Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité/Eudoxe

EUDOXE.

Eudoxe, fils d’Eschine, naquit à Gnide, et devint tout à la fois astrologue, géomètre, médecin et législateur. Il apprit d’Archytas la géométrie, et étudia la médecine sous Philistion de Sicile, dit Callimaque dans ses Tables. Sotion, dans ses Successions, nous dit qu’il eut Platon pour maître. Dans sa vingt-troisième année, Eudoxe, pauvre et nécessiteux, mais aussi empressé de s’instruire que touché de la réputation des disciples de Socrate, se rendit à Athènes avec le médecin Théomédon, qui le nourrissait, et qui, selon quelques uns, avait pour lui une tendresse toute particulière. Etant arrivé au Pirée, il allait régulièrement tous les jours à Athènes, d’où, après avoir entendu les orateurs, il revenait au logis. Son séjour dans ce lieu dura deux mois, au bout desquels il s’en retourna chez lui. Ses amis ayant contribué à lui amasser quelque argent, il partit pour l’Egypte, accompagné du médecin Chrysippe, et muni d’une lettre de recommandation qu’Agésilas lui donna pour Nectanabe, qui parla en sa faveur aux prêtres d’Egypte. Il s’arrêta dans ce pays pendant un an et quatre mois, se faisant raser la barbe et les sourcils. Si on en croit quelques uns, il s’y occupa à composer un ouvrage de mathématique, qu’il intitula Octaéteride. Il se rendit ensuite à Cyzique et dans la Propontide, où il exerça la philosophie. Enfin, après avoir vu Mausole, il reprit la route d’Athènes, et y parut avec un grand nombre de disciples, dans le dessein, à ce qu’on croit, de mortifier Platon, qui n’avait pas d’abord voulu le recevoir. Il y en a qui disent qu’étant avec plusieurs autres à un repas que donnait celui-ci, il introduisit l’usage de se placer à table en demi-cercle. Nicomaque, fils d’Aristote, lui attribue d’avoir dit que la volupté est un bien.

Eudoxe fut extraordinairement estimé dans sa patrie, témoin le décret qu’on y fit à son honneur. La Grèce n’eut pas moins de respect pour lui, tant à cause des lois qu’il donna à ses concitoyens, comme le rapporte Hermippe dans son quatrième livre des sept Sages, que par rapport à ses excellents ouvrages sur l’astrologie, la géométrie, et d’autres sciences.

Ce philosophe eut trois filles, nommées Actis, Philtis et Delphis. Ératosthène, dans ses livres adressés à Bâton[1], dit qu’il écrivit aussi des dialogues cyniques. D’autres, au contraire, prétendent qu’ils furent l’ouvrage d’auteurs égyptiens, qui les composèrent en leur langue, et qu’Eudoxe les traduisit en grec. Il prit de Chrysippe de Gnide, fils d’Érinée, les notions des choses qui regardent les dieux, le monde et les météores. Quant à la médecine, Il fut dressé à cette science par Philistion de Sicile. Au reste, il a laissé de fort beaux commentaires.

Outre ses trois filles, Eudoxe eut un fils appelé Aristagore, qui éleva Chrysippe, fils d’Æthlius. Ce Chrysippe est auteur d’un traité de médecine sur les maladies des yeux, auquel il travailla par occasion, en faisant des recherches physiques.

Il y a eu trois Eudoxes : celui-ci ; un autre, Rhodien de naissance et historien ; un troisième de Sicile, fils d’Agathocle, poëte comique, trois fois vainqueur dans les fêtes de Bacchus qui se célébraient en ville, et cinq fois dans celles de la campagne, selon Appollodore dans ses Chroniques. Nous trouvons encore un médecin de même nom, natif de Gnide, et de qui notre Eudoxe, dans son livre de la Circonférence de la terre, dit qu’il avait pour maxime d’avertir qu’il fallait tenir son corps et ses sens dans un mouvement continuel par toutes sortes d’exercices.

Le même rapporte que cet Eudoxe de Gnide était en vogue vers la cent troisième olympiade, et qu’il découvrit les règles des lignes courbes. Il mourut dans la cinquante-troisième année de son âge. Pendant qu’il était en Egypte auprès d’iconuphis Iléliopolitain, il arriva que le bœuf Apis lui lécba l’habit ; d’où les prêtres conclurent qu’il serait fort célèbre, mais qu’il ne vivrait pas longtemps. Ce récit de Phavorin, dans ses Commentaires, nous a donné matière à ces vers sur son sujet :

On dit qu’Eudoxe, étant à Memphis, s’informa de son sort en s’adressant au bœuf célèbre de ces lieux. L’animal ne répondit rien. Eh ! qu’aurait pu dire un bœuf ? Apis manque de voix, la nature ne lui en a pas donné l’usage : mais, se tenant de côté, il lécha l’habit d’Eudoxe. Qu’annonçait-il par là ? Qu’Eudoxe ne vivrait pas longtemps. En effet, il mourut bientôt, n’ayant vécu que cinquante trois ans

La grande réputation qu’il avait dans le monde fit que, par le changement de la seconde lettre de son nom, ou l’appela d’un autre, qui signifiait homme célèbre. Mais après avoir fait mention des philosophes pythagoriciens les plus distingués, venons-en à divers autres qui se sont rendus illustres, et commençons par Héraclite.


  1. D’autres traduisent Hécaton. Voyez Ménage.