Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité/Anaxarque

ANAXARQUE.


Anaxarque, natif d’Abdère, fut disciple de Diomène de Smyrne, ou, selon d’autres, de Métrodore de Chio, qui disait qu’il ne savait pas même qu’il ne savait rien. Au reste, on veut que Métrodore étudia sous Nessus de Chio, pendant que d’un autre côté on prétend qu’il fréquenta l’école de Démocrite.

Anaxarque eut quelque habitude avec Alexandre, et florissait vers la cent dixième olympiade. Il se fit un ennemi dans la personne de Nicocréon, tyran de Cypre. Un jour qu’il soupait à la table d’Alexandre, ce prince lui demanda comment il trouvait le repas : « Sire, répondit-il, tout y est réglé avec magnificence. Il n’y manque qu’une chose : c’est la tête d’un de vos satrapes qu’il faudrait y servir. » Il prononça ces paroles en jetant les yeux sur Nicocréon, qui en fut irrité et s’en souvint. En effet, lorqu’après la mort du roi Anaxarque aborda malgré lui en Cypre, par la route qu’avait prise le vaisseau à bord duquel il étant, Nicocréon le fit saisir; et ayant ordonné qu’on le mit dans un mortier, il y fut pilé à coups de marteaux de fer. Il supporta ce supplice sans s’en embarrasser, et lâcha ces mots remarquables : « Broie, tant que tu voudras, le sac qui contient Anaxarque; ce ne sera jamais lui que tu broieras. » Le tyran, dit-on, commanda qu’on lui coupât la langue; mais il la coupa lui-même avec les dents, et, la lui cracha au visage. Voici notre poésie à son occasion :
Écrasez, bourreaux, écrasez; redoublez vos efforts; vous ne mettrez en pièces que le sac qui renferme Anaxarque. Pour lui, il est déjà en retraite auprès de Jupiter. Bientôt il en instruira les puissances infernales, qui s’écriront à haute voix: Va, barbare exécuteur!

On appelait ce philosophe Fortuné, tant à cause de sa fermeté d’ame, que par rapport à sa tempérance. Ses répréhensions étaient d’un grand poids, jusque là qu’il fit revenir Alexandre de la présomption qu’il avait de se croire un dieu. Ce prince saignait d’un coup qu’il s’était donné. Il lui montra du doigt la blessure, et lui dit: Ce sang est du sang humain, et non celui qui anime les dieux.

Néanmoins Plutarque assure qu’Alexandre lui-même tint ce propos à ses courtisans. Dans un autre temps Anaxarque but avant le roi, et lui montra la coupe en disant : Bientôt un des dieux sera frappé d’une main mortelle.