Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 28.

Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 97-99).


De ce qui ſe paſſa au Royaume d’Aaru, apres la mort du Roy, & comme la Reyne s’en alla à Malaca.


Chapitre XXVIII.



Apres que ce malheureux Roy d’Aaru eut finy ſes iours miſerablement, de la façon que ie viens de dire, & que ſon armée fut miſe en déroute, l’on n’eut pas beaucoup de peine à prendre la ville, & tout le Royaume. Alors le General des ennemis refit les tranchées, & les fortifia de toutes les choſes qu’il iugea neceſſaires à la conſeruation & à l’aſſeurance du ſurplus qu’ils auoit gaigné. Cela fait il y laiſſa vne garniſon de huict cens hommes des plus courageux de ſon armée, auſquels commandoit vn certain Mahometan Luſan, nommé Sapetù de Raja, & partit incontinent apres auec le reſte de ſes gens. C’eſt la commune opinion qu’il s’en alla treuuer le Roy d’Achem, & que ce Tyran le receut auec beaucoup d’honneur, pour le bon ſuccez de ceſte entrepriſe. Car, comme i’ay deſia dit, n’eſtant auparauant que Gouuerneur & Bandara du Royaume de Baarros, il luy donna le titre de Roy ; ſi bien que touſiours depuis il fut appellé Sultan de Baarros, qui eſt le propre nom de ceux qui ſont Roys entre les Mahometans. Or cependant que ces choſes ſe paſſoient, la deſolée Reyne eſtoit à ſept lieuës d’Aaru, où eſtant aduertie & aſſeurée de la mort du Roy ſon mary, & du triſte ſuccez de cette affaire, à meſme temps elle reſolut de ſe ietter dans le feu, pour le luy auoir ainſi promis durant qu’il eſtoit en vie, en luy confirmant cette promeſſe auecque de grands ſermens. Mais les ſiens ne luy voulans pas permettre d’executer vn deſſein ſi deſeſperé, luy apporterent pour cét effet pluſieurs raiſons fort valables. De maniere, qu’à la fin vaincue par leurs perſuaſions : Sans mentir, leur dit-elle combien que ie vous accorde ce que vous me demandez, ſi eſt-ce pourtant que ie veux bien que vous ſçachiez, que ny toutes les conſiderations que vous m’auez alleguées, ny les paroles dont vous vous ſeruez à farder le zele de bons & fidelles ſuiets, ne ſeront pas capables de me deſtourner d’vn ſi genereux deſſein, comme eſt celuy que i’ay promis à mon Roy, mon Mary, & mon Maiſtre, ſi ce n’eſt que Dieu me faſſe connoiſtre en mon ame, que viuante ie pourray mieux vanger l’iniure qu’on luy a fait ; außi ie iure par ſon ſang deuant tous vous autres, que tant que ie viuray ie chercheray tous les moyẽs de le faire, & pour ceſte occaſion ie me ſoubmettray à vne ſi grande extremité, que mille fois ie me feray Chreſtienne s’il en eſt beſoin, afin que pendant que ie viuray, ie puiſſe venir à bout de mon deſſein, que ie deſire le plus. Auec cette ardeur & ces paroles, ſans faire plus long ſeiour, elle ſe mit ſur vn Elephant, accompagné de trois cens hommes pour la garder, & de pluſieurs autres, qui apres la vinrent ioindre. Auec eux elle fit vn gros de ſept cens hommes, puis elle s’achemina vers la ville, à deſſein d’y mettre le feu, afin que ſes ennemis n’en euſſent point la poſſeſſion. Alors n’y treuuant qu’enuiron quatre cens Achems empeſchez apres le pillage de quelques hardes qui eſtoient reſtées, incitant les ſiens à ſe monſtrer reſolus en cette occaſion, elle leur repreſentoit les larmes aux yeux le deuoir qui les obligeoit à ce faire. Alors elle attaqua ſi valeureusement ſes ennemis, que de quatre cens qu’ils eſtoient dans la ville, l’on nous aſſeura depuis à Malaca, qu’il en eſtoit reſté fort peu de viuants. Cela fait, se reconnoiſſant trop foible pour l’execution du ſurplus de ſon dessein, elle s’en retourna dans le bois, où elle ſeiourna vingt iours, pendant leſquels elle leur fit la guerre, les ſurprit, & pilla tant de fois comme ils alloient querir de l’eau, du bois, & autres choses dont ils auoient beſoing, qu’ils n’oſoient plus ſortir hors la Ville pour ſe pouruoir de ce qui leur eſtoit neceſſaire, & s’il euſt eſté poſſible qu’elle euſt peu continuer cette guerre encore autre vingt iours, elle les euſt tellement affamez, qu’ils euſſent eſté contraincts de ſe rendre. Mais dautant qu’en ce temps-là il plût continuellement à cauſe du climat ; ioint que la terre eſtoit pleine de buiſſons, & de mareſcages, & que les fruits dont ils ſe nourriſſoient dans les bois, ſe pourriſſoient tous ; ſi bien que la pluſpart de ſes gens eſtoient malades, ſans qu’en ce lieu on leur peuſt donner aucun remede, ny ſecours ; la Royne fut contrainte de s’en aller vers vne riuiere nommée Minhaçumbaa, qui eſtoit à cinq lieuës de là, ſur laquelle s’eſtant embarquée dans ſeize vaiſſeaux à rames, tels qu’elle les pût aſſembler, leſquels eſtoient Paroos de peſcheurs, & auec iceux s’en vint à Malaca, ſur la creance qu’à ſon arriuée on ne luy refuſeroit rien de ce qu’elle pourroit demander.