Les Voleurs (Vidocq)/dico1/A

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A

abadis, s. f. — Foule, multitude, rassemblement.

ABAT-RELUI, s. m. — Abat-Jour.

ABBAYE DE MONTE-A-REGRET, ou de Monte-à-Rebours, s. f. — Nos romanciers modernes, Victor Hugo même, qui, dans le Dernier Jour d’un Condamné, paraît avoir étudié avec quelque soin le langage bigorne, donnent ce nom à la Guillotine, quoiqu’il soit bien plus ancien que la machine inventée par Guillotin, et qu’il ne s’applique qu’à la potence ou à l’échafaud.

Celui qui jadis était condamné à passer tous ses jours à la Trappe ou aux Camaldules, ne voyait pas sans éprouver quelques regrets se refermer sur lui les portes massives de l’abbaye. La potence était pour les voleurs ce que les abbayes était pour les gens du monde ; l’espoir n’abandonne qu’au pied de l’échafaud celui qui s’est fait à la vie des prisons et des bagnes ; les portes d’une prison doivent s’ouvrir un jour, on peut s’évader du bagne ; mais lorsque le voleur est arrivé au centre du cercle dont il a parcouru toute la circonférence, il faut qu’il dise adieu à toutes ses espérances, aussi a-t-il nommé la potence l’Abbaye de Monte-à-Regret.

*abbaye ruffante (Four chaud), s. f. — Ce mot appartient au vieux langage argotique, il est précédé d’un astérisque ainsi que tous ceux qui sont empruntés à un petit ouvrage très-rare, publié au commencement du seizième siècle, et qui est intitulé : « Le Jargon, ou Langage de l’Argot moderne, comme il est à présent en usage parmi les bons pauvres ; tiré et recueilli des plus fameux argotiers de ce temps ; composé par un Pilier de Boutanche qui maquille en molanche, en la vergne de Tours ; à Troyes, et se vend à Paris, chez Jean Musier, marchand libraire, rue Petit-Pont, à l’image Saint-Jean.»

abèquer, v. a. — Nourrir un enfant ou quelqu’un gratuitement.

ABÈQUEUSE, s. f. — Nourrice.

abloquir, v. a. — Acheter à prix d’argent ; se dit aussi pour acquérir.

ABLOQUISSEUR-euse, s. — Celui qui achète ou qui acquiert.

ABOULAGE ACRÉ, s. f. — Abondance.

abouler, v. a. — Venir.

ABOULER DE MACQUILLER, v. a. — Venir de faire une chose ou une autre.

ABOYEUR, s. m. — Celui qui dans une prison est chargé d’appeler les prisonniers demandés au parloir.

ABBEUVOIR A MOUCHES, s. f. — Grande plaie d’où coule le sang ; ce terme est passé dans la langue populaire ; je le trouve dans le Vocabulaire de Vailly, édition de 1831.

ACCENT (Faire l’), v. p. — Voir Arçon (faire l’).

ACCROCHE-CŒURS, s. m. — Favoris.

ACHAR, s. m. ab. — Acharnement.

AGRÉ-ée, adj. — Fort-e.

affranchi-ie, adj. — Être corrompu, connaître et pratiquer une ou plusieurs des nombreuses manières de voler. (Affranchi des Latins.)

affranchir, v. a. — Corrompre, apprendre à quelqu’un les ruses du métier de fripon ; ainsi l’on dira : Affranchir un sinve avec de l’auber, corrompre un honnête homme avec de l’argent, l’engager à taire la vérité ; Affranchir un sinve pour grinchir, faire un fripon d’un honnête homme.

AFFURAGE, s. m. — Bénéfice, profit.

AFFURER, v. a. — Gagner. (Vient probablement de fur, voleur.)

* AFLUER, v. a. — Tromper.

AIDANCE, s. m. — Service.

AIGUILLE, s. f. — Clé. Terme dont se servent les voleurs de campagne.

AILE, s. m. — Bras.

