqu’au réveil.
 
Haineux de la clarté, dont la chambre se dore,
Ils referment alors les yeux pour voir encore
Les visions que met en fuite le soleil.
 
Ainsi, dans la douceur d’un radieux mensonge,
Je me livre à la Voix qui me plonge en un songe
Des tristesses de mes chemins seul triomphant ;
 
Si le brutal soleil de vérité m’éveille,
Pour me leurrer un peu de ma chère merveille,
Je fermerai les yeux comme un petit enfant.