Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Préface

Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. i-v).

En la preſente Hiſtoire ſont contenuës pluſieurs choſes eſtranges & prodigieuſes par luy veuës & ouyes, aux Royaumes de la Chine, de Tartarie, de Sornau, vulgairement appellé Siam, de Calaminham, de Pegu, de Martabane, & en diuers autres endroicts des contrées Orientales, dont nous n’auons preſque point de cognoiſſance en noſtre Occident.


Auec vne ample Relation des particularitez les plus remarquables aduenuës tant à luy, qu’à beaucoup d’autres perſonnes.


Et vn Abbregé de la vie miraculeuſe, & de la mort du S.P.M. François Xauier, vnique lumiere de ces contrées d’Orient, & Recteur vniuerſel de la Compagnie de Iesvs.

A
MONSEIGNEVR
LE CARDINAL
DE RICHELIEV.


MONSEIGNEVR, Quand ie ne ſerois point ſi heureux que d’eſtre cogneu de vous, ny d’auoir part à la bien-vueillance qu’il vous a pleu me teſmoigner pluſieurs fois, & à la perſonne du monde à qui i’appartenois de plus prés, deuant que Dieu l’euſt appellée de cette vie, ſi ne laiſſerois-je pas de me ranger touſiours à mon deuoir, & de ſuiure cette forte inclination qui m’attache naturellement à voſtre ſeruice. Mais n’ayant
aſſez de bon-heur ny de merite pour vous en rendre des preuues conformes à mon deſir, ie vous ſupplie tres-humblement de m’excuſer, ſi ie n’y ſatisfais qu’en partie, en vous dediant cet Ouurage. Il eſt plein de tant de belles diuerſitez, qu’on en trouuera difficilement vn autre qui ſoit plus vtile & plus agreable. Car i’oſe bien dire que les eſprits curieux qui ſe delectent à la lecture des liures rares, trouueront amplement à ſe contenter en celui-cy, où ſans ſortir de leur Cabinet, & ſans courir fortune de faire naufrage, ils pourront trauerſer les Mers, voir les plus belles Prouinces du Monde, s’entretenir de choses eſtranges & inouïes, conſiderer dans les diuerſes façons des peuples que nous appellons Barbares, leur Religion, leurs Loix, leurs grandes richeſſes, leur gouuernement en temps de paix & de guerre, & en vn mot ſe repreſenter comme en vn tableau, tout ce que l’Europe, l’Afrique & l’Aſie ont de plus exquis & émerueillable en leur eſtenduë. Mais quelques belles que ſoient ces choses, & quelque luſtre que leur apporte ce Voyageur Portugais, ie m’aſſeure que s’il eſtoit encore en vie, & s’il auoit le bon-heur de s’arreſter prés de Vous, il confeſſeroit veritablement de n’auoir iamais veu en tous ſes voyages vn homme qui vous valût, en ce qui regarde le gouuernement d’vn Eſtat, & les actions les plus Heroïques. Außi n’y a-t’il celuy qui ne demeure d’accord auecque raiſon, que vous eſtes ce vray Athlas, ſur la vigilance duquel ſe repoſe cette Monarchie, que les plus grandes vertus ſont petites à comparaiſon des voſtres, & qu’en vos conſeils il y a ie ne ſçay quoy de miraculeux, qui affermit les armes des bons François, & les fait tomber des mains des rebelles. Vueille le Ciel, MONSEIGNEVR, adiouſter à vos proſperitez vne longue ſuitte d’années, afin que noſtre inuincible Hercule aßiſté de vos ſages conſeils, acheue de purger ſon pays de Monſtres, & qu’en qualité de Roy TRES-CHRESTIEN il s’en aille planter la Croix en la contrée des infideles, & dans les lieux les plus eloignez que cet Autheur nous a deſcrits en ce volume de ſes Voyages Aduantureux. Ie vous le preſente comme vn agreable diuertiſſement à ces grandes occupations qui vous font veiller pour la tranquillité publique. Vous y donnerez le luſtre, & preuenant la médiſance par le teſmoignage que voſtre Grandeur donnera de la cognoiſſance des veritez qui y ſont, vous clorrez la bouche à tant de Critiques qui condamnent de fauſſeté ce que la foibleſſe de leurs eſprits ne peut comprendre. Ce qui m’a obligé de le traduire en François, a eſté pour découurir pluſieurs ſingularitez que les autres Hiſtoriens n’ont point touchées en leurs Ouurages, & monſtrer par meſme moyen les grandes choſes que les Portugais ont faites aux Indes Orientales, quoy que la reuolution du temps leur en ait depuis dérobé le fruict, & qu’auiourd’huy les Eſpagnols s’en attribuent toute la gloire. Receuez donc, s’il vous plaist, cet eſſai de ma bonne volonté, que ie confeſſe eſtre peu de choſe, à l’egal de l’inuiolable deſir que i’ay de vivre & mourir,


MONSEIGNEVR,


Voſtre tres-humble & tres-obeïſſant
ſeruiteur, B. FIGVIER.