AILE (Sous l’), adv. — Sous le bras.

ALARMISTE, s. m. — Chien de garde.

ALENTOIR, adv. — Alentour, aux environs.

ALTÈQUE, adj. — Beau, bon, excellent. (Altar), d’où dérive le mot altier, changé en altèque.

allumer, v. a. — Regarder attentivement.

* AMADOU, s. m. — Les gargotiers du temps passé nommaient ainsi une drogue dont ils se frottaient pour devenir jaunes et paraître malades.

* AMBYER, v. a. — Fuir.

ANDOUILLE, s. m. — Homme qui a peu de vigueur, qui est indolent, sans caractère.

* ANGLUCE, s. f. — Oie.

ANGUILLE, s. f. — Ceinture.

A NIORT (Aller), v. a. — Nier un fait.

ANTIFLER, v. a. — Marier.

ANTONNE, s. f. — Église. Terme des voleurs parisiens.

ANTROLLER, v. a. — Emporter.

APOTRE, s. m. — Doigt.

AQUIGER, v. a. — Battre, blesser. On aquige aussi les cartes pour les reconnaître au passage, et les filer au besoin.

ARBALÈTE, s. f. — Croix que les femmes portent au col.

ARBALÈTE DE CHIQUE, D’ANTONNE, DE PRIANTE, s. f. — Croix d’église.

ARCASIEN. arcasineur, s. m. — Celui qui écrit des lettres de Jérusalem. (Voir ce mot.)

arcat, s. m. — Le fait d’écrire une lettre de Jérusalem.

ARCHE DE NOÉ, s. f. — Académie.

archi-suppôt DE L’ARGOT, s. m. (Voir Cagoux.)

arçon (Faire l’), v. p. — Faire le signal qui sert aux voleurs, et plus particulièrement aux assassins de profession, pour se reconnaître entre eux. Ce signal se fait de cette manière : le bruit d’un crachement et simuler un C sur la joue droite et près du menton, avec le pouce de la main droite. On fait aussi l’arçon pour avertir celui qui se dispose à travailler (à voler), de ne pas commencer, attendu qu’il est observé ou en danger d’être saisi.

ARGANEAU, ou ORGANEAU, s. m. — Anneau de fer placé au milieu de la chaîne qui joint entre eux les forçats suspects.

ARGOTIER, s. m. — Celui qui parle argot, sujet du grand Coësré. (Voir ce mot.)

ARGUEMINES, s. f. — Mains. Terme des voleurs flamands.

arguche, s. m. abst. — Argot. Jargon des voleurs et des filous, qui n’est compris que par eux seuls ; telle est du moins la définition du Dictionnaire de l’Académie. Cette définition ne me paraît pas exacte ; argot, maintenant, est plutôt un terme générique destiné à exprimer tout jargon enté sur la langue nationale, qui est propre à une corporation, à une profession quelconque, à une certaine classe d’individus ; quel autre mot, en effet, employer pour exprimer sa pensée, si l’on veut designer le langage exceptionnel de tels ou tels hommes : on dira bien, il est vrai, le jargon des petits maîtres, des coquettes, etc., etc., parce que leur manière de parler n’a rien de fixe, d’arrêté, parce qu’elle est soumise aux caprices de la mode ; mais on dira l’argot des soldats, des marins, des voleurs, parce que, dans le langage de ces derniers, les choses sont exprimées par des mots et non par une inflexion de voix, par une manière différente de les dire ; parce qu’il faut des mots nouveau pour exprimer des choses nouvelles.

Toutes les corporations, toutes les professions ont un jargon (je me sers de ce mot pour me conformer à l’usage général), qui sert aux hommes qui composent chacune d’elles à s’entendre entre eux ; langage animé, pittoresque, énergique comme tout ce qui est l’œuvre des masses, auquel très-souvent la langue nationale a fait des emprunts importans. Que sont les mots propres à chaque science, à chaque métier, à chaque profession, qui n’ont point de racines grecques ou latines, si ce ne sont des mots d’argot ? Ce qu’on est convenu d’appeler la langue du palais, n’est vraiment pas autre chose qu’un langage argotique.

