Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Introduction

VOYAGES
DE MILORD CÉTON,
DANS LES SEPT PLANÈTES.
INTRODUCTION.

Les révolutions qui arrivèrent en Angleterre sous Cromwel, ont été la source des désordres de ma famille. Je dois ma naissance au lord Céton, qui, fortement attaché au roi, se vit, après la mort funeste de ce monarque, dans la dure nécessité de prendre la fuite, pour se soustraire à la tyrannie de Cromwel, qui, par un amour-propre déguisé, venoit de prendre le titre pompeux de protecteur du royaume, après avoir refusé celui de Roi.

Milady, désespérée d’un départ aussi précipité, eût bien voulu pouvoir accompagner son époux ; mais il s’opposa formellement à son dessein, en lui faisant sentir tous les inconvéniens qui pourroient en résulter. Je vous laisse, dit mon père, deux enfans, qui peut-être un jour feront renaître dans notre famille la gloire de leurs ancêtres : c’est à votre tendresse que je confie leurs jours ; occupez-vous de leur éducation : j’exige de votre amour que vous mettiez tous vos soins & votre attention à faire naître dans leurs cœurs ces principes de sagesse, de vertu & de raison, dont vous-même êtes si bien pénétrée. Ne vous livrez point, chère épouse, à une douleur, ni à de vains regrets, qui ne peuvent servir qu’à altérer votre santé. Nous devons l’un & l’autre, ma chère, nous mettre au-dessus de nos malheurs, & montrer, par notre confiance, à les souffrir, un cœur plus grand que tous les maux qui nous accablent. Espérez du tems que quelque heureuse révolution pourra un jour nous réunir : ménagez, en attendant, avec prudence, le peu d’amis qui nous restent dans Londres, afin de pouvoir profiter de toutes les circonstances favorables que peuvent produire les çhangemens qui doivent arriver.

Après le départ de mon père, Milady se livrant entièrement à toute l’amertume de sa douleur, ne put en supporter le poids. Une maladie de langueur nous l’enleva en six mois. Nous étions encore ma sœur & moi, dans l’âge d’adolescence, & nous ne pûmes d’abord sentir la perte que nous faisions.

Un de nos proches parens fut nommé pour être notre tuteur. Ce parent, homme dur, sévère & caustique, abhorroit tous les titres pompeux, qu’il regardoit comme vains & frivoles. Attaché à la secte des quakers, il ne nommoit jamais personne que par son nom propre, sans y ajouter le titre de milord, ou quelqu’autre que ce fût ; & quoiqu’il fût lui-même un des premiers lords d’Angleterre, il ne se faisoit nommer que Jacques ; en sorte qu’on ne voyoit, dans son hôtel, que des Georges, des Guillaume, des Charles ou des Simon. Cependant malgré ses préjugés contre le cérémonial & la politesse, il ne négligea aucun des talens qui doivent servir à l’éducation des personnes de naissance.

Monime faisoit tous mes plaisirs : cette chère sœur entroit à peine dans sa quinzième année, qu’elle parut un prodige d’esprit & de beauté ; les graces & les talens étoient réunis dans sa personne ; il sembloit que la prudence eut en elle dévancé l’âge ; rien n’échappoit à sa pénétration ; mais les lumières de son esprit ne servoient qu’à lui faire mieux sentir le dur empire que Jacques exerçoit sur nous. Pour moi, sorti alors des mains d’un gouverneur, je tâchois de charmer mes ennuis par l’exercice de la chasse.

Un jour m’y étant égaré, je me trouvai à l’entrée de la nuit dans une allée sombre, qui me conduisit à un vieux château : le pont-levis en étoit baissé ; je le passai dans le dessein de demander un guide, qui pût me remettre dans mon chemin. Ne rencontrant personne dans les cours, je monte sur un perron qui sépare les appartemens : le hasard me conduisit dans une grande pièce, que je pris d’abord pour un temple.

Deux colonnades de marbre en soutenoient la voûte ; je m’avançai au milieu de ce vaste édifice, d’où promenant mes regards pour en contempler toutes les beautés, j’apperçus à droite sous l’une des colonnades, plusieurs peintures dont les figures me parurent animées ; je vis mouvoir & marcher quantité de graves personnages. Mais quelle fut ma surprise, lorsque j’apperçus le plus apparent d’entr’eux s’avancer vers moi d’un air grand & majestueux ! J’avoue qu’à son aspect je me sentis pénétré d’une frayeur soudaine, mes cheveux se hérissèrent & mes jambes mal affermies, sembloient plier sous moi ; mais n’appercevant rien de farouche dans les regards de ce veillard, qui me tendit la main avec un sourire gracieux, qui remit le calme dans mon ame, j’eus assez de courage pour lui présenter la mienne. Il la prend, la serre, avance sa tête, comme pour m’inviter à l’embrasser ; ce que je fis avec la même confiance. Ce vénérable vieillard passant alors son bras autour de mon cou, à ce noble courage, me dit-il, je reconnois le sang des Cétons. Ah ! mon fils, je vois avec plaisir que tu ne dégénères en rien de la valeur de tes ancêtres. Tu vois en moi le premier de ta race. J’ai appris les malheurs arrivés dans notre famille, ceux dont tu es encore menacé, les duretés du quaker, & les ennuis de la charmante Monime.

