Les Tremblements de terre/I/01

J.-B. Baillière et Fils (p. 9-47).


La cause qui produit les séismes agit avec des intensités variables à la surface du sol. Les points sur lesquels son action porte le plus immédiatement sont ceux qui se trouvent sur la verticale du foyer souterrain ; au moment des secousses violentes, la terre y bondit ébranlée par un choc dirigé de bas en haut ; des trépidations répétées désagrègent les constructions, projettent les tuiles des toitures et les pièces des carrelages ; les murs sont jetés par terre, les voûtes et les plafonds s’effondrent, la destruction des édifices s’opère parfois rapide et complète, et au bout de quelques secondes, sur l’emplacement d’une cité, il ne reste qu’un amas de décombres d’où s’échappent les cris des blessés et les gémissements des mourants.

Le district où s’observe ainsi le maximum des désastres a reçu le nom d’épicentre. Son étendue et la configuration de ses limites correspondent à celles du centre d’ébranlement situé dans les profondeurs. Si ce dernier était localisé dans un espace étroit et si le sol était homogène, l’épicentre serait à la surface représenté par un cercle de petit diamètre, mais il n’en est jamais ainsi ; sa forme est toujours plus ou moins allongée et dans la plupart des cas, en traçant ses bornes sur une carte on reconnaît qu’il possède à peu près les contours d’une ellipse. Si le centre d’ébranlement est peu étendu et surtout s’il est peu profond, l’ellipse en question est de petites dimensions ; les désastres importants sont concentrés dans un espace restreint. Tel a été le cas pour le tremblement de terre d’Ischia en 1883. L’épicentre situé sur l’emplacement même de la ville de Casamicciola n’avait pas plus de 1km 1/2 de longueur et 500 mètres de largeur. Il occupait une étroite surface elliptique allongée du N.N.O. au S.S.E., où aujourd’hui encore on n’aperçoit que des ruines amoncelées. Diverses considérations géologiques (nature volcanique du sol, éruptions relativement récentes dont les bouches sont situées dans le voisinage, température élevée du terrain et sources thermales sur le rivage même qui borde Casamicciola) se réunissent pour faire considérer la catastrophe d’Ischia comme le résultat d’une éruption volcanique avortée, dont le foyer, établi à une très médiocre profondeur, a été en même temps extrêmement circonscrit.

Au contraire, quand le centre d’ébranlement siège profondément dans les entrailles du sol, son action s’étale à la surface et le maximum de ses effets s’y manifeste sur un vaste épicentre, dont les dimensions peuvent dépasser des centaines de kilomètres. Tel a été le cas pour le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, pour celui des Calabres en 1783 ou encore pour celui du Venezuela en 1812, et, récemment, pour celui de Charleston en 1886. En général, plus un épicentre est étendu et plus ses contours sont difficiles à tracer, plus le passage à une zone moins éprouvée s’opère graduellement.

La considération de la forme de l’épicentre conduit encore à d’autres conclusions. Le sens de son allongement est toujours déterminé par un accident géologique, par une fracture de l’écorce terrestre, dont l’examen stratigraphique du terrain révèle d’ailleurs l’existence. Tantôt la cause qui produit ce tremblement de terre semble avoir pour lieu d’origine commune et simultanée toute la longueur de la cassure souterraine, tantôt elle se déplace sur le trajet de la faille et manifeste successivement son action en différents points de la surface du sol. Dans le premier cas, les secousses ébranlent en même temps une longue bande de terrain, la catastrophe a lieu tout d’un coup, le long d’une ligne généralement droite qui suit le trajet d’une chaîne de montagnes ou de quelque autre accident orographique important ; c’est ainsi qu’un violent tremblement de terre s’est manifesté le 2 mars 1878 simultanément au pied du versant sud de l’Himalaya, sur une longueur de plus de 1000 kilomètres. Citons encore, comme exemple de ce genre de



Fig. 1. Tremblements de terre de Suisse, de novembre 1879 à fin décembre 1880, d’après Forel.
(Archives des sciences physiques et naturelles de Génève, p. 404.)


séisme, le tremblement de terre du mois de mars 1872 en Californie, dans lequel un ébranlement subit se produisit sensiblement à la même heure, au pied du versant occidental de la Sierra Nevada, du 30e au 50e degré de latitude. Au lieu de suivre la direction d’une crête, l’ébranlement se produit parfois subitement tout le long d’un ravin correspondant à une cassure transversale, ou bien encore il occupe une ligne côtière le long de laquelle il étend dans un même moment ses ravages.