Plus que tous les autres, les voleurs, les escrocs, les filous, continuellement en guerre avec la société, devaient éprouver le besoin d’un langage qui leur donnât la faculté de converser librement sans être compris ; aussi, dès qu’il y eut des corporations de voleurs, elles eurent un langage à elles, langage perdu comme tant d’autres choses.

Il n’existe peut-être pas une langue qui ait un point de départ connu ; le propre des langues est d’être imparfaites d’abord, de se modifier, de s’améliorer avec le temps et la civilisation ; on peut bien dire telle langue est composée, dérive de telles ou telles autres ; telle langue est plus ancienne que telle autre ; mais je crois qu’il serait difficile de remonter à la langue primitive, à la mère de toutes ; il serait difficile aussi de faire pour un jargon ce qu’on ne peut faire pour une langue ; je ne puis donc assigner une date précise à la naissance du langage argotique, mais je puis du moins constater ces diverses époques, c’est l’objet des quelques lignes qui suivent.

Le langage argotique n’est pas de création nouvelle ; il était aux quatorzième, quinzième et seizième siècles celui des mendians et gens de mauvaise vie, qui, à ces diverses époques, infestaient la bonne ville de Paris, et trouvaient dans les ruelles sombres et étroites, alors nommées Cour des Miracles, un asile assuré. Il n’est cependant pas possible d’en rien découvrir avant l’année 1427, époque de la première apparition des Bohémiens à Paris, ainsi l’on pourrait conclure de là que les premiers élémens de ce jargon ont été apportés en France par ces enfans de la basse Égypte, si des assertions d’une certaine valeur ne venaient pas détruire cette conclusion.

Sauval (Antiquités de Paris, t. Ier) assure que des écoliers et des prêtres débauchés ont jeté les premiers germes du langage argotique. (Voir Cagoux ou Archi-Suppôt de l’Argot.)

L’auteur inconnu du dictionnaire argotique dont il est parlé ci-dessus, (voir Abbaye Ruffante), et celui de la lettre adressée à M. D***, insérée dans l’édition des poésies de Villon, 1722, exemplaire de la Bibliothèque Royale, pensent tous deux que le langage argotique est le même que celui dont convinrent entre eux les premiers merciers et marchands porte-balles qui se rendirent aux foires de Niort, de Fontenay et des autres villes du Poitou. Le docteur Fourette (Livre de la Vie des Gueux) est du même avis ; mais il ajoute que le langage argotique a été enrichi et perfectionné par les Cagoux ou Archi-Suppôts de l’Argot, et qu’il tient son nom du premier Coësré qui le mit en usage ; Coësré, qui se nommait Ragot, dont, par corruption, on aurait fait argot. L’opinion du docteur Fourette est en quelque sorte confirmée par Jacques Tahureau, gentilhomme du Mans, qui écrivait sous les règnes de François Ier et de Henri II, qui assure que de son temps le roi ou le chef d’une association de gueux qu’il nomme Belistres, s’appelait Ragot. (Voir Dialogues de Jacques Tahureau, gentilhomme du Mans. À Rouen, chez Martin Lemesgissier, près l’église Saint-Lô, 1589, exemplaire de la Bibliothèque Royale, n° 1208.)

La version du docteur Fourette est, il me semble, la plus vraisemblable ; quoi qu’il en soit, je n’ai pu, malgré beaucoup de recherches, me procurer sur le langage argotique des renseignemens plus positifs que ceux qui précédent. Quoique son origine ne soit pas parfaitement constatée, il est cependant prouvé que primitivement ce jargon était plutôt celui des mendians que celui des voleurs. Ces derniers, selon toute apparence, ne s’en emparèrent que vers le milieu du dix-septième siècle, lorsqu’une police mieux faite et une civilisation plus avancée eurent chassé de Paris les derniers sujets du dernier roi des argotiers.

