Les Tremblements de terre/I/02

J.-B. Baillière et Fils (p. 48-60).

CHAPITRE II


DE L’IMPORTANCE RELATIVE
DES COMPOSANTES DU MOUVEMENT SÉISMIQUE


Le caractère des secousses varie avec la grandeur relative des composantes du mouvement séismique et l’on peut s’en servir pour fixer les limites de l’épicentre. Si l’on suppose déterminées en chaque point les intensités relatives de la composante verticale et de la composante horizontale du mouvement, on peut tracer une série de courbes concentriques représentant les points où ce rapport possède telle ou telle valeur et obtenir entre autres le contour de la surface où la composante horizontale est sensiblement nulle. La circonscription dans laquelle les mouvements s’effectuent ainsi presque exclusivement dans le sens vertical, où les secousses se réduisent à des trépidations, peut être prise comme définition de l’épicentre. Ainsi posée, cette définition est différente de celle qui a été donnée d’après la considération de l’intensité totale ; mais les deux conceptions conduisent sensiblement au même résultat pratique pour fixer l’aire centrale du phénomène séismique.

Cette conclusion, que nous croyons justifiée par l’observation, est cependant en contradiction avec ce qui est admis par quelques-uns des savants les plus recommandables parmi ceux qui s’appliquent à l’étude de la physique terrestre.

R. Mallet, par exemple, a cru pouvoir déduire de considérations théoriques, que le maximum des désastres se rencontrait dans les points où la composante horizontale et la composante verticale avaient la même intensité et de plus il a pensé que l’observation des faits venait à l’appui de son opinion.

Récemment Günther, dans son Traité de géophysique, a exprimé l’idée que les mouvements ondulatoires étaient bien plus destructeurs que les trépidations. Ils désagrègent, dit-il, les constructions et amènent la ruine des édifices, tandis que les trépidations les plus violentes, celles qui projettent les objets meubles, amènent, en définitive, des dérangements beaucoup moins importants. Comme preuve de son opinion, il raconte, en s’appuyant sur l’autorité de Dolomieu, que lors du tremblement de terre des Calabres en 1783, les villes de Messine et de Reggio, assaillies par des secousses trépidatoires d’une extrême violence, sont cependant en grande partie restées debout, alors que la bourgade de Polistena, qui n’avait ressenti qu’un mouvement ondulatoire, n’était plus qu’un monceau de ruines. Le fait qui est l’objet de cette citation nous paraît mal interprété par Günther. L’inégalité d’intensité des secousses successives, la position variable de l’épicentre et la différence de solidité des constructions dans les deux villes et dans la bourgade en question rendent suffisamment compte de l’erreur dans laquelle nous estimons qu’est tombé Günther.

Partant des mêmes principes, J. Le Conte, dans une note récemment publiée à propos du tremblement de terre de Charleston, a admis aussi que la composante horizontale du choc séismique était aussi la plus efficace au point de vue de la destruction. Il fait remarquer que l’intensité du mouvement produit croît en raison inverse du carré du rayon de la sphère agitée et l’élément horizontal du mouvement en raison directe du cosinus de l’angle d’émergence, d’où il suit que le maximum d’intensité de la composante horizontale se produit quand l’angle d’émergence est de 54° 44ʹ, qu’il se manifeste sur la circonférence formée par l’intersection de la surface du sol par un cône dont le sommet est au centre d’ébranlement et dont l’ouverture est de 70° 32ʹ.

Jusqu’à preuve du contraire, et en me basant sur des observations personnelles faites à Mételin et à Céphalonie en 1867, ainsi qu’en Andalousie en 1884, je crois pouvoir maintenir l’assertion que les trépidations sont la cause la plus efficace de la ruine des édifices.

L’intensité du mouvement en un point donné peut être rigoureusement définie comme l’a fait Hayden, par l’énergie de l’effort exercé sur l’unité de surface de la vague séismique en ce point ; et, comme nous l’avons dit ci-dessus, les destructions opérées ne fournissent qu’un moyen grossier de déterminer l’intensité ainsi définie. Il y aurait donc lieu de chercher un moyen pratique d’analyser sûrement un mouvement du sol de manière à permettre de tracer des courbes isoséistes qui correspondent à la conception scientifique de l’intensité. C’est principalement dans ce but que Milne a entrepris les remarquables expériences qu’il a inaugurées au Japon en 1881 en collaboration avec Gray, dans lesquelles il a cherché à fixer toutes les conditions que présente la transmission d’un ébranlement violent produit dans le sol. Ces expériences ont eu pour résultat de faire bien connaître le caractère de chacune des composantes du mouvement étudié et d’en montrer les relations, aussi devons-nous signaler ici leurs très grande importance.

La commotion était engendrée par des explosions de dynamite et le mouvement transmis par le sol était constaté à des distances connues au moyen de divers instruments dont le principal était le séismographe à charnière (brackett sismograph). Deux de ces instruments enregistreurs étaient disposés de manière à recevoir le tracé des deux composantes horizontales du mouvement, l’une agissant dans le sens de la transmission (composante longitudinale ou normale), l’autre perpendiculairement (composante transversale) ; enfin un appareil approprié permettait aussi de connaître l’effet produit par la composante verticale du mouvement. Les actions de ces trois composantes étaient ainsi enregistrées séparément, et l’on obtenait, dans chaque expérience, trois tracés sinueux indiquant les différentes phases de la transmission du choc. De la sorte, on a pu constater qu’en un point de la surface du sol, le mouvement transmis était représenté par une série de petites oscillations d’inégale amplitude et d’inégale durée (fig. 15).

À la fin du mémoire intéressant qu’il a publié sur la question, Milne a réuni, sous forme d’aphorisme, les données recueillies sur chacune des composantes du mouvement. Citons ici quelques-unes de ses conclusions :



Fig. 15. — Courbes du séismographe à charnière obtenues
dans l’une de ces expériences.


« Dans une station voisine de l’origine, la seconde ou la troisième ondulation du mouvement longitudinal est ordinairement la plus ample, après quoi l’amplitude de l’oscillation décroît rapidement.

« Cette amplitude est approximativement en raison inverse de la distance à l’origine.

« Dans une station voisine de l’origine, la période d’ondulation est d’abord courte. Elle devient plus longue à mesure que l’ébranlement se propage et finit par devenir égale à celle du mouvement transversal.

« Le maximum de vitesse du mouvement longitudinal a été trouvé de 11 millimètres par seconde dans une station éloignée de 25 mètres de l’origine, l’ébranlement étant produit par l’explosion d’une mine chargée de 2kg,250 de poudre.

« En se propageant le mouvement se transforme et certaines ondulations se dédoublent.

« Près de l’origine, le mouvement longitudinal a un commencement nettement défini. Plus loin, le mouvement commence irrégulièrement et le maximum est plus lentement atteint.

« Les caractères du mouvement transversal sont peu différents de ceux du mouvement longitudinal.

« Près de l’origine, l’amplitude du mouvement longitudinal est plus grande que celle du mouvement transversal. Lorsque l’ébranlement se propage, l’amplitude du premier décroît plus lentement que celle du second, de sorte qu’à une certaine distance elles peuvent devenir égales l’une à l’autre. »

Près de l’origine la période du mouvement transversal peut être le double de celle du mouvement longitudinal ; mais lorsque l’ébranlement s’éteint dans une station donnée ou lorsqu’il se propage, les périodes des deux séries de vibrations se rapprochent l’une de l’autre.

Le mouvement vertical commence par des vibrations petites et rapides et se termine par des vibrations lentes et à longues périodes.

L’intensité d’un mouvement peut être représentée par l’accélération qu’il communique. Cette quantité est susceptible d’être déterminée au moyen des diagrammes que tracent les séismographes à charnières. On trouve ainsi des valeurs comprises entre les fractions et dans lesquelles est le maximum de vitesse du mouvement ondulatoire, le quart de la période et l’amplitude.

L’intensité de l’ébranlement causé par un tremblement de terre en un point donné pouvant être, comme Milne l’a montré, déterminée au moyen de séismographes qui fournissent les valeurs des quantités , et , il s’ensuit que dans un pays muni d’un nombre suffisant d’observatoires séismiques, on pourrait tracer avec précision les courbes isoséistes que l’on construit aujourd’hui par la considération unique des effets mécaniques produits.

Un fait bien remarquable ressort encore des expériences de Milne, c’est la petitesse des amplitudes du mouvement vibratoire occasionné en un point donné par une explosion produite à une distance de quelques mètres. Dans les expériences de ce savant distingué la composante longitudinale du mouvement a engendré des vibrations dont l’amplitude a rarement dépassé 3 millimètres, et dans les tremblements de terre qui ont eu lieu au Japon depuis dix ans, Milne et Gray n’ont pas observé d’amplitude de plus de 2 millimètres, alors même que la secousse ressentie paraissait assez violente.

Assurément ce fait curieux mérite d’appeler l’attention, mais doit-on en conclure que les effets destructeurs observés sont l’œuvre de vibrations répétées d’aussi faible amplitude ? C’est ce qui me semble bien difficile à admettre ; d’autant plus que l’on sait, par les expériences de Milne lui-même que le nombre des vibrations par seconde est peu considérable. On n’en compte pas ordinairement plus de sept à huit ; souvent il n’y en a que trois ou quatre et quelquefois moins encore.

N’y a-t-il pas lieu plutôt de suspecter la sensibilité du séismographe employé par le savant observateur ?

Outre les mouvements trépidatoires et ondulatoires, on observe encore dans les tremblements de terre des mouvements gyratoires (moto vorticoso). Les exemples de ce dernier genre de mouvements sont fréquents et l’explication en est très simple ; ils ne forment pas une catégorie particulière de mouvements.

Ils sont dus à ce qu’un objet incomplètement fixé adhère plus particulièrement au sol en un point qui ne se trouve pas sur la verticale de son centre de gravité. La composante horizontale d’un choc subi par ce corps le fait tourner autour de son point d’adhérence.

Il est rare qu’un tremblement de terre se produise sans qu’on ait à signaler certains exemples de ces phénomènes de gyration ; nous allons rapporter ici quelques-uns des plus remarquables.

Delomieu raconte qu’en 1783 on vit deux pyramides en forme d’obélisques, placées devant l’église San Stefano del Bosco en Calabre, dont les assises avaient fourni un curieux mouvement de rotation.

À Rio Bamba en 1797, à Majorque en 1851, à Viège en 1855, des faits analogues ont été constatés.

En 1867, une statue élevée à l’entrée du port d’Argostoli, dans l’île de Céphalonie, a subi, sur son piédestal, par l’effet des secousses, une rotation d’environ 20°.

Dans le cimetière de Faro, le 29 juin 1873, une pyramide funéraire composée de sept assises de pierre superposées a éprouvé une sorte de mouvement de torsion ; chacune de ses assises ayant tourné sur l’assise inférieure de plusieurs degrés, tandis que l’axe vertical du monument ne se déplaçait parallèlement à lui-même que d’une très petite quantité.

Falb, auquel on doit cette observation, a constaté des faits analogues lors du tremblement de terre d’Agram, le 9 novembre 1880, et à la suite du même séisme ; Toula a rapporté le fait curieux d’une cheminée d’usine, haute de 30 mètres, qui est demeurée debout, mais a subi à sa partie supérieure une véritable torsion.

En 1884, au moment du tremblement de terre d’Andalousie, une pyramide quadrangulaire, élevée sur l’une des places de Malaga, a offert un phénomène analogue. Ce monument, édifié à la mémoire des généraux fusillés pendant la guerre civile de 1821 à 1823, possède une hauteur d’environ 15 mètres. Il se compose de plusieurs assises superposées, dont chacune s’est déplacée par rapport à l’assise inférieure d’environ 5 centimètres, en tournant du sud au nord par l’ouest.

Le tremblement de terre de Tokio, en 1880, a fourni aussi un exemple de ce genre (fig. 16).

Celui d’Ilopango, dans l’Amérique centrale, du mois de décembre 1879, a présenté de remarquables exemples de rotation, qui sont décrits dans les termes suivants dans le rapport de la commission du Guatémala : « Le tremblement de terre a produit un effet curieux

Fig. 16. — Pyramide contournée. Extrait des Transactions of the seismological
Society of Japon.

dans la maison du commandant d’Ilopango. Cette habitation avait sa façade dirigée sud 86° est. Au nord, elle présentait en avant une véranda soutenue par cinq piliers rectangulaires. Avant la secousse, deux de leurs faces étaient parallèles aux murs de la maison, mais après la commotion leur orientation se montra changée, quelques-uns d’entre eux avaient tourné de 14 à 28° autour de leur axe vertical… Dans l’église d’Ilopango, dont les murs latéraux étaient orientés de l’est à l’ouest, le toit était soutenu par deux files de huit piliers de bois : tous ces poteaux ont tourné de 5 à 6° dans le même sens que ceux de la maison du commandant. (À ce propos, nous ferons remarquer que dans un même édifice le sens de la rotation n’est pas nécessairement le même pour toutes les pièces qui présentent ce phénomène.)

On a cité aussi comme exemple de phénomène gyratoire les mouvements de rotation éprouvés par la frégate russe la Diane, dans le port de Simoda, au Japon, le 23 décembre 1854 ; mais comme nous l’avons vu précédemment, la cause de la gyration de la frégate n’est pas due à l’action directe des secousses, elle a été simplement le résultat du tourbillonnement des eaux du port causé par une série successive et rapide de flux et de reflux anormaux d’une extrême violence.

Lorsqu’un tremblement de terre se prolonge, il se compose dans son ensemble d’une série de commotions séparées par des intervalles divers, d’intensités inégales, correspondant souvent à des épicentres différents ; il était intéressant de faire, pour ainsi dire, la somme de la force totale dépensée par la nature dans chacun de ces cataclysmes. C’est pourquoi on a cherché à évaluer pour chaque tremblement de terre approximativement et d’une façon relative cette quantité que l’on considère comme représentant l’importance du phénomène.

M. Forel a proposé une formule à plusieurs termes dont nous allons exposer le principe.

Le premier terme est formé par le produit de l’intensité de la secousse principale, définie suivant l’échelle Rossi-Forel, par son extension. L’extension est mesurée par le numéro d’ordre des aires séismiques. Celles-ci sont divisées en cinq classes.

Les premières ont un plus grand diamètre de moins de 5 kilomètres ; les deuxièmes, de 5 à 50 kilomètres ; les troisièmes, de 50 à 150 kilomètres ; les quatrièmes, de 150 à 500 kilomètres ; les cinquièmes, de 500 kilomètres et plus.

Ce produit donne l’importance de la secousse principale. Pour y faire entrer les secousses accessoires, M. Forel additionne le nombre de ces secousses, en donnant le coefficient 1 aux petites secousses, 2 aux secousses moyennes, 3 aux secousses fortes ou étendues.

En appelant le facteur d’intensité ; , le facteur d’extension de l’aire séismique ; , le nombre des secousses accessoires faibles ; , le nombre des secousses accessoires moyennes ; , le nombre des secousses accessoires fortes, l’importance du tremblement de terre s’exprime par la formule :

Une autre manière d’apprécier l’intensité totale d’un tremblement de terre a été proposée par Seebach et appliquée par von Lasaulx aux tremblements de terre de Herzogernrath de 1873 et de 1877. Elle consiste à admettre que cette intensité est proportionnelle au carré du rayon de l’aire séismique superficielle totale ou de ce que l’on appelle encore l’élongation. Cette méthode serait peut-être justifiée si le sol était homogène. Avec les inégalités de composition et de structure qu’il présente, elle n’est pas plus scientifique que la précédente. Tout au plus, pourrait-elle être employée en prenant pour mesure de l’intensité, non le carré de l’élongation, mais la surface de l’aire séismique totale, et encore il resterait à résoudre la question délicate de la délimitation de cette aire.