Quand le centre d’ébranlement est localisé en un point particulier d’un accident géologique, il arrive fréquemment qu’il se déplace peu à peu souterrainement, et, alors, le lieu du maximum des désastres se transporte en même temps à la surface du sol. Le tremblement de terre des Calabres, en 1783, a été des plus remarquables à ce point de vue. À son début, il a jeté par terre une partie de la ville de Messine, laissant à peu près intacte toute la partie de la pointe sud de l’Italie située à l’est du détroit ; mais, quelques semaines après, les secousses incessantes ayant acquis un redoublement de violence, le lieu de leur maximum s’est trouvé situé au nord-est, aux environs de la ville de Soriano. Quelques mois plus tard, c’est plus loin encore, dans la même direction, aux environs de Girifalco et de Polistena, que l’ébranlement a été le plus intense ; enfin, plus tard encore le point du maximum des secousses ayant cessé de progresser a commencé de rétrograder vers le sud-est. Ainsi, de Messine à Polistena, pendant plus d’une année, le terrible fléau a promené successivement ses ravages, ne semblant épargner une localité que pour la frapper plus sûrement le lendemain.

En 1811, le tremblement de terre qui a désolé la vallée du Mississipi a suivi une marche analogue. Après avoir débuté aux environs de l’embouchure du fleuve, on l’a vu peu à peu en remonter le cours, ruinant l’une après l’autre les cités bâties sur ses rives et arriver au bout d’une année aux confins des grands lacs du Canada.

Les tremblements de terre qui manifestent immédiatement leur action sur l’aire la plus étendue ne sont pas nécessairement les plus violents. Celui des Calabres, malgré sa marche lente et progressive, a été l’un des plus désastreux que l’on connaisse.

On voit, d’après ce qui vient d’être dit, que l’épicentre est à la surface du sol l’image de ce qu’est le centre d’activité séismique dans les profondeurs ; localisé, quand celui-ci est restreint ; allongé, quand le lieu où siège la cause de l’ébranlement est une cassure aplatie de l’écorce terrestre ; fixe, quand le foyer souterrain se maintient au même point ; mobile avec lui quand il se déplace, et tout cela en rapport avec la constitution géologique de la région qui est le théâtre du séisme.

Cette corrélation explique le maintien remarquable observé souvent dans la disposition des épicentres qui se succèdent dans une même localité, rapidement ou à de longs intervalles, car la cause profonde des séismes, quelle que soit sa nature, a la plus grande tendance à se maintenir souterrainement dans les mêmes conditions de gisement. Les mêmes fentes l’abritent ; il n’est donc pas étonnant que, quand elle recommence à agir, elle ébranle les mêmes districts à la surface du sol, y produise des effets affectant les mêmes allures et engendre des épicentres orientés d’une manière analogue.

Les exemples de cette constance, dans la distribution des phénomènes séismiques d’une région, abondent dans tous les pays sujets aux tremblements de terre. Dans la Suisse occidentale, par exemple, on peut tracer, suivant la direction des crêtes du Jura, depuis l’extrémité ouest du lac de Constance jusqu’à la sortie du lac de Genève, une ligne qui, de temps immémorial, sert d’axe à des épicentres étroits et allongés, caractérisant les ébranlements auxquels est sujette cette longue bande de terrain. Un coup d’œil jeté sur la constitution géologique et orographique de la contrée rend compte immédiatement de cette particularité, car c’est suivant cette ligne qu’ont été redressées les assises du Jura et que profondément s’étendent les fractures longitudinales qui correspondent aux plis de la chaîne.

Au nord-est des Alpes, aux environs de la capitale de l’Autriche, on connaît également divers systèmes de failles, qui s’entre-croisent et déterminent la direction des épicentres des principaux tremblements de terre du pays. L’une de ces cassures souterraines suit le trajet d’une petite rivière, le Kamp, qui prend sa source sur le plateau granitique de la Bohême, descend du nord au sud et vient se jeter dans le Danube un peu en amont de Vienne. C’est une fracture transversale par rapport à la direction générale des Alpes ; elle correspond à une dislocation importante du massif montagneux auquel elle aboutit, aussi est-elle célèbre par la fixité qu’elle semble donner à l’orientation des épicentres dans cette portion de la basse Autriche. Les tremblements de terre qui ont la faille en question pour point de départ sont très variables d’intensité ; tantôt ils n’ébranlent qu’une zone de terrain très bornée, alors ils s’accompagnent d’un petit épicentre presque circulaire appuyé au pied de la montagne et limité par les rives du Danube. Plus souvent, leur épicentre s’allonge et représente une ellipse qui s’étend dans la vallée du Kamp. Quelquefois, lorsque le phénomène s’étend, l’épicentre s’élargit à l’est et à l’ouest, mais s’étale plus encore vers le nord ; l’ellipse qui le circonscrit s’allonge démesurément de ce côté jusqu’à atteindre les frontières septentrionales de la Saxe.

