Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 69.

Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 243-245).


De quelle façon Antonio de Faria fut mené à l’Egliſe, & de ce qui s’y paſſa iuſqu’à ce que la Meſſe fuſt achevée.


Chapitre LXIX.



Antonio de Faria partit à l’inſtant pour s’en aller à l’Egliſe, où l’on le voulut conduire à couuert d’vn riche daiz, que ſi des principaux habitans & des plus honorables de Liampoo luy tenoient tout preſt ; mais il ne le voulut iamais accepter, leur diſant qu’il n’eſtoit point né pour receuoir vn ſi grand honneur qu’on luy vouloit faire. Cela dit, il pourſuiuit ſon chemin ſans autre pompe que d’ordinaire, accompagné de beaucoup de gens, tant Portugais qu’autres de diuers païs, que le cõmerce auoit fait rẽdre en ce port, pour eſtre le meilleur & le plus riche qui fut alors en cette contrée. Cependãt de quelque coſté qu’il iettaſt ſes yeux, il ne voyoit que reſjoüiſſances publiques, qui conſiſtoient en danſes, mõmeries, ieux & intermedes de pluſieurs façons ; de l’inuention de ceux du païs qui conuerſoient parmy nous ; ce que les vns faiſoient par prieres, & les autres pour y eſtre forcez, ſur peine de payer l’amende à laquelle on les condamnoit : Toutes leſquelles feſtes eſtoient renduës plus ſplendides par les trompettes, cornets à bouquin, haut bois, fluſtes, harpes, violes, fifres, & tambours qui s’oyoient de toutes parts, & ſe confondoient dans vn labyrinthe de voix à la Chinoiſe, qui eſtonnoient tellement le ſens qu’on ne ſçauoit ſi c’eſtoit vn ſonge tant la choſe paroiſſoit extraordinaire. Comme il fut arriué à la porte de l’Egliſe ; voila venir au deuant de luy pour le receuoir huit Preſtres reueſtus de chappes en broderie, & de toiles d’or & d’argent, qui allans en Proceſſion ſe mirent à chanter le Te Deum, A quoy reſpondit incontinent vn concert de pluſieurs belles voix entremeſlées à l’orgue, d’où ſe formoit vne muſique auſſi harmonieuſe qu’on ſçauroit ouïr dans la Chappelle de quelque grand Prince. En cét appareil il fut mené tout doucement iuſqu’au grand Autel, où il y auoit vn daiz de damas blãc, & pres d’iceluy vne chaire de velours incarnadin, & au bas d’icelle vn carreau du meſme velours. Il s’aſſit alors dans la chaire, & ouïſt vne grande Meſſe qui fut celebrée auec beaucoup de ceremonies, & vn concert merueilleux tant de voix que d’inſtrumens. La Meſſe acheuée ſuiuit la predication, qui fut faite par Eſtienne Nogueyra, homme d’aage fort honorable, & Curé du lieu. Mais de qui il faut aduoüer que pour la diſcontinuation de la chair, il eſtoit peu verſé en matiere de Sermons ; joint qu’il n’auoit du tout point de lettres ; & toutesfois ce iour là voulant paſſer pour ſçauant homme en vne ſolemnité ſi remarquable, il s’auiſa de faire monſtre de ſa belle Rhetorique. Pour cét effet il fonda tout ſon Sermon ſur les loüanges d’Antonio de Faria, & ce en termes ſi mal rangez, & ſi hors de ſon ſujet, que ce Chefen demeura tout honteux ; ce qui fut cauſe que quelques vns de ſes amis le tirerent trois ou quatre fois par ſon ſurplis pour l’obliger à ce taire, à quoy s’eſueillant comme en ſurſaut, & tournant le viſage vers ceux qui luy diſoient qu’il s’impoſaſt ſilence, Ie n’en feray rien, leur dit il, & ne laiſſeray pas de paſſer outre ; car ie ne dis rien qui ne ſoit veritable, & que ie n’afferme deſſus les ſaints Euangiles. Cela eſtant, laiſſez-moy parler ie vous prie, car i’ay fait vn vœu à Dieu de ne me deſiſter iamais des loüanges de Monſieur le Capitaine, à cauſe qu’il le merite bien pour m’auoir ſauué ſept mille ducats, que i’auois enuoyé d’emploitte dans le Iunco de Mem Taborda, que le chien de Coja Acem m’auoit deſia fait perdre en ce jeu : Que maudite ſoit außi l’ame d’vn ſi dangereux ioüeur, & d’vn ſi meſchant diable, & plaiſe à Dieu qu’il enporte à iamais la peine en Enfer, & dites tous Amen auec moy. Cette concluſion prouoqua ſi fort a rire toute l’aſſemblée, qu’on ne ſe pouuoit entendre dans l’Egliſe à cauſe du grand bruit qu’on y faiſoi ; ce tumulte finy il ſortit de la Sacriſtie ſix petits garçons habillez en Anges, & tenans en main des inſtrumens de muſique tous ſurdorez. Alors le meſme Preſtre s’eſtant mis à genoux deuant l’Autel de noſtre Dame de la Conception, ayant les mains leuées au Ciel, & les yeux baignez de larmes, ſe miſt à chanter à hautes voix ces paroles, Vierge vous eſtes vne roſe. A quoy ces petits garçons reſpondirent fort melodieuſement auec leurs inſtrumens, ce qui fut chanté auec tant d’harmonie & de deuotion, qu’il n’y eut celuy de la compagnie qui puſt retenir ſes larmes. Cela fait, le Curé prit vne grande guitterre à l’antique, auec laquelle entonnant le meſme, il recita quelques couplets fort deuots ſur le ſujet de ces mots ; ce qui fut ſuiuy comme auparauant d’vn meſme refrain que chanterent ces enfans, Vierge vous eſtes vne roſe, choſe qui fut trouuée fort agreable, tant pour le melodieux concert, que pour la grande deuotion qui en reuint à tout le peuple, tellement que de zele & d’ardeur, il y euſt quantité de larmes reſpanduës dans l’Egliſe.