Les Vaillantes/Conclusion

Marc Imhaus et René Chapelot (p. 305-310).


CONCLUSION


Il se trouve encore aujourd’hui des misogynes pour contester l’œuvre de guerre des femmes, critiquer leur attitude, rabaisser ou nier leur rôle, en déplorer les conséquences futures. Œuvre vaine, quand les faits parlent ; quand pour nos alliés, nos ennemis même, la patience et le courage féminins sont de la gloire nationale un des plus clairs rayons.

L’action des femmes ne saurait se discuter. Elle s’impose avec la clarté de l’évidence, avec la force du fait accompli. Les femmes n’ont voulu ni la guerre ni ses conséquences pénibles ou glorieuses. Elles ont accepté les unes, subi les autres avec la seule préoccupation d’être à la hauteur de la tâche que les circonstances — non elles-mêmes, — leur assignaient.

Cette tâche elles l’ont remplie et, puisqu’elle a été partie intégrante de la défense nationale, elle fut noble et belle quelles qu’en puissent être les conséquences pour l’avenir.

L’avenir ! le lecteur sera surpris, déçu peut-être de ne pas nous voir soulever le voile où s’enveloppe, mystérieuse, la femme de demain. Laissons de faciles prophètes s’égarer sur le fuyant terrain des anticipations et avouons que l’avenir nous échappe, trop d’éléments du présent nous faisant encore défaut. Qui pourrait aujourd’hui embrasser d’un seul regard la France de la victoire ? Qui pourrait lire dans l’âme, prévoir les actions, dessiner le rôle de la femme nouvelle ? Il faudrait, pour cela, connaître toutes les femmes du temps présent. Nous en connaissons seulement un petit nombre dont les manifestations intellectuelles comme les actes nous apparaissent contradictoires.

Celle-ci, jalouse d’une indépendance péniblement acquise, n’envisage qu’avec répugnance l’idée de retomber « sous le joug marital ». Celle-là soupire après le moment où elle retrouvera « aide et protection » au bras du plus fort. L’une, glorieuse d’avoir su tenir un rôle d’homme, fière de montrer à la face du monde que les femmes enfin comptent pour quelque chose, veut, la paix faite, prolonger son effort. L’autre, fatiguée de la lutte, n’aspire qu’à se décharger des durs devoirs de la vie sociale comme d’un trop lourd fardeau.

À quoi bon les douleurs de la maternité si elles doivent nous préparer, vingt ans après, des douleurs plus grandes ? crie une voix de femme. — Soyons mères au contraire ; donnons au pays de nombreux enfants, répondent d’autres voix. C’est le plus sûr moyen d’éviter le deuil et les larmes.

Si la guerre a fait quelques brebis égarées, elle en a ramené d’autres au bercail ; et sans préjuger de l’avenir, on peut bien dire que celles-ci sont plus nombreuses que celles-là. Pour les indépendantes même, comptons sur la toute puissance de la nature et sur l’éternelle jeunesse de l’amour. Soyons persuadés que toute femme saura se dépouiller sans regret de l’âme masculine que, sous l’empire de circonstances tragiques et par un miracle d’énergie, elle a su quelques jours s’insuffler. Les remplaçantes, les héroïnes ne seront pas les moins bonnes épouses et souvenons-nous du mot d’une combattante : « Je désire maintenant une seule chose, rebâtir le foyer familial ».

Les femmes d’ailleurs ne forgeront pas seules leur destinée. Nul changement en celle-ci sans la consécration du pays légal masculin. Or les hommes aussi sont loin d’être unanimes : et, si les uns veulent, pour une illusoire sauvegarde de la famille, refermer sur la femme de nouveaux gynécées, d’autres songent à lui ouvrir toutes grandes les portes du monde. Restriction des droits féminins ? Égalité complète ? À laquelle des deux conceptions appartiendra l’immédiat avenir ? À l’avenir seul de répondre. Soyons persuadés cependant qu’on ne saurait revenir sur les faits accomplis et que le peuple des tranchées aura au cœur avec l’amour plus vif de la femme dont il fut longtemps privé, l’estime profonde pour celle qui entretint la flamme du foyer et défendit seule les intérêts familiaux.