La règle que nous venons de formuler relativement à la constance d’orientation des épicentres en un même district semble cependant soumise à des exceptions nombreuses. En effet, lorsqu’on considère une contrée sujette à de fréquents tremblements de terre, chacun de ces cataclysmes paraît au premier abord indépendant des autres. Les uns sont localisés ; d’autres possèdent des épicentres allongés qui s’entrecroisent entre eux ; quelques-uns ont une distribution à contours bizarres. Parmi les plus étendus, il en est dans le domaine desquels on a pu antérieurement observer, sur des espaces plus restreints, toutes les variétés d’orientation des épicentres. En un mot, c’est en apparence le désordre le plus complet, la négation de toute loi. Mais l’explication de ces phénomènes compliqués est très simple. Les régions où on les observe ont été le théâtre de bouleversements violents ; l’écorce terrestre y est criblée généralement de fentes produites à diverses époques et distribuées en faisceaux qui se coupent mutuellement. On a donc affaire dans ces cas à une sorte de mosaïque gigantesque, dont les géologues expérimentés savent seuls deviner les principaux traits. Or, c’est dans ces cassures si variées à tous égards que siège à des profondeurs variables la cause de chacun des tremblements de terre dont les effets viennent porter le trouble et la désolation à la surface. Dès lors, on comprend la complexité des effets qui doivent résulter d’une telle disposition.

La Suisse, implantée au milieu des Alpes, dans le pays le plus tourmenté peut-être qu’il y ait au monde, fournit des exemples bien remarquables de ces phénomènes compliqués. On peut s’en convaincre aisément en regardant une carte séismique publiée par un savant de ce pays, M. Forel[1]. Cette carte (fig. 1) porte l’indication des limites des aires d’ébranlement pour chacun des tremblements de terre sensibles à l’observation directe, au nombre de vingt et un, qui ont agité la Suisse du 15 novembre 1879 au 31 décembre 1880. Douze d’entre eux ne se sont fait sentir que sur un diamètre de 5 à 10 kilomètres, leur épicentre est presque circulaire. La plupart ont pour centre une localité intéressante par quelque



Fig. 2. — Tremblement de terre du 22 juillet 1881, d’après M. Ch. Soret.

trait géologique spécial ; on les trouve particulièrement situés sur le trajet de quelques rivières au cours torrentiel, au fond d’une vallée profondément encaissée qui représente une ligne de dislocation. Parfois même, cette disposition est accentuée, lorsque l’épicentre a son point médian au lieu où s’abouchent deux ravins de ce genre.

Sept tremblements de terre ont un épicentre sensiblement elliptique, en rapport évident avec les accidents orographiques du pays. Enfin, parmi les deux derniers, l’un embrasse la moitié occidentale de la Suisse, une partie de la Savoie et de la Bresse, et l’autre a atteint la Suisse presque tout entière avec une partie du Piémont et de la Lombardie. L’épicentre du premier est allongé dans la direction des montagnes du Jura ; celui du second s’étend de l’est à l’ouest, en suivant le trajet de la chaîne principale des Alpes.

Dans le cours d’un tremblement de terre on a aussi observé que deux commotions qui se suivaient à bref intervalle ne présentaient pas toujours le même épicentre. Un exemple remarquable de cette variation a été constaté par le professeur Soret, lors du tremblement de terre qui a ébranlé la Savoie, une partie de la Suisse et l’est de la France, dans la nuit du 21 au 22 juillet 1881 (fig. 2). Ce tremblement a été caractérisé par deux secousses principales, la première survenue à minuit, la seconde à 2h 45min du matin. L’épicentre de la première secousse était allongé dans la direction N.N.E., et celui de la seconde dans la direction N.N.O.

Il est à noter que les lignes qui représentent, comme nous le verrons ci-après, le mode de propagation de la secousse de 2h 45min, offrent dans leur partie septentrionale un tracé qui diffère peu, comme forme générale, de l’épicentre de cette secousse, tandis que dans leurs parties méridionales elles se rapprochent davantage du tracé de l’épicentre de la secousse de minuit. Il semble, d’après cela, que deux influences géologiques différentes ont agi simultanément dans les deux cas, mais avec des énergies inégales et variables.