Un génie du premier ordre a conduit tes pas vers ce château ; ce même génie veut bien, à ma prière, vous prendre l’un & l’autre sous sa protection ; mais, mon fils, pour achever de mériter ses faveurs, il faut lui donner une seconde preuve de ton intrépidité, en consentant de passer ici la nuit, au milieu des esprits qui habitent ce château. Vénérable vieillard, repris-je, d’un air libre & assuré, si le sang qui coule dans mes veines vous a d’abord été connu, croyez que l’amour de la gloire & celui de la vertu seront toujours les premiers mobiles de toutes mes actions ; je n’ignore pas qu’une noble hardiesse en doit être la base. Ah ! mon fils, dit le vieillard, en me serrant sur sa poitrine, que j’aime à voir en toi des sentimens si magnanimes ! Il fit alors un signe de la main qui fit avancer une troupe de génies pour prendre mes armes.

Lorsque je fus désarmé, le vieillard me conduisit vers le génie Zachiel, qui s’étoit revêtu d’une taille avantageuse, & de la plus belle figure du monde : une physionomie privilégiée, un regard doux, un air affable me prévinrent d’abord en sa faveur ; la grandeur & la majesté de sa personne m’inspirèrent en même tems le respect & la confiance. Ce génie, après m’avoir donné les plus gracieuses assurances de sa protection, me fit un long discours sur les calamités de ce monde, & ajouta que Monime & moi, étions encore menacés des plus grands malheurs, & qu’on n’avoit différé jusqu’à ce jour à poursuivre le lord Céton, en se vengeant sur sa famille du parti qu’il avoit constamment soutenu, que par considération pour quelques parens de Miladi, qui jusqu’alors avoient joui de la confiance de Cromwel ; mais que ceux-ci venant d’être disgraciés à leur tour, le ministère avoit expédié des ordres, afin de s’assurer des seuls rejettons d’une famille proscrite par le tyran, dans la vue de les faire périr dans la Tour de Londres.

Hâtez-vous, poursuivit le génie, dès que l’aurore paroîtra, d’aller faire part à Monime de l’important avis que je vous donne ; engagez-la à venir ici se remettre entre mes mains ; calmez tes frayeurs, & ne négligez rien pour la convaincre, que ce château si abandonné & si désert qu’il vous paroisse, est néanmoins le seul lieu de toute l’Angleterre où vous soyez sûr de trouver du secours & de la protection : assurez-là que je suis en état de vous défendre l’un & l’autre contre toutes les forces du royaume. Le génie me quitta en m’invitant de me livrer le reste de la nuit au repos : mais mon esprit trop agité n’en put goûter aucun.

Le crépuscule, qui annonce le retour du jour, commençoit à peine à paroître lorsque je sortis du château : un cheval très-bien enharnaché se trouva à la porte ; je le montai sans crainte & il me conduisit de lui-même chez le Quaker. Je précipitai mes pas vers l’appartement de Monime, qui avoit passé la nuit dans de mortelles inquiétudes. Hélas cher frère, me dit-elle, est-il possible que le soin de mon repos vous touche si peu ? Je ne m’opposerai jamais à tout ce qui pourra vous amuser : par pitié, du moins, donnez quelques heures dans la journée à une malheureuse, qui n’a de plaisirs ni de dissipation que ceux que vous lui procurez ; aidez-moi à supporter mes ennuis. Hélas ! si votre cœur étoit pénétré des mêmes sentimens que j’éprouve, seroit-ce à moi à vous faire appercevoir que deux jours se sont passés, sans avoir daigné vous ressouvenir d’une sœur qui n’est occupée que de vous ? Devez-vous douter de tout ce que j’ai souffert, par la crainte qu’on eût attenté à vos jours ou à votre liberté ? Plaintes inutiles ! on ne m’aime point, & il ne me reste aucune prétention au repos. Monime ne put retenir ses larmes.

Pénétré jusqu’au fond de l’ame d’un reproche que je méritois si peu ; arrêtez, chère Monime, cessez d’insulter un cœur qui n’est dévoué qu’à vous seule ; ne condamnez point un homme qui vous adore… Que dis-je, en frémissant ? … ma raison s’égare… un délire, sans doute, s’empare de mes sens. Ah ! pardonnez ce trouble que vos injustes soupçons font naître dans mon esprit… Je ne vous aime point ? … Ah ! Monime, chère Monime ! … comment une pensée aussi injurieuse a-t-elle pu trouver place dans votre cœur ? Monime, surprise & interdite, me regardoit sans oser me répondre. Après un quart-d’heure de silence ; je vous aime, ma sœur, ajoutai-je avec un peu moins d’émotion ; vous n’en sauriez douter sans être injuste : je viens exprès vous donner des preuves de mon attachement.

