Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 29.

Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 99-101).


De la reception qui fut faite à la Royne d’Aaru, à ſon arriuée à Malaca, & de ce qui ſe paſſa entre elle, & Pedro de Faria, Capitaine de la fortereſſe.


Chapitre XXIX.



Pedro de Faria eſtant aduerty de la venuë de la Royne, l’enuoya receuoir par Aluaro de Faria ſon fils, & Capitaine General de la marine, auec vne Galere de cinq Fuſtes, deux Catures, & vingt Balons, accompagné de trois cens hommes, ſans y comprendre pluſieurs perſonnes du pays. Ainſi elle fut menée à la fortereſſe, de laquelle on luy fit vne honnorable ſaluë d’artillerie, qui dura l’eſpace d’vne bonne heure ; Ayant mis pied à terre, & veu certaines choſes que Pedro de Faria luy deſiroit monſtrer, pour eſtre neceſſaires, à noſtre deſſein, comme la doüane, la riuiere, l’armée, la manufacture, la maiſon des pouldres, & autres choſes qui eſtoient deſia preparées pour cét effet ; elle fut logée en vne belle maiſon, & ſes gens qui eſtoient au nombre de ſix cens, au champ de Ilher, ſous des cabanes & tentes où l’on les accommoda le mieux que l’on put. Durant tout le temps qu’elle y demeura, qui fut d’enuiron cinq mois, elle continua touſjours à requerir ce qu’elle deſiroit, qui eſtoit du ſecours & de la faueur, pour vanger la mort de ſon mary : ſurquoy elle alleguoit pluſieurs raiſons aſſez fortes pour n’eſtre eſconduite de ſa demande. Mais enfin reconnoiſſant le peu de ſecours que nous luy pouuions donner, & que tout noſtre fait n’eſtoit pour elle qu’vn entretien de paroles, deſquelles elle ne voyoit aucun fruit, elle ſe delibera de parler clairement à Pedro de Faria, afin de s’inſtruire de luy touchant ce qu’il luy auoit promis. Pour cét effet, l’attendant vn Dimanche à la porte de la fortereſſe, à l’heure que la place eſtoit pleine de monde, & qu’il ſortoit pour aller à la Meſſe, elle l’aborda, & alors apres s’eſtre rendu de part & d’autre les complimens, & les ceremonies accouſtumées, elle luy dit. Noble & valeureux Capitaine, ie vous ſupplie grandement par la generosité de voſtre race, que vous ne fermiez, point les aureilles à ce peu de choſe que i’ay à vous dire. Conſiderez ie vous prie qu’encore que ie ſois Mahometane, & que le grand nombre de mes pechez m’ait renduë aueugle en la claire connoiſſance de voſtre ſaincte Loy, Toutesfois pource que ie ſuis femme, & que i’ay eſté la Reyne, vous me deuez porter quelque reſpect, & regarder ma miſere auec des yeux de Chreſtien. À ces mots Pedro de Faria ne ſceut d’abord que reſpondre. Enfin poſant bas ſa tocque, il luy fit vne grande reuerence, & apres auoir eſté tous deux long-temps ſans parler, la Reyne ſalüa la porte de l’Egliſe, qui eſtoit deuant elle, puis elle parla derechef à Pedro de Faria ; Certes, luy dit-elle, ces deſirs que i’ay touſiours eu de vanger la mort de mon mary, ont eſté & ſont encore ſi grands, que i’ay deliberé de chercher tous les moyens qui me ſeront poßibles pour le faire, puiſque pour la foibleſſe de mon ſexe la fortune ne m’a permis de porter les armes. Croyant donc que celuy-cy, qui eſt le premier que ie me ſuis reſoluë d’eſprouuer, fut le plus aſſeuré & duquel i’ay fait plus d’eſtat, que de pas vn des autres, pour m’eſtre fiée à l’ancienne amitié que i’ay touſiours euë auec vous autres Portugais, & à l’obligation de laquelle ceſte fortereſſe m’eſt redeuable, ſans y comprendre pluſieurs autres conſiderations que vous ſçauez bien, ie ſuis à preſent venuë pour vous prier les larmes aux yeux, qu’au nom du Serenißime Roy de Portugal, mon Seigneur, de qui mon mary a touſiours eſté ſuiet, & loyal vaſſal, que vous me vueilliez ayder & ſecourir en mon aduerſité, à quoy vous m’auez promis en public, de ne manquer en la preſence de pluſieurs nobles perſonnes : & cependant ie voy maintenant qu’au lieu d’effectuer la promeſſe que vous m’auez tant de fois repetée, & de vous en acquiter, vous alleguez pour excuſe que vous en auez eſcrit au Vice-Roy, & n’ayant de beſoin de tant de forces, que vous dites que l’on m’enuoyera pour cét effet, pource qu’auec cent hommes, & les miens qui ſont fugitifs par le pays en attendant mon retour, ie me fais forte, bien que ie ne ſois qu’vne femme, qu’en moins d’vn mois ie reprendray tout mon pays, & vangeray la mort de mon mary, qui eſt ce que ie deſire le plus, eſtant aidée de Dieu Tout-puiſſant, de la part duquel ie vous prie & requiers pour le ſeruice & l’honneur du Sereniſſime Roy de Portugal mon Maiſtre, ſeul azile aſſeuré de mon vefuage, que puiſque vous le pouuez, vous le faßiez promptement, pource qu’en la diligence conſiſte ce qu’il y a de plus important en cette affaire, & le faiſant ainſi vous coupperez le chemin à l’intention de cét ennemy, qui ne tend qu’à la ruine de ceſte fortereſſe, comme vous pouuez reconnoiſtre par les moyens qu’il a procurez pour ce faire. Si vous deſirez de m’enuoyer le ſecours que ie vous demande, ie l’attendray icy volontiers, ſinon eſclairciſſez-m’en, pource que vous me nuiſez autant en me faiſant perdre le temps, comme vous m’apporteriez de dommage, ſi vous me refuſiez ce que ie vous ay demandé auec tant d’ardeur, & que vous eſtes obligé de faire en qualité de Chreſtien, comme le ſçait fort bien le Seigneur Tout-puiſſant du Ciel & de la terre, lequel ie prends à teſmoing en cette mienne requeſte.