Cette combinaison de deux influences différentes sur la distribution d’un séisme a été mise en évidence par Heim, pour le tremblement de terre du canton des Grisons, du 7 janvier 1880 (fig. 1). L’aire du tremblement de terre en question se décompose en effet en trois bandes, dont deux sont parallèles entre elles et longitudinales par rapport à la chaîne des Alpes, et dont la troisième, transversale, se superpose aux deux centres dans leur partie médiane.

En dehors de la zone épicentrale, les secousses arrivent d’autant plus affaiblies que l’on s’écarte davantage de celle-ci. On peut, par conséquent, tracer autour de l’épicentre des courbes concentriques représentant les termes successifs de la série décroissante des intensités. Ces lignes ont reçu le nom de courbes isoséistes. Toutes les localités situées sur le parcours de l’une d’elles sont atteintes au même degré par le mouvement venu des profondeurs. Dans ces dernières années, les savants suisses et italiens, attachés à l’étude des questions de physique terrestre, se sont mis d’accord sur l’adoption d’une échelle comprenant les degrés de cette série.

On y voit figurer en premier lieu les secousses assez violentes pour amener la ruine complète de tous les édifices ; puis celles qui ne renversent que les habitations les moins solidement construites ; en troisième lieu, celles qui causent seulement des dégradations et jettent par terre les objets mobiliers ; viennent ensuite celles qui, bien que très sensibles à l’observation directe, ne produisent pas de dommages ; enfin le terme extrême est représenté par les secousses qui ne sont sensibles qu’aux instruments séismométriques[2].

La plus centrale des courbes qui répondent à chacune de ces intensités représente l’épicentre. Les autres enveloppent celle-ci à des distances inégales et en se modulant grossièrement sur son contour. Cependant le tracé offre quelquefois de l’une à l’autre des différences notables ; plus on s’éloigne de l’épicentre, et en général plus les courbes d’égale intensité se modifient irrégulièrement par suite d’influences géologiques locales. La rencontre d’un massif éruptif, la traversée d’une faille, en changent brusquement les limites ; elles s’échancrent ou se hérissent de dentelures, s’incurvent et s’étendent dans une direction de plus en plus différente de celle de l’épicentre.

Les exemples de ce genre abondent dans les régions sujettes aux tremblements de terre, telles que le Japon, l’Amérique du Sud et l’Italie. Les irrégularités des courbes isoséistes offrent parfois les plus grandes bizarreries. Suivant les dispositions des particularités géologiques ou orographiques de la contrée, elles présentent des saillies vers l’extérieur, ou, au contraire, des plis refoulés vers l’intérieur de leur tracé. Quelquefois même, entre les deux courbes, on observe en un certain district un écartement notable, et l’on constate qu’il y existe un îlot où les secousses se sont manifestées souvent à un très faible degré.

Le tracé des courbes isoséistes du tremblement de terre de Charleston, du 31 août 1886, par Dutton et Hayden, est extrêmement remarquable à ce point de vue. Dans la partie nord on voit subitement, au contact des monts Apalaches, les courbes isoséistes s’infléchir vers le sud, envelopper la chaîne, la contourner à son extrémité méridionale pour remonter vers le nord. Il est à noter que les courbes, correspondant aux intensités 4, 5 et 6 de l’échelle Rossi-Forel, sont seules fortement affectées par le massif montagneux. Les courbes d’intensité plus grande, dont le tracé est entièrement compris dans les États situés plus au sud, portent à peine l’indication de l’influence des Apalaches. Et il en est de même pour les courbes de moindre intensité qui contournent la chaîne au nord. Deux autres minima d’intensité se montrent, l’un dans l’Indiana et l’Illinois, l’autre dans le sud de l’Alabama et du Mississipi. Ces minima se présentent sous forme d’îlots compris dans les dédoublements des combes isoséistes qui correspondent aux intensités 3 et 5. Ici l’atténuation d’intensité de la commotion ressentie doit être attribuée à des augmentations locales d’épaisseur du dépôt alluvial de la vallée du Mississipi (fig. 3).

Il arrive pourtant dans un assez grand nombre de cas que la ligne qui limite l’épicentre offre avec les courbes consécutives une relation assez simple. Quelquefois, en effet, on observe que ces courbes sont toutes des ellipses allongées dans la même direction, mais tandis qu’elles se touchent presque par l’une des extrémités de leur



Fig. 3. — Tremblement de terre de Charleston, 20 mai 1887.
(Extrait du Journal des sciences, t. IX, n°224, p. 489.)


grand axe, elles s’écartent au contraire de plus en plus par leur autre extrémité. En somme, l’allongement des ellipses ne se fait que d’un seul côté et, par suite, l’épicentre se trouve comme relégué à l’une des portions terminales de l’aire séismique totale.