Alors je lui racontai l’aventure du château des génies. Monime eut d’abord beaucoup de peine à la croire ; mais quand je vins au détail des nouveaux malheurs qui nous menaçoient, je vis son front se couvrir d’une pâleur mortelle. Cher frère, me dit-elle, d’une voix tremblante, je vois avec douleur, que je ne puis plus révoquer en doute le récit que vous venez de me faire ; nos malheurs ne sont que trop réels : voilà donc ce funeste mystère éclairci.

Apprenez, mon frère, que Jacques partit hier précipitamment sans me voir : une de mes femmes, que j’ai interrogée sur ce départ, m’a protesté qu’elle ne pouvoit en deviner la cause : je sais seulement, m’a-t-elle dit, que Jacques a reçu des lettres qui lui ont été apportées par un courier exprès, & qu’il n’a pu les lire sans verser des larmes ; il s’est renfermé aussitôt avec Simon, son homme de confiance, & en sortant de son cabinet, encore tout attendri, j’ai entendu qu’il lui a dit : c’est à ta fidélité & à tes foins que je confie ces malheureux restes d’une famille toujours en proie à la douleur.

Quelque affligeant que fût pour moi le discours de Monime, je sentis néanmoins une secrete satisfaction, puisque ce récit me confirmoit que ce qui s’était passé au vieux château n’étoit point une illusion ; que le vieillard & le génie n’étoient pas non plus des personnages supposés ; que leurs avis n’étoient que trop fondés ; & qu’enfin je pouvois me confier à l’amitié dont ils venoient de me donner des marques.

Je pressai Monime de partir à l’instant ; le même cheval qui m’avoit ramené pouvoit nous y conduire : mais ce ne fut qu’avec des peines infinies que je parvins à l’y résoudre : mille difficultés qu’il me fallut combattre, nous conduisirent jusqu’à la nuit. Enfin ne trouvant plus d’autres retranchemens que dans le soin de tromper la vigilance de ses femmes & celle de Simon, je saisis cette occasion, & lui proposai de déguiser son sexe, en prenant un de mes habits. Elle ne put se refuser à cet expédient, & nous partîmes à l’entrée de la nuit.

Lorsque Monime se vit proche du château, elle se sentit saisie d’une si grande frayeur, qu’elle me pria de ne la point forcer de passer outre. Je n’ignore pas, mon cher Céton, qu’avec vous je ne dois rien craindre ; mais est-on maître de ses mouvemens ? Pourquoi voulez-vous exiger de moi des choses au-dessus des forces de mon sexe ? Je ne puis plus soutenir l’idée que je me forme de vivre avec des génies : je préférerois plutôt le malheur d’être renfermée dans la tour de Londres à tous les biens qu’ils pourroient me faire. Qu’avez-vous à craindre de ces génies, repris-je ? Est-il possible que les lumières que vous avez acquises ne puissent encore servir à vous faire surmonter de vains préjugés ? Me croyez-vous capable d’exposer des jours qui me sont si précieux ? Non, Monime, soyez certaine que je les défendrai plutôt au péril de ma vie.

Pendant ce discours, Monime tremblante & éperdue, ne s’étoit point apperçue que le cheval, redoublant sa course, nous avoit conduits jusqu’à l’entrée du perron. Le génie s’avançant pour la recevoir, venez, charmante Monime, lui dit-il, en lui présentant la main afin de la rassurer : vous jouirez ici de cette paix & de cette tranquillité qui doit être le partage des ames pures.

Seigneur, dit Monime d’une voix tremblante, mon frère m’a instruite des bontés dont vous voulez bien nous honorer : je sais que ce n’est qu’aux soins du premier de notre race que nous devons des faveurs si peu méritées. Il est vrai, dit Zachiel, que je me suis d’abord rendu aux instances du grand Céton ; mais, belle Monime, ajouta le génie d’un air galant, qui peut vous connoître sans s’intéresser vivement à votre bonheur ? Il nous conduisit ensuite dans le grand salon.

Je fus surpris de voir paroitre un autre vieillard qui sortit d’entre les colonnades qui étoient à gauche : sa taille haute & majestueuse, imprimoit le respect : son front étoit orné d’une couronne, ses yeux étoient vifs & brillans ; une barbe blanche pendoit jusqu’à sa ceinture, où étoit attaché un sabre garni d’escarboucles, qui, par leur éclat, sembloient éclairer ce merveilleux salon.

