Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 10.
Arnould Cotinet et Jean Roger, (p. 34-36).
e Brachmane eſtant congedié, Gonzallo Vaz Continho prit reſolution de ſe battre contre les Turcs, mais deuant que paſſer outre, il fut aduerty par des eſpions de quelle ſorte de ſtratagemes il vouloit vſer contre nous, & comme quoy la nuict precedente par la faueur de la Royne ils auoient mis la Galere dans vn foſſé, & fait tout aupres vne terraſſe fort haute, ſur laquelle ils auoient flanqué vingt-cinq pieces d’Artillerie ; mais pour tout cela Gonzallo ne laiſſa pas de partir pour s’en aller où eſtoient les ennemis. Se voyant prés d’eux enuiron la portée d’vn Canon, il ſortit de sa Fuſte, & mit pied à terre auec quatre-vingts hommes ſeulement. Et dautant que le reſte des hommes qu’il auoit amenez de Goa pour ceſte entrepriſe, ne faiſoit en tout que le nombre de cent, il les laiſſa pour la garde des Fuſtes. Ainſi apres auoir bien rangé ſes gens en vn corps de bataille, il ſe mit à marcher courageuſement contre ſes ennemis, qui nous voyant aller contre eux, ſe reſolurent de ſe deffendre en vaillans hommes. Pour cét effet ils ſortirent vingt-cinq ou trente hors de leurs tranchées, où le combat ſe commença de part & d’autre, auec tant de furie, qu’en moins de demy quart d’heure il en demeura ſur la place quarante-cinq de morts, entre leſquels il y eut ſeulement huit des noſtres ; alors le Capitaine General n’eſtant pas content de ceſte premiere charge, leur en donna vne ſeconde, par le moyen de laquelle il pleuſt à Dieu leur faire tourner le dos, ſi bien qu’ils firent retraite peſle-meſle, comme gens qui par leur faute & par leurs deſroute teſmoignoient l’apprehenſion qu’ils auoient de la mort. Cependant nous les pourſuiuiſmes iuſques dans leurs tranchées, où ils nous tournerent viſage, & nous firent teſte tout de nouueau, en quoy l’ardeur fut ſi grande de part & d’autre, & nous nous treuuaſmes ſi auant dans la meſlée les vns parmy les autres, & ſi embarraſſés que nous nous offencions auec les pommeaux de nos cymeterres. En meſme temps arriuerent nos Fuſtes, qui le long du riuage s’en eſtoient venuës à la rade pour nous ſecourir, comme en effet elles tirerent ſur nos ennemis toute noſtre artillerie ſi à propos, qu’elles abbatirent vnze ou douze de leurs plus vaillans Ianniſſaires, qui portoient entr’eux des bonnets verts, pour marque de leur nobleſſe. Ceſte mort effraya ſi fort les autres, qu’ils quitterent le camp auſſi-toſt ; de ſorte que par ce moyen ils nous donnerent loiſir de mettre le feu dans la Galere, par l’exprés commandement du General Gonzallo. Pour cét effet apres qu’on y euſt ietté dedans cinq pots de poudre, le feu ſe priſt dans ceſte meſme Galere, auec tant de violence, que nous y viſmes toutes les apparences que l’on ſçauroit dire, qu’elle ne tarderoit gueres à eſtre entierement conſommée, car le mas & l’antenne s’en alloient eſtre deſia tous embraſez, ſi les ennemis connoiſſans en quel danger ils eſtoient, n’euſſent eſteint ce feu courageuſement. Cependant les noſtres s’obſtinerent plus fort que iamais à ſe rendre les maiſtres du foſſé, & à deffendre en vaillans ſoldats ce qu’ils auoient deſia gaigné par leur courage. Ce que voyant les ennemis, pour faire leur dernier effort contre nous, ils mirent le feu à vne grosse piece d’artillerie, laquelle à ce que nous en iugeaſmes depuis par la balle, eſtoit vne double piece de batterie, qui auec vn ſacquet de pierre nous mit à mort ſix des noſtres, dont le principal eſtoit Diego Vaz Continho, fils du Capitaine General. Dauantage il y eut quinze ou ſeize autres de bleſſez, à cauſe de quoy nous fuſmes tous mis en deſroute. Alors les ennemis ayant reconneu le dommage qu’ils venoient de nous faire, ſe meirent tous à crier fort haut en ſigne de victoire, & à rendre graces à leur Mahomet ; ce qui fiſt qu’alors noſtre General oyant nommer leur faux Prophete qu’ils inuoquoient pour mieux encourager ſes ſoldats ; Mes compagnons d’armes, leur dit-il, puiſque ces chiens appellent le Diable à leur ayde, prions tous le ſainct Nom de Ieſus-Chriſt, qu’il ſoit à la noſtre. Cela dit, ils attaquerent encore vne fois la tranchée, ce que les ennemis n’eurent pas ſi toſt apperceu qu’ils tournerent le dos finement, & prirent la fuite vers la Gallere, en intention de s’y fortifier. Mais à meſme temps ils furent ſuiuis par quelques-vns des noſtres, qui ne tarderẽt gueres à gaigner la moitié de leurs trãchées. Alors les perfides preſque tous reduits au deſeſpoir de ſe voir auec ſi peu de force meirent le feu ſecrettement à vne mine qu’ils auoient faicte à l’entrée de leur tranchée, dont l’execution fut telle, que ſix de nos Portugais, & huict eſclaues y demeurerent ſur la place, ſans y comprendre quelques autres que la violence du feu rendit perclus de leurs membres : d’ailleurs la fumée en eſtoit ſi grande, & ſi eſpaiſſe, que difficilement nous pouuions nous entreuoir. De maniere que le Capitaine Gonzallo apprehendant qu’il ne luy arriuaſt vne perte encore pire que les precedentes, fiſt ſa retraicte vers le riuage. Par meſme moyen il fiſt porter par ceux qui eſtoient reſtez en vie, tous les morts, & tous les bleſſez, & ainſi il s’en alla où eſtoient ſes Fuſtes, où tous s’eſtans embarquez, ils s’en retournerent à force de rames, au meſme lieu d’où elles eſtoient venuës, où auec vn grand ſentiment de douleur il fiſt enterrer les morts, & penſer ceux que le fer ou le feu auoit endommagés, qui ſe treuuerent en grand nombre.