La langue gagna beaucoup entre les mains de ces nouveaux grammairiens ; ils avaient d’autres besoins à exprimer ; il fallut qu’ils créassent des mots nouveaux, suivant toujours, une échelle ascendante ; elle semble aujourd’hui y être arrivée à son apogée ; elle n’est plus seulement celle des tavernes et des mauvais lieux, elle est aussi celle des théâtres ; encore quelques pas et l’entrée des salons lui sera permise.

Les synonymes ne manquent pas dans le langage argotique, aussi on trouvera souvent dans ce dictionnaire plusieurs mots pour exprimer le même objet, (et cela ne doit pas étonner, les voleurs étant dispersés sur toute l’étendue de la France, les mots, peuvent avoir été créés simultanément). J’ai indiqué, toutes les fois que je l’ai pu, à quelle classe appartenait l’individu qui nommait un objet de telle ou telle manière, et quelle était la contrée qu’il habitait ordinairement ; un travail semblable n’a pas encore été fait.

Quoique la syntaxe et toutes les désinences du langage argotique soient entièrement françaises, on y trouve cependant des étymologies italiennes, allemandes, espagnoles, provençales, basques et bretonnes ; je laisse le soin de les indiquer à un philologue plus instruit que moi.

Le poète Villon a écrit plusieurs ballades en langage argotique, mais elles sont à-peu près inintelligibles ; voici, au reste, ce qu’en dit le célèbre Clément Marot, un de ses premiers éditeurs : « Touchant le jargon, je le laisse à exposer et corriger aux successeurs de Villon en l’art de la pince et du croc. »

Le lecteur trouvera marqué d’un double astérisque les mots extraits de ces ballades dont la signification m’était connue.

ARICOTAGE, s. m. — Le supplice de la roue.

ARICOTER, v. a. — Rompre.

ARICOTEUR, s. m. — Le bourreau. Celui qui rompt.

ARLEQUINS, s. m. — Morceaux de viande de diverses sortes, provenant de la desserte des bonnes tables et des restaurateurs, qui se vendent à un prix modéré dans plusieurs marchés de Paris. Ce mot est passé dans la langue populaire.

ARNACHE, s. m. — Tromperie.

ARNACHE (A L’). — En trompant de toute manière.

ARNELLERIE, s. m. — Rouennerie, (marchandise).

ARNELLE. s. — Rouen.

ARPAGAR, s. — Arpajon.

ARPIONS, s. m. — Pieds.

ARQUEPINCER, v. a. — Saisir vivement.

ARSONNEMENT, s. m. — Masturbation.

ARSONNER (S’), v. p. — Se masturber.

* ARTIE, s. m. — Pain.

* ARTIE DU GROS GUILLAUME. s. m. — Pain noir.

* ARTIE DE MEULAN, s. m. — Pain blanc.

ASPIC, s. m. — Médisant, Calomniateur.

ASPIQUERIE, s. m. — Médisance, calomnie.

ASTICOT, s. m. — Vermicelle.

ATOUSER, v. a. — Encourager.

ATOUT, s. m. — Estomac.

ATOUT (Avoir de l’), s. m. — Être courageux, hardi.

ATTACHE, s. m. — Boucle.

* ATTRIMER, v. a. — Prendre.

ATTRIQUER, v. a. — Acheter des effets volés.

auber, s. m. — Argent monnoyé.

AUTAN, s. m. — Grenier.

AUTOR (d) s. f. — D’autorité.

AVALER LE LURON, v. a. — Communier.

AVALOIR, s. m. — Gosier.

AVERGOTS, s. m. — Œufs.

AVOIR DU BEURRE SUR LA TETE, v. p. — Être couvert de crimes ; proverbe argotique des voleurs juifs ; ils disent en hébreu : « Si vous avez du beurre sur la tête, n’allez pas au soleil : il fond et tache. »

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