Les Trois Nuits de Don Juan/Préface

Calmann-Lévy (p. i-iii).



PRÉFACE



À l’instar des produits de bonne marque, les grands artistes connaissent la contrefaçon : derrière la femme de théâtre probe et convaincue, se dresse sa caricature : la théâtreuse. Désormais, à côté de la vraie femme de lettres, — celle qui ne confond point le scandale avec le succès, — surgit cet être nouveau : la lettreuse.

Ceci est le roman de la créature sans scrupule, sinon sans talent, dont l’esprit détraqué ne recule devant rien pour assouvir son appétit de notoriété ; — et qui va jusqu’au crime passionnel, parce qu’elle est sûre d’être acquittée et songe que les journaux, en rendant compte du drame, donneront la liste complète de ses œuvres — voire l’adresse de son libraire.

Ainsi, le fait divers d’aujourd’hui tourne à la publicité gratuite.

Le moyen est facile : lorsque son éditeur ne tire pas assez d’éditions, l’auteur tire des coups de revolver — sur son mari, sur son amant, sur un passant… sur n’importe qui. Et le « bon à tirer » envoyé à l’imprimerie peut fournir un jeu de mots ironique.

N’y en eût-il qu’une seule, la brebis galeuse est un danger pour le troupeau ; il faut combattre le prestige de l’auréole rouge.

Voilà pourquoi cette histoire — qui aurait pu arriver, car elle renferme toute l’invraisemblance des histoires vraies — s’efforce de présenter telle qu’elle est, c’est-à-dire haïssable, la lettreuse malsaine et déséquilibrée, pour qui la vengeance n’est qu’une manière de réclame et l’esclandre une Gloire en strass.

À présent que son arrivisme et sa névrose lui font juger que la vie d’un honnête homme vaut moins qu’un mauvais bouquin, il est utile de percer à coups d’épingle la personnalité du bas-bleu, ainsi que l’on crève une baudruche trop soufflée.

Et cela sera la moralité d’un livre en apparence immoral.


JEANNE MARAIS.