Le mari d’après-guerre, sans doute, voudra jurer à sa compagne « protection, aide et amour ». Sans doute il verra volontiers en elle non plus une subordonnée, mais vraiment la collaboratrice. Les mœurs d’abord, puis les lois, donneront à l’épouse, à la mère sa vraie place dans la maison familiale.

Cette place, elle sera d’autant plus en droit de la tenir que le chef de famille saura pouvoir, au besoin, se reposer sur elle de la direction du ménage et de son entretien. Combien de familles, mieux instruites de la réalité par une terrible expérience, voudront donner à leur fille, même riche, un métier qui, en cas de revers, la mette à l’abri du besoin ! Souhaitons-les nombreuses. L’idéal n’est-il pas que toute femme apprenne un métier manuel ou intellectuel, quitte à ne le pratiquer que si elle reste ou redevient seule dans la vie ? Aux femmes comme aux hommes « sans aptitudes spéciales » la société est et sera toujours plus inhospitalière.

Collaboratrice dans la bonne fortune, remplaçante dans la mauvaise fortune, telle devrait être l’épouse de demain.

Pris en masse, comme pris individuellement, les hommes désireront rendre justice à leurs compagnes et ce sentiment seul sera — s’il se manifeste — la source de grands changements, de vastes progrès.

Ce sera justice que de n’interdire à la femme, parce que femme, aucun des emplois dont une expérience de plus de trois ans l’a montrée capable.

Voilà donc perpétuée, accrue, une concurrence inquiétante déjà avant la guerre ? Voilà donc les femmes disputant, arrachant leur pain aux mutilés ! Des publicistes déjà ont poussé de tels cris d’alarme. Sophisme ! Antithèse d’un bel effet littéraire, mais dont la réalité montre le néant ! Les mutilés réduits à des emplois autrefois féminins, les femmes viendront combler en partie les vides qu’ils auront laissés dans leurs anciens emplois. Et le travail de reconstruction matérielle et sociale sera dès lors si considérable que, dans notre pays appauvri, jamais trop de bras, trop de cerveaux ne sauraient s’y appliquer. S’il doit y avoir concurrence ce sera entre la main-d’œuvre féminine et la main-d’œuvre étrangère. Quel Français pourrait hésiter ?

Ce serait justice, intérêt bien entendu, peut-être, que de laisser désormais aux femmes une place plus grande sur le navire symbolique de l’État. Les placer de suite au gouvernail ? Leur donner déjà le vote politique ? Non. Une minorité seulement le réclame, la majorité serait indifférente ou inexperte. Autre est la question du vote municipal. On a vu des femmes discuter dans une assemblée, diriger un village, administrer une ville, sauvegarder en des circonstances périlleuses d’immenses intérêts. La preuve est faite qu’avec des qualités différentes, par des procédés autres, elles peuvent aussi bien que les hommes gouverner la cité. Pourquoi la France se priverait-elle de l’énergie de quelques-unes, de la souplesse de tant d’autres, des talents ménagers de presque toutes ? La France, victorieuse mais épuisée, doit, pour un immense effort de création, réquisitionner toutes les forces, toutes les intelligences. Toutes lui seront nécessaires. Pour toutes il y aura une tâche à accomplir.

The right man — the right woman — in the right place : empruntons à nos alliés cette belle formule pour en faire la devise de la France nouvelle.

Elle est souhaitable, possible, cette transformation légère de l’esprit et des mœurs, aurore d’immenses changements. Sera-t-elle ? question tout autre ! Les institutions et les hommes sont à la merci de trop d’impondérables, insoupçonnés jusqu’à l’heure où éclate leur puissance, pour qu’on puisse emprisonner de mots l’avenir même immédiat.

Si l’évolution se réalise ainsi cependant, l’atroce fléau sera semblable à ces inondations dévastatrices qui, sur les plaines ravagées, laissent après elles l’humus fécondant. De la guerre même seront sortis quelques progrès. Progrès trop chèrement achetés, n’est-il pas vrai, épouses en larmes, mères assombries d’un deuil éternel ?