Ce vénérable vieillard vint au-devant de Monime, qui, loin de marquer aucune crainte, courut se précipiter dans ses bras qu’il avoit ouverts pour la recevoir. Une action aussi hardie de la part de Monime eut de quoi me surprendre, sur-tout après les foiblesses qu’elle m’avoit montrées ; mais ce n’étoit qu’à la présence du génie qu’elle devoit ce courage. Je ne pus entendre ce que le vieillard lui dit en lui faisant remarquer plusieurs graves personnages, qui se promenoient sous cette colonnade. Il me regarda ensuite avec beaucoup d’attention ; je m’aperçus que ses discours rouloient sur moi ; ils firent une si grande impression sur l’esprit de Monime, que je vis briller dans ses yeux la joie & la satisfaction : elle détourna la tête pour me regarder, & tout disparut à l’instant.

Restés seuls avec le génie, il nous conduisit chacun dans un appartement séparé. Monime trouva dans le sien plusieurs femmes destinées à la servir. Je trouvai dans le mien les mêmes secours. Un grand cabinet rempli de livres, joignoit l’appartement de Monime : ce cabinet fut désigné par le génie, pour servir à nos instructions.

Je ne crois pas, nous dit Zachiel, que vous soyez jamais dans le cas de regretter votre quaker ; mais je lis dans les yeux de la tendre Monime, qu’elle désireroit savoir comment il a reçu la nouvelle de votre fuite. Apprenez donc, qu’afin de lui épargner des recherches inutiles, je lui ai fait dire, qu’une puissance supérieure vous avoit pris, l’un & l’autre, sous sa protection, & qu’il ne seroit instruit de votre sort qu’au retour du lord Céton. Que de chagrins il doit ressentir, dit Monime ! car, malgré la dureté de son caractère, il nous aime. Vous lui rendez justice, reprit le génie : soyez certaine que la personne que j’ai employée pour l’avenir de votre départ, a su le tranquilliser & remettre le calme dans son esprit.

Le lendemain nous passâmes avec le génie dans le cabinet de la bibliothèque. J’ai formé sur vous, nous dit-il, de grands desseins ; mais il faut vous préparer à les mériter par une attention digne des soins que je veux bien prendre pour vous instruire. Comme je suis persuadé que la charmante Monime est faite pour goûter les discours les plus élevés, le ciel qui l’a douée de graces & de beauté, lui a encore donné cet esprit d’ordre, ce bon sens & cette vivacité, qui sont les marques d’un génie droit & fait pour recevoir les meilleures instructions. Je le souhaite avec ardeur, dit Monime. Mais, seigneur, aurez-vous assez de patience pour répondre à toutes les questions que je prévois être dans la nécessité de vous faire par la certitude où je suis de mon ignorance ? Soyez-en certaine, reprit Zachiel ; ce sera même me prouver l’intérêt que vous prendrez à nos conversations.

Je commence par vous avertir de bannir, l’un & l’autre, ce titre de seigneur, qui n’appartient qu’à l’être suprême ; ce n’est que pour sa gloire que je veux travailler à vous perfectionner, & vous ne pouvez atteindre à ce degré de perfection que j’exige que par une application assidue, afin de tâcher de saisir dans les sciences ce qu’il y a de vrai & d’essentiel. Il faut, mes chers enfans, commencer par vous dégager de la superstition & de la crainte odieuse de la mort, bien éclaircir les idées de vertus & de vices ; tâcher de saisir avec justesse le point qui sépare les hommes vertueux des méchans ; ce n’est qu’en suivant ces principes, qu’on peut goûter une volupté pure qui procure à l’homme deux trésors inestimables, les seuls qu’il doive ambitionner, la sagesse & la santé, parce que la sagesse est à l’ame, ce que la santé est au corps. Vous le sentirez mieux par cette figure.

Représentez-vous la volupté comme une reine magnifique, parée de sa seule beauté ; son trône est d’or, & les vertus, en habits de fêtes, s’empressent à la servir ; ses vertus sont, la prudence, la justice, la force & la tempérance, toutes quatre soigneuses de lui faire leur cour, & de prévenir ses moindres souhaits. La justice l’empêche de faire tort à personne, de crainte qu’on ne lui rende injure pour injure, sans qu’elle puisse s’en plaindre. La force la retient, si, par hasard, quelque douleur vive & soudaine l’obligeoit d’attenter sur elle-même. La prudence veille à son repos & à sa sûreté. La tempérance, enfin, lui défend toutes sortes d’excès, & l’avertit assiduement que la santé est le plus grand de tous les biens ; celui, du moins, sans lequel les autres deviennent inutiles, & ne sauroient se faire sentir.

Ce fut par de pareilles instructions que le génie nous fit passer, sans ennui, plusieurs mois dans ce château. Monime se familiarisa si bien avec Zachiel, que je fus tenté de la prendre elle-même pour une silphide. Ses réflexions étoient toujours justes, souvent badines, mais pleines de bon sens. La conversation tomba un jour sur les génies. Monime, curieuse d’apprendre leur origine, pria Zachiel de l’en instruire. Il faut pour cela, lui dit-il, vous révéler des secrets qui ne sont connus que de quelques philosophes ; mais je connois trop votre prudence pour craindre que vous mésusiez de cette science.