Cette disposition est aussi une conséquence de la composition et de l’agencement des roches de la région. Si le sol était homogène ou au moins symétrique par rapport à un plan de cassure vertical, les courbes isoséistes seraient régulièrement concentriques ; mais souvent, par suite des irrégularités géologiques du terrain, le mouvement se propage aisément dans une direction, tandis qu’il s’affaiblit et s’éteint rapidement dans la direction opposée. C’est ainsi, par exemple, que dans la basse Autriche la masse montagneuse des Alpes semble le plus ordinairement opposer un obstacle considérable à la propagation vers le sud des mouvements séismiques qui ont pris naissance au pied septentrional de la chaîne. L’épicentre d’un tremblement de terre y dessine une ellipse généralement de petite dimension légèrement allongée à la base de la montagne perpendiculairement à sa direction. Puis les courbes isoséistes, conservant à peu près la même terminaison méridionale que l’épicentre, s’emboîtent concentriquement en s’étirant de plus en plus vers le nord.

Au point de vue de la distribution des courbes isoséistes, ce ne sont pas toujours les plus grands tremblements de terre qui sont les plus instructifs. Ce sont plutôt ceux d’étendue moyenne ; ils peuvent être étudiés plus complètement et en même temps sont susceptibles de donner des résultats plus nettement définis.

Un exemple de ce que peut fournir un de ces phénomènes de médiocre intensité, nous est présenté par le tremblement de terre de Herzogernrath, près d’Aix-la-Chapelle, survenu le 24 juin 1877. Il succédait dans la même localité, après quatre ans d’intervalle, à un autre séisme dont l’épicentre très raccourci avait affecté la forme d’une ellipse allongée du S.E. au N.O. et dont les courbes isoséistes très rapprochées les unes des autres serraient de près celles de l’épicentre sans irrégularité notable. Provenant d’un centre d’ébranlement souterrain établi sur une fracture géologique perpendiculaire à celle qui avait été le siège de la cause du phénomène séismique antérieur, il a produit un épicentre allongé perpendiculairement au premier et se croisant avec lui au point le plus endommagé par les secousses. Mais ce qui le distingue du précédent, c’est que les courbes isoséistes qui l’ont caractérisé ont affecté cette forme de plus en plus progressivement allongée dont nous avons noté la disposition si remarquable. L’épicentre s’est montré placé près de l’une des extrémités du grand axe commun à toutes les courbes isoséistes.

Si la courbe qui limite l’épicentre est généralement plus régulière que les autres lignes isoséistes tracées autour d’elle, cela tient à ce que comprenant une aire plus étroite, elle siège ordinairement sur un terrain de composition plus uniforme.

Lorsque l’épicentre d’un tremblement de terre est compris entre deux accidents géologiques importants, entre deux massifs éruptifs, par exemple, il peut, s’il en est suffisamment éloigné de part et d’autre, n’en ressentir dans son contour que très faiblement l’influence, et par suite se montrer avec une forme elliptique régulière. Mais les courbes isoséistes qui l’enveloppent, se rapprochant davantage des accidents en question, quelques-unes viennent butter contre eux, se dévient et présentent ainsi des irrégularités plus ou moins accentuées.

Tel a été le cas pour la série des courbes isoséistes qui ont caractérisé le tremblement de terre du 25 décembre 1884, en Andalousie (fig. 4). La première, circonscrivant l’épicentre, figurait une ellipse de 40 kilomètres de long sur 10 kilomètres de large, traversée dans le sens de sa longueur par les crêtes calcaires ou schisteuses de la chaîne bétique. À 60 kilomètres environ de part et d’autre, s’élevait d’un côté à l’ouest le massif montagneux de la Sierra de Ronda et de l’autre, à l’est, celui de la Sierra Nevada. La distance de ces deux énormes amas était suffisante pour que la courbe épicentrale n’ait offert aucune irrégularité dans son tracé. Mais déjà la seconde courbe présente une partie en retrait en face de la Sierra Nevada et en même temps elle s’allonge au sud-ouest, comme pour éviter de ce côté le contact immédiat de la Sierra de Ronda. Enfin, la plus extérieure, profondément échancrée à l’est, est affectée au nord-est et au sud-est de deux bosselures qui enclavent l’extrémité occidentale de la Sierra Nevada, tandis qu’à l’ouest de la Sierra de Ronda, elle suit la base du plateau montagneux et s’étend au loin dans la direction sud-ouest.



