Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 12.

Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 39-43).


Des choſes qui ſe paſſerent durant ce temps-là, iuſqu’à ce que Pedro de Faria arriuaſt dans Malaca.


Chapitre XII.



Le lendemain le Capitaine Gonzallo Vaz Continho, arriua à Goa auec ce qui luy reſtoit de gens. Là il fut grandement bien receu du Vice-Roy, auquel il rendit compte du ſuccez de ſon voyage ; enſemble de ce qui eſtoit arreſté auec la Royne d’Onor, qui luy auoit promis de bruſler la Galere dans quatre iours, & de chaſſer les Turcs de tous les confins de ſon Royaume ; dequoy le Vice-Roy fut grandement ſatiſfaict. Cependant apres que i’eus demeuré vingt & trois iours entiers dans la meſme Ville de Goa, où i’acheuay de me guerir des deux bleſſeures que i’auois receuës en combatant en la tranchée du Turc, l’extréme incommodité où ie me voyois reduit, fiſt que par le conſeil d’vn Pere Religieux, mon amy, ie m’en allay offrir mon ſeruice à vn Gentilhomme, nommé Pedro de Faria, qui pour lors eſtoit pourueu de la charge de Capitaine dans Malaca, d’abord il fut tres content de me receuoir pour ſoldat, & me promiſt auec cela que dans ſa compagnie il me donneroit quelque aduantage plus qu’aux autres, durant le voyage qu’il s’en alloit faire auec le Vice-Roy. Car c’eſtoit en ce meſme temps que le Vice-Roy Dom Garcia de Noronha faiſoit ſes preparatifs pour s’en aller au ſecours de la fortereſſe de Diu, qu’il ſçauoit aſſeurément eſtre aſſiegée, & en grand danger d’eſtre priſe, par les grandes forces que le Turc y auoit miſes deuant : ce qui fut cauſe que pour y remedier, le Vice-Roy leua à Goa vne puiſſante armée nauale, compoſée d’enuiron deux cens vingt cinq vaiſſeaux, dont il y en auoit quatre-vingt trois de haut bord, à ſçauoir groſſes Nefs, Gallions, & Carauelles, & pour le ſurplus il conſiſtoit en Brigantins, en Fuſtes, & en Galeres. Dans leſquels vaiſſeaux l’on aſſeuroit qu’il y auoit bien dix mille honeſtes gens, enſemble trente mille hommes de Chiourme, tant pour la guerre, que pour la nauigation d’vne armée ſi redoutable, ſans y comprendre vne grande quantité d’eſclaues Chreſtiens. Ce qu’il y auoit de pire en tous les preparatifs, eſtoit qu’il ne s’y paſſoit rien dequoy n’euſt aduis le Bachat General de l’armée du Turc, par les lettres que luy enuoyoient exprés Hidalcan, Camorin, Roy de Calicut, Inezamalue, Acedecan, & pluſieurs autres Princes Payens & Mahumetans, qui pour cet effet entretenoit quantité d’eſpions. Le temps de faire voile eſtant venu, & l’armée pourueuë des choſes neceſſaires, le Vice-Roy s’embarqua le Samedy quatorzieſme Nouembre 1583. Neantmoins cinq iours ſe paſſerent deuant que démarer du port, pource qu’il attendoit que tous ſes hommes fuſſent preſt pour s’embarquer auec luy. Cependant la veille du iour qu’il deuoit partir, il arriua vn Catur de la Ville de Diu, auec vne lettre d’Anthonio de Silueyra, Capitaine de la fortereſſe, par laquelle il donnoit aduis au Vice-Roy, que les Turcs s’eſtoient retirez, & auoient leué le ſiege. Quoy que ceſte nouuelle fuſt bonne, ſi ne laiſſa-t’elle pas de cauſer vne notable tristeſſe à toute l’armée, pour l’extréme deſir qu’auoient tous les noſtres de s’en aller combatre les ennemis de noſtre Foy. Cela fut cauſe que le Vice-Roy demeura là cinq iours de ſurplus, durant leſquels il pourueut à toutes les choſes neceſſaires à la conſeruation de ſon Gouuernement des Indes ; pour cét effect du meſme-lieu où il eſtoit anchré, il enuoya en Portugal deux Nauires commandées par Martin Alfonſe de Souſa, & par Vincent Pegado. Par meſme moyen il enuoya dans l’vn de ſes vaiſſeaux, le Docteur Fernand Rodriguez, de Caſtelbranco, Intendant de ſes Finances, auec commiſſion de le faire charger de poivre à Cochin, & d’arreſter le Gouuerneur precedent Nuno de Cunha, qui peu de iours auparauant y eſtoit arriué dans le Nauire ſaincte Croix, fort indiſpoſé de ſa perſonne, & mal ſatiſfait du peu de reſpect qu’on luy portoit, croyant luy en eſtre deu dauantage, à cauſe de ſes ſeruices. Le Vice-Roy ayant ordonné toutes ces choſes, comme i’ay dit cy-deuant, commanda tout incontinent que l’on euſt à faire voile, & ainſi il partit de ceſte emboucheure de Goa vn Ieudy matin ſixieſme de Decembre. Le quatorzieſme iour de ſa nauigation il s’en alla moüiller l’anchre à Chaül, où il demeura trois iours, pendant leſquels il entra en conference auec Inezamaluc, & pourueut à quelques affaires grandement importantes à la ſeureté de la fortereſſe. Apres cela il fit eſquiper quelques vaiſſeaux de l’armée qu’il pourueut de ſoldats & de viures ; puis il partit de là pour aller à Diu. Mais le malheur voulut pour luy qu’ayant gaigné les pointes de Daanuu, comme il trauerſoit le Golphe, il ſuruint tout à coup vne ſi furieuſe tempeſte, qu’auec ce qu’elle ſepara ſon armée nauale, elle cauſa la perte de pluſieurs vaiſſeaux, principalement de la Galere baſtarde, qui ſe perdit dans l’emboucheure de Dabul, ayant pour Capitaine Dom Aluaro de Noronha, fils du Vice-Roy, & Capitaine General de la marine. Dans ce meſme Golphe fit auſſi naufrage la Galere nommée Eſpinheyro, où commandoit Iean de Souſa, ſurnommé Rates, pour eſtre fils d’vn Prieur d’vn lieu ainſi appellé. Neantmoins durant ce deſaſtre la pluſpart de ceux qui eſtoient dedans ſe ſauuerent, par le prompt ſecours que leur donna Chriſtophle de Gama, fils du Comte Admiral, qui fut celuy-là meſme que les Turcs firent mourir quelque temps apres dans le pays du Preſte-Iean. Durant ce naufrage ſe perdirent encore ſept autres Nauires, dont i’ay oublié le nom ; de maniere qu’il ſe paſſa plus d’vn mois, deuant que le Vice-Roy ſe fuſt releué de la perte qu’il auoit faite, & qu’il euſt raſſemblé le nombre de gens que ceſte tourmente luy auoit diſſipés en diuers lieux. À la fin le ſeizieſme Ianuier 1539. il arriua à la ville de Diu, où il fit rebaſtir la fortereſſe, la meilleure partie de laquelle auoit eſté démolie par les Turcs ; ſi bien qu’il ſembloit qu’elle ſe fuſt deffenduë des aßiegeans, pluſtoſt par vn grand miracle, que par la force. Or pour en venir à bout plus facilement, il fit publier que tous les Capitaines, auec leurs ſoldats priſſent chacun la charge de rebaſtir le quartier qui leur ſeroit donné ; & dautant qu’il n’y auoit point de Chef qui euſt plus de gens que Pedro de Faria, il fut d’aduis de luy donner pour ſon quartier le Bouleuart qui regardoit la mer, enſemble la fauſſe-braye, qui eſtoit du coſté de la terre. À quoy il trauailla ſi exactement, qu’en vingt ſix iours de temps, l’vn & l’autre furent remis en meilleur eſtat qu’auparauant, par le moyen de trois cens ſoldats qui s’y employerent. Cela fait, pource qu’il ſe treuua que c’eſtoit le quatorzieſme Mars, & le commencement de la nauigation pour aller à Malaca, Pedro de Faria fit voile à Goa, où en vertu d’vne patente qu’il auoit du Vice-Roy, il acheua de s’équiper de tout ce qui luy eſtoit neceſſaire ; depuis il partit de Goa le treizieſme Auril, auec vne flotte de huict Nauires, quatre Fuſtes, & vne Galere, dans leſquels vaiſſeaux il y auoit cinq cens hommes, qui eurent le vent ſi fauorable, qu’ils arriuerent à Malaca le cinquieſme iour de Iuin, en la meſme année 1539.