Apprenez donc, belle Monime, qu’il y a plusieurs sortes de génies. Les uns qu’on nomme Silphes, sont répandus dans l’air ; d’autres, connus pour des Gnomes, habitent la terre ; les eaux sont remplies d’ondin, & le feu est l’élément des Salamandres ; d’autres enfin, sont répandus dans différentes planettes, & portent les noms qui conviennent à leurs attributs. Chacun de ces génies ne doit point sortir de son élément ; il n’y a que ceux de la première classe, auxquels cette liberté soit accordée. Vous ne devez pas ignorer que Dieu est l’auteur de tout ce qui est dans la nature ; qu’il est la source unique de la lumière ; que c’est un être intelligent & suprême ; ou comme les hommes se trouvent dans un éloignement infini de ce premier être, & qu’ils ne peuvent, ni l’appercevoir, ni s’en approcher par le vuide immense qui les sépare, Dieu a voulu remplacer ce vuide par une multitude infinie de substances intermédiaires, c’est-à-dire de démons ou de génies, qui participent plus ou moins à la lumière, dont Dieu est le principe ; ou aux ténèbres, dont les hommes ne peuvent se dégager. Ces génies sont encore de deux sortes ; les supérieurs & les inférieurs : les premiers n’ont que des inclinations bienfaisantes ; ils portent à l’être suprême les prières des hommes, & leur rapportent, les bienfaits & les graces qui leur sont accordés. Les inférieurs ou ceux qui tiennent à la terre, jaloux de ce commerce, s’y opposent vivement parce qu’ils n’ont d’autre but que celui de nuire ; c’est pourquoi, il est de la prudence de se lier par une étroite amitié avec les premiers, qui sont les supérieurs, & tâcher de se rendre favorables les inférieurs, afin de les engager à ne point troubler ce commerce par leurs malices.

Je ne puis concevoir, dit Monime, comment vous pouvez voltiger sans cesse, de la terre au ciel, & du ciel en terre. Dites-moi donc, cher papa, ce que vous faites de vos corps pendant ces voyages : car je m’imagine qu’avec de bonnes lunettes, il ne seroit pas difficile à nos astronomes de vous appercevoir, à moins que vous ne vous cachiez dans un nuage. Comme nos corps ne sont que phantastiques, dit le génie, le simple desir nous en dégage, ou nous en fait revêtir, suivant l’occasion, & nous donne, en même tems, la facilité de prendre telle figure qu’il nous plaît.

Quel dommage, reprit Monime, que nous n’ayons pas la même facilité ! Auriez-vous envie de changer de figure, dit le génie ? Oui, je voudrois prendre la vôtre : quel plaisir j’aurois, mon cher Zachiel, d’imaginer que Céton & moi pourrions être sans cesse avec vous ; & que voltigeant çà & là dans les airs, nous n’aurions plus à craindre les injustes poursuites du tyran qui nous opprime ! Je sens bien que ce sont de vains souhaits, dont l’accomplissement devient impossible.

Pas si impossible que vous le pensez, dit Zachiel, & si vous vous sentez assez de courage pour m’accompagner dans différens mondes, où ma présence est absolument nécessaire, je pourrois bien vous procurer l’avantage que vous désirez, en vous faisant prendre des corps phantastiques, pareils aux nôtres. Comment, dit Monime, en montrant sa surprise, est-ce qu’il y a plusieurs mondes ? Ah ! vous me ravissez ; que j’aurois de plaisir à sortir de celui-ci ! Peut-être trouverons-nous dans les autres des protecteurs de la vertu opprimée. Ne craignez rien, mon cher papa, soyez certain que je vous suivrai dans tout ce vaste univers, sans marquer aucune foiblesse. Sans doute que ces étoiles que j’apperçois, & qui me paroissent attachées au ciel comme des clous de diamans, sont autant de mondes qui doivent différer du nôtre.

Oui, belle Monime, dit Zachiel, & vous devez encore apprendre qu’entre la terre & cette dernière voûte des cieux, où sont attachées les étoiles fixes, il y a, à différentes hauteurs, plusieurs mondes qu’on nomme Planettes, qui ne sont point attachées au même ciel. Ces planettes ont des mouvemens inégaux, se regardent & figurent diversement ensemble ; au lieu que les étoiles fixes sont toujours dans la même situation. Mais je m’arrête : comme je ne veux point vous faire un discours sur l’astronomie, il suffira de vous dire que ces premiers principes furent découverts dans ce monde, par des bergers qui habitoient dans la Chaldée ; de même que la géométrie prit naissance en Égypte, où les inondations du Nil confondant les bornes des champs, furent cause que chacun travailla à inventer des mesures exactes pour reconnoître son champ d’avec celui de son voisin; ainsi l’on peut dire que l’astronomie est fille de l’oisiveté ; & la géométrie fille de l’intérêt. Si je vous parlois du talent de la poésie, je ne pourrois lui donner d’autre père que l’amour.