Fig. 4 — Andalousie. Tremblements de terre du 25 décembre 1884,
d’après les travaux de la commission française.


Quand un tremblement de terre manifeste son maximum d’action à la surface du sol dans une région côtière, on constate généralement que l’épicentre est allongé parallèlement au rivage.

C’est ce que l’on a observé, par exemple, pour le tremblement de terre récent de la frontière maritime de la France et de l’Italie. Là, on a pu remarquer que l’épicentre et avec lui l’aire d’ébranlement tout entière était échancrée par le golfe de Gênes. L’épicentre, étendu de Menton à Oneglia, offre une longueur de 55 kilomètres et une largeur perpendiculairement à la côte, qui ne dépasse pas 30 kilomètres. La seconde courbe isoséiste s’étend de Nice à Gênes sur une longueur de 190 kilomètres avec une largeur d’environ 50 kilomètres. Quant aux courbes suivantes, elles offrent une disposition analogue, ainsi que celle qui délimite l’aire totale du séisme, de telle sorte qu’en définitive, l’aire du tremblement de terre se trouve coupée en deux parties par la côte.

Sur la terre ferme, la production des secousses et leur décroissance avec la distance au centre superficiel des phénomènes sont faciles à constater. Du côté de la mer, l’observation est moins facile ; cependant les secousses se traduisent ordinairement pour les bâtiments qui naviguent dans la région ébranlée, par la production d’un choc comparable à la commotion résultant de la poussée de la carène du navire contre un écueil. Elles se manifestent encore par des mouvements tumultueux de la mer, par des marées étranges et quelquefois d’une extrême violence. On a vu ainsi la mer reculer à plusieurs kilomètres du rivage pour revenir ensuite avec furie. Il en résulte sur les côtes d’épouvantables désastres. On possède des exemples nombreux de catastrophes terribles dues à des phénomènes de ce genre. Déjà, dans l’antiquité, Thucydide avait attribué à un tremblement de terre la production subite et inattendue d’une formidable marée qui, en 425 avant Jésus-Christ, avait ravagé l’île d’Eubée. Hoff rapporte qu’en l’année 1510, une immense vague franchit tout à coup les rives du Bosphore et pénétra dans Constantinople. Elle détruisit cent neuf mosquées et mille soixante-dix maisons. L’un des plus grands désastres causés par le tremblement de terre de Lisbonne a été produit par la formation dans les eaux du Tage d’une vague haute de 26 mètres qui, franchissant les bords du fleuve fit périr un grand nombre de personnes réfugiées sur les quais de la ville. Mais les côtes occidentales de l’Amérique du Sud sont surtout célèbres par les phénomènes de ce genre. Ils y sont si fréquents que chaque fois qu’on voit la mer se retirer au loin dans des conditions anormales, les habitants du littoral sont immédiatement saisis de frayeur et cherchent à fuir loin du rivage par tous les moyens possibles, persuadés qu’à bref délai la mer reviendra sous la forme d’un énorme flot. La destruction complète du port de Callao, le 28 octobre 1746, a été l’œuvre d’un cataclysme de ce genre. Parmi les faits de cette sorte, contemporains de notre époque, qu’il nous suffise de citer la catastrophe d’Arica et de Tacna, le 13 août 1868, dans laquelle trois secousses ont été suivies d’autant d’irruptions de la mer sur la terre ferme, et celle d’Iquique, au Pérou, le 9 mai 1877, dans laquelle à huit reprises successives cette malheureuse localité a été inondée par un retour violent des eaux de la mer.

Il est peu de tremblements de terre côtiers, même parmi les plus faibles, dans lesquels la mer ne présente des mouvements anormaux causés par la commotion souterraine, mais il est quelquefois besoin d’instruments spéciaux pour les constater. Lors du tremblement de terre du 23 février 1887, le mouvement anormal de la mer causé par la commotion du sol, aurait passé inaperçu si dans les villes principales de la région, à Marseille et à Nice, le mouvement de l’eau n’avait été accusé d’une façon extrêmement nette par des marégraphes enregistreurs. Ces instruments ont indiqué un changement brusque et inattendu dans le niveau de la mer. Sur les courbes qu’ils ont tracées, on voit à l’heure de la secousse principale une encoche suivie à court intervalle d’une saillie ; il y a donc eu là production d’un reflux et d’un flux imprévus. Enfin, dans ce même séisme, la propagation de l’ébranlement du côté de la Méditerranée a encore été démontrée par la rupture subite, en deux points distincts, du câble télégraphique sous-marin installé entre Antibes et la Corse.