Je suis bien-aise, dit Monime, d’avoir appris cette généalogie des sciences ; & comme il est question de voyager dans les plus hautes régions de l’air, je m’en tiens pour le présent à l’astronomie, & veux même renoncer pour toujours à la géométrie ; mais retournons, s’il vous plaît, à nos génies ; il me semble que cette connoissance tient un peu à l’astronomie, puisque la plupart sont habitans du ciel. Dites-moi donc, mon cher Zachiel, pourquoi ils ont la faculté de prendre telle figure qu’il leur plaît? C’est, dit le génie, par l’habitude qu’ils en ont conservée.

Il faut pour cela vous donner une idée des divers sentimens de plusieurs philosophes : quelques-uns ont assuré que l’être suprême avoit permis aux génies de préparer des corps, pour y placer les ames des premiers hommes ; d’autres ont assuré que, si ces premiers hommes s’étoient conduits avec sagessse & avec décence, en respectant la dignité de leurs êtres, la voix de la génération eût été tout à fait ignorée dans le monde ; on n’y auroit connu ni l’amour, ni la distinction des sexes, ni cet attrait si flatteur qui entraîne un sexe vers l’autre. En vérité, dit Monime je demande pardon à ces messieurs les philosophes, si je trouve que leur système est des plus extravagans. Le beau projet, s’il avoit réussi ! Que feroit-on, s’il vous plaît, dans le monde si on en bannissoit l’amour, les désirs, l’amitié & le sentiment ? C’est à dire, que ces grands personnages ne vouloient composer que des statues aussi froides que le marbre. Cette saillie fit sourire le génie, qui suivit ainsi son discours.

Les hommes étant tombés dans des vices & des déréglemens honteux, ces philosophes font encore agir les génies, pour transformer les coupables en oiseaux, en quadrupédes, en poissons & en coquillages. Mais, sans entrer dans les circonstances détaillées de ces métamorphoses, je dirai seulement que les premiers hommes, qui, pendant leur vie, montrèrent trop de faiblesse & de timidité, furent changés en femmes ou en coquillages ; que ceux qui voulurent examiner avec trop de curiosité les sciences divines, en cherchant à percer dans les mystères de la nature, le furent en oiseaux ; & ceux qui se plongèrent dans des plaisirs bas & grossiers, le furent en quadrupèdes ; & qu’enfin, ceux qui passèrent leur vie dans une ignorance, stupide furent changés en poissons. Voilà, belle Monime, la succession détaillée ; ou, si vous l’aimez mieux, la généalogie des êtres qui remplissent l’univers. Le désir de chaque ame est de retourner dans sa patrie, qui est l’astre qui domine en elle, & le retardement de ce retour est la punition de leurs folies.

Ce que je viens de vous apprendre des différens systêmes de ces philosophes, n’est point universel, puisqu’ils conviennent que les ames qui se sont bien conduites pendant leur vie, ne seront point obligées de passer par ces épreuves. Monime est de ce nombre ; & je suis persuadé qu’elle retournera dans l’astre qui domine le plus en elle. En ce cas, repris-le, elle ne peut habiter que le soleil, que je regarde comme le plus beau & le plus pur de tous les astres.

Doucement, dit Monime, il me paroît que vous voulez me loger bien chaudement : vous me prenez sans doute pour une salamandre, en me poussant tout d’un coup dans ce globe de feu. Comment donc, chère Monime, aimeriez-vous mieux habiter la lune. Pourquoi n’y irois-je pas ? je pense que ce doit être un séjour fort agréable, sur-tout pour les petits-maîtres & petites-maîtresses ; car il n’est pas douteux, que c’est l’astre qui domine le plus en eux, & dans lequel ils doivent sûrement retourner après leur mort : c’est ce qui me fait croire qu’on s’y amuse beaucoup plus que dans les autres mondes.

Permettez-moi, mon cher Zachiel, de vous faire une nouvelle question. Pourquoi, dans l’histoire que vous venez de nous faire de la métamorphose des hommes, vous ne dites pas un mot des femmes ? Ne peut-on pas conclure de-là qu’elles ont toujours fait plus d’usage de leur raison que les hommes, puisqu’on n’a point été obligé de les punir ? Sans doute que ces hommes changés en femmes, forment à présent toutes les capricieuses, les folles, les impudiques ; & ces femmes à jargon qui sont dans le monde une classe plus amusante qu’estimable. Je conviens que par la généalogie que vous nous faites des premiers hommes, il paroît que l’ame n’a point de sexe : en suivant ce systême, si les génies avoient préparé autant d’étuis mâles que de femelles, une ame qui se trouve à présent enveloppée dans un de ces premiers étuis je veux dire de ces ames raisonnables qui n’ont point encore manqué à la dignité de leur être : cette ame, dis-je, doit se trouver bien surprise de ne rencontrer, dans la plupart des figures d’hommes, que foiblesses, ignorance & caprices ; orgueil, vanité, amour-propre & fourberie ; que des hommes sans religion, sans mœurs & sans aucune bonne-foi. On doit croire que ce sont de ces premiers hommes pécheurs, qui, faute de trouver à se placer dans des étuis femelles, parce qu’ils étoient remplis par des êtres raisonnables, ont été obligés de reprendre leurs anciennes figures.

Je vous écoute avec plaisir, dit Zachiel : j’avoue que je ne m’attendois pas à cette définition. Il est vrai que les femmes savent admirablement bien tourner toutes choses à leur avantage. Voilà de vos railleries, dit Monime ; cependant vous êtes souvent forcé de convenir que les plus grands hommes n’ont pu résister au pouvoir de leurs charmes. Et votre Socrate que vous vantiez dernièrement à Milord, pour être un des plus sages philosophes de l’antiquité, trouva leur commerce si agréable, que, malgré sa sagesse, il ne put se contenter d’une seule. Il est vrai, dit le génie, que Socrate a eu deux femmes, Mirta & Zantippe, qui n’ont pas peu contribué à exercer sa patience. Aussi lorsque quelqu’un le plaisantoit sur leurs humeurs, il répondoit en souriant, qu’il sortoit de chez lui tout apprivoisé avec les bisarreries & les disparades de ceux qu’il pouvoit rencontrer ; avantage dont il savoit très-souvent se prévaloir. Tenez, monsieur Zachiel, reprit Monime, je ne puis pas vous souffrir ; vous faites le mauvais plaisant, & croyez, sans doute, par-là me faire goûter les systèmes de vos philosophes. Eh bien, dit le génie, laissons les philosophes, pour suivre notre généalogie : je suis curieux de savoir ce que vous pensez des quadrupédes. Je vais encore exciter vos plaisanteries, dit Monime ; n’importe, continuons, puisque cela vous amuse.

Je vous dirai donc que je trouve très-plaisant d’imaginer qu’un homme peut faire sa pénitence dans le corps d’un cerf, d’un chien, ou d’un cheval. Je vois dans celui de milord un instinct si singulier, que j’ai été tenté de croire, avant d’apprendre notre généalogie, que c’étoit quelque gnome qui par vos ordres en avoit pris la forme. En effet, il a des talens si particuliers, qu’il faut assurément qu’il soit animé de l’ame de quelque grand philosophe. Dites-moi confidemment, mon cher papa, ne seroit ce point celle de Descartes, dont vous nous parliez avec éloge il y a quelques jours? J’avoue que, malgré les suffrages que vous lui accordez, je ne serois point fâchée qu’il fût puni de la témérité qu’il a eue de soutenir que tous les animaux sont des machines semblables à des horloges ; systême que je ne croirai jamais, & contre lequel ma raison se révolte. C’est une hypothèse dont les lumières naturelles démontrent évidemment la fausseté, & que tous les animaux démentent chaque jour d’une manière convaincante.

Par exemple, comment pourra-t on me persuader que mon chien, dans lequel je remarque de la mémoire, de la conception & du raisonnement, qui est sensible non-seulement aux passions qui agissent directement sur les sens, comme la faim, la soif, la douleur & le plaisir ; mais encore à celles dont les principales opérations se font dans l’esprit, du nombre desquelles sont l’amitié, la tendresse, la pitié, la reconnoissance, la fidélité, l’affliction & la jalousie ? Comment, dis-je, pourrai-je me figurer que mon chien n’est qu’une machine, qui crie sans douleur, quoique je le voie pleurer ; qui mange sans plaisir, ne desire & ne craint rien ? Cependant il obéit à ma voix, il a peur de me déplaire. J’ai réfléchi long-tems sur l’instinct des animaux, & je suis charmée que vous soulagiez mon esprit, en imaginant que ce sont les ames des premiers hommes qui font leur pénitence en venant animer les corps des bêtes. À l’égard du reste de notre généalogie, je n’en puis rien dire, sinon qu’il y a dans le monde un très-grand nombre de ces hommes-oiseaux, qui se tourmentent en vain pour découvrir des choses qui sont au-dessus de leurs connoissances. Pour les poissons & les coquillages je crois que vous me dispenserez d’en parler ; je n’imagine rien en leur faveur, & je crois néanmoins que nous pourrions bien être dans le siècle de leur règne ; car combien en voit-on qui se laissent prendre à l’hameçon, ainsi que des oiseaux au trébuchet ?

Après avoir passé plusieurs mois dans le vieux château, pendant lesquels le génie continua ses instructions vous n’avez pas oublié, nous dit-il un jour, ce que je vous ai enseigné sur la pluralité des mondes. Il est question à présent de vous en convaincre, en vous en faisant visiter une partie. Vous n’ignorez pas les différentes opinions des anciens philosophes qui en admettoient une infinité : je vous ai déja dit que les planettes & les étoiles fixes sont autant de mondes habités par des créatures de toute espèce, & qu’il seroit aussi ridicule de penser qu’il n’y a qu’un seul épi de bled dans tout un champ qui en paroît couvert, que de croire qu’il n’y a qu’un seul monde dans l’infini. La nature n’a rien produit qui soit unique dans son espèce ; elle aime à se copier dans ses ouvrages ; & en multipliant les copies qu’elle en fait, elle se plaît à les varier d’une infinité de façons différentes, c’est-à-dire que ses ouvrages se ressemblent en gros & non dans le détail. Pourquoi donc se seroit-elle démentie en ne produisant qu’un seul monde ? Il est certain qu’il y en a plusieurs. Je ne m’arrête point aux discours de certains savans, que l’orgueil a persuadés qu’ils avoient pénétré dans les mystères de la nature, qui ont compté jusqu’à trois cens quatre-vingt-trois mondes, ni à ceux qui ont avancé qu’il y en avoit autant que de jours dans l’année.

Comme vous êtes suffisamment instruits, poursuivit le génie, pour connoître & distinguer les merveilles que je me prépare à vous développer, & que je veux vous favoriser de tout mon pouvoir, c’est dans une partie de ces mondes où je vais vous conduire, nous commencerons par les planettes, &, si vous voulez, par celle de la lune, qui est la plus proche de la terre. Ah ! mon chez Zachiel, dit Monime, vous me comblez de joie ; partons, je vous en conjure dans l’instant. Tenez, cher papa, il me semble que j’entends déja le bruit des mondes célestes, & que je vois les actifs & laborieux habitans des planettes, & ceux de ces brillantes étoiles, appliqués à leurs fonctions ordinaires. Dans cet instant, mon ame ravie se sent prête à rompre sa prison pour jouir d’avance des précieux avantages que vous nous préparez.

Je me joignis à Monime pour supplier le génie de ne point différer à nous accorder cette faveur : notre cœur vous est connu, ajoutai-je, & je crois que vous nous rendez assez de justice pour être persuadé des sentimens de la plus vive reconnoissance dont ils feront sans cesse pénétrés. Il est vrai, dit Zachiel, que je vous connois l’un & l’autre beaucoup mieux que vous ne vous connoissez vous-mêmes ; je suis content de votre façon de penser ; elle ne dément point les soins que j’ai pris de vous instruire, & c’est cette connoissance qui me détermine à vous distinguer des autres mortels. Il n’est donc plus question à présent que d’opérer, afin de vous métamorphoser dans les plus petites figures. Je crois que celle de mouche convient assez à Monime ; comme vous l’aimez trop pour vous en séparer, je vais vous faire prendre la même forme.

Mon dieu ! arrêtez, dit Monime ; apprenez-moi, cher papa, avant d’opérer le changement que vous allez faire, s’il n’y a point d’araignées dans les mondes où vous allez nous conduire. Je frémis d’avance en pensant aux dangers où nous serions exposés si nous avions le malheur de nous laisser prendre dans leurs filets ; car si elles sont grosses, elles ne feroient qu’un déjeûné de nos pauvres petits individus. Ne craignez rien, dit Zachiel ; les corps phantastiques, loin de les attirer, les font fuir. Ah ! voici encore un autre embarras ; enfin, mon cher Zachiel, il faut bien que je vous confie toutes mes craintes. Je vous dirai donc, que je n’aime point à n’être revêtue que d’un habit phantastique, qui, vraisemblablement, ne peut être doublé que de critique, brodé de curiosité, & garni d’espérance : j’avoue qu’un pareil habit n’est guère solide, & qu’il me paroît un peu trop léger pour la modestie de mon sexe. Le génie ne put s’empêcher de sourire : avez-vous déjà oublié, lui dit-il, que je commande à une multitude de génies qui me sont subordonnés, & qu’il est en mon pouvoir de les faire aller d’un bout à l’autre de ce vaste univers ? Il ne me sera donc pas difficile de vous faire composer, en peu de tems, une garderobe des plus complettes, d’étoffes palpables : ainsi, belle Monime, toutes vos difficultés levées, nous pouvons présentement nous préparer à partir. Ah Dieu ! laissez-moi encore un moment ; vous ne donnez pas le tems de respirer ; au moins songez qu’il faut que je parle, que je conserve toutes les facultés de mon ame. Hélas ! je frissonne, je me meurs, & ne veux plus voyager. Elle n’en dit pas davantage, & notre métamorphose se fit dans l’instant.

Monime me parut alors la plus fine petite mouche qu’il soit possible de voir. Comme vous avez renoncé aux voyages, dit Zachiel, nous allons vous reléguer dans ce cabinet. Il est vrai que dans le moment de notre métamorphose je me suis senti atteint d’une frayeur mortelle ; mais à présent que je suis mouche, je m’en sens toute l’audace & la légèreté, & je vous proteste que si j’étois actuellement dans le serrail du grand seigneur, rien ne pourroit m’empêcher de voler sur sa moustache.