Ajoutons que la trace du plan de fracture qui correspond au grand axe de l’épicentre, tout en étant parallèle à la côte, peut bien ne pas coïncider régulièrement avec elle. On sait, en effet, que les failles et autres accidents géologiques du même genre sont rarement isolés et que généralement ils sont disposés en groupes parallèles. Dès lors on comprend qu’un tremblement de terre ne siège pas nécessairement sur une faille coïncidant avec le rivage. Presque toujours, dans les tremblements de terre côtiers, il est difficile de déterminer rigoureusement la distance du grand axe de l’épicentre à la côte. Cette distance semble généralement peu considérable ; cependant quelquefois elle a paru notable. C’est ainsi que Geinitz évalue à environ 50 milles marins la distance de la partie médiane de l’épicentre à la côte lors du tremblement de terre d’Iquique, dont il a été question ci-dessus.

À propos des marées séismiques du Pérou, de longues discussions théoriques se sont élevées pour savoir quelle était la cause immédiate du déplacement anormal des eaux de la mer. Darwin l’attribuait naguère à une sorte de succion atmosphérique ; nous ne citons cette opinion que par déférence pour le nom de l’auteur. On a considéré aussi ces mouvements comme l’effet d’un affaissement du fond de la mer dans le voisinage de la côte ; Berg a pensé qu’il résultait d’un mouvement de balancement de celle-ci, et Geinitz y a vu le résultat des commotions vibratoires éprouvées par le sol sous-marin. Cette explication est évidemment la plus rationnelle, car l’observation ne montre dans aucun séisme, à notre époque, une dénivellation terrestre ou sous-marine dont l’amplitude soit comparable à l’épaisseur de la vague marine séismique[3].

L’aire d’ébranlement superficielle d’un tremblement de terre est toujours beaucoup plus étendue qu’on ne se l’imagine quand on tient compte d’une manière exclusive de l’impression produite directement sur nos sens. Au milieu de l’agitation incessante de la journée, si les secousses sont très faibles, elles passent sans qu’on en ressente l’action ; et la nuit, dans le silence le plus absolu, elles ne sont perçues que par un petit nombre de personnes. La détermination de l’épicentre par l’examen direct des effets ressentis à la surface du sol ne constitue donc qu’une méthode grossière qui ne peut conduire qu’à des données approximatives. Les effets physiques produits dépendent non seulement de la violence du choc éprouvé, mais encore d’une foule de causes accessoires. Ce qui appelle plus particulièrement l’attention à ce point de vue, c’est surtout le degré de détérioration qu’ont subi les constructions et la mortalité qui en a été la conséquence. Or, la nature et la configuration du terrain qui porte les édifices, la qualité, l’agencement et le volume des matériaux employés à les bâtir, ont une influence considérable sur la solidité des maçonneries, de telle sorte que c’est seulement après avoir tenu compte de tous ces faits, après avoir étudié de près les conditions de chaque cas particulier, que l’on peut se prononcer définitivement en connaissance de cause. Il serait donc avantageux de substituer aux impressions personnelles directes des données fournies par des appareils spéciaux, établis à l’avance, de manière à être, autant que possible, indépendants de toutes les causes d’erreurs précitées.

Plusieurs sortes d’instruments ont été proposées dans ce but ; on leur donne le nom générique de séismomètres, quand ils exigent pour leur constatation la présence d’un observateur, et celui de séismographes quand ils enregistrent eux-mêmes leurs indications.

En général, ces appareils ne sont pas établis au point de vue exclusif de la détermination de l’intensité des secousses ; ils servent aussi à indiquer leur direction et à signaler toutes les phases du phénomène sous le rapport du temps ; en un mot, ils sont construits dans le but de fournir avec une égale perfection tout ce qui est relatif au caractère des vibrations du sol. On peut les diviser en deux catégories : dans les uns, le mouvement est accusé par les déplacements d’un liquide (de préférence le mercure) ; dans les autres, ce sont des corps solides qui sont employés pour révéler les caractères de la commotion. Ces derniers sont ordinairement disposés sous la forme pendulaire ; ce sont les plus communément employés, au moins en Europe. On en construit aussi qui ont la forme d’un battant de porte ou d’une girouette, mobile autour d’un axe vertical servant de charnière. Ces derniers ont l’avantage de s’ébranler sous l’influence du choc et de ne pas se mouvoir ensuite sensiblement quand il a cessé, comme le font les pendules sous l’action de la pesanteur. Toutefois, jusqu’à présent, on ne paraît pas être arrivé à ménager suffisamment les frottements, ce qui fait qu’ils manquent de sensibilité. Malgré cela, actuellement ce sont eux qui donnent le mieux l’image des phénomènes séismiques.

Ces pendules à charnière ont été très utilisés à l’observatoire séismique de Tokio au Japon.

Pour déterminer la composante horizontale du mouvement, le plus souvent on se sert d’un seul pendule, à fil flexible, susceptible d’osciller dans un azimuth quelconque ; ou bien encore on emploie deux pendules, à fil rigide, oscillant dans deux plans perpendiculaires entre eux. Dans le premier cas, au-dessous du centre d’oscillation, est fixée une petite tige flexible que le pendule entraîne dans son mouvement, et dont la pointe touche à un papier disposé à poste fixe au-dessous.

L’enregistrement se fait diversement ; tantôt la pointe est simplement un crayon, ou bien encore une plume, mise en communication avec un petit réservoir plein d’encre, au moyen d’un siphon ; alors l’inscription se fait sur du papier blanc ordinaire. D’autres fois, le papier est enduit de noir de fumée ou imbibé de quelque réactif chimique, de telle sorte que le contact de la pointe du pendule suffit pour y marquer une empreinte (fig. 5 à 7).

Actuellement, il n’est guère de tremblement de terre dans lequel on ne recueille des tracés de ce genre. Comme exemples, nous citerons ceux qui ont été publiés à propos du tremblement de terre de 1886 en Ligurie, ceux qui ont été obtenus lors du tremblement de terre de Manille, dans les îles Philippines, en 1880, ceux qui


Fig. 5. — Courbe d’un séismographe à pendule libre.


ont été recueillis au Japon par les savants qui s’y


Fig. 6. — Courbe du même séismographe.


occupent de séismologie ; enfin ceux qui y ont été publiés par l’un d’eux, Milne, à la suite de ses


Fig. 7. — Courbe du même séismographe.


expériences sur les ébranlements du sol artificiellement produits[4]. Quand on se sert de deux pendules à tige rigide, mobiles chacun dans une place unique, le stylet enregistreur est encore disposé de la même façon, mais alors, en général, le papier qui reçoit l’inscription, au lieu d’être fixe comme dans le cas précédent, se meut d’un mouvement continu et régulier, sous l’action d’un mouvement d’horlogerie. Il se déroule dans un plan perpendiculaire au plan d’oscillation du pendule. Il résulte de cette disposition que lorsque le pendule est immobile, le trait marqué par le papier est rectiligne ; quand il oscille, le trait représente une ligne dentelée dont les saillies sont d’autant plus longues que l’amplitude du mouvement communiqué a été plus grande.

Le séismographe à charnière sert aussi très bien pour déterminer l’action de la composante horizontale du mouvement dans un tremblement de terre. À cet effet, on établit deux de ces appareils à angle droit, et sous chacun d’eux on s’arrange de manière à ce qu’au moment de la secousse circule un chariot portant un papier enduit de noir de fumée. Un stylet très fin, dont le mouvement peut être amplifié, est fixé à l’extrémité libre du battant mobile et inscrit sur le papier les mouvements communiqués au séismographe.

Milne et Gray se sont servis de cet instrument dans ces conditions, soit dans leurs expériences sur les mouvements du sol produits artificiellement, soit dans l’étude des nombreux tremblements de terre du Japon.

Pour apprécier la composante verticale, on se sert d’un ressort en spirale attaché à un point fixe par l’une de ses extrémités et portant à l’autre extrémité un stylet transversal enregistreur.

L’inscription se fait sur une feuille de papier qui se



Fig. 8. — Courbe du séismographe à pendule libre
tracée par le tremblement de terre de Manille.


déroule dans un plan vertical, entraînée horizontalement par un mouvement d’horlogerie.

En général, quand une secousse de tremblement de terre se fait sentir, les séismographes se mettent en branle ; l’amplitude de leur oscillation dépend de la grandeur de la composante correspondante de la force qui produit l’ébranlement. On admet, ce qui est vrai dans une certaine mesure, qu’elle croît proportionnellement à l’intensité de cette composante et qu’elle peut par suite servir à l’évaluer. S’il en est ainsi, l’emploi de tels séismographes, s’il était généralisé, permettrait d’établir, d’après l’ébranlement constaté en chaque lieu, non seulement la position de l’épicentre, mais aussi le tracé des courbes isoséistes qui l’enveloppent.

Nous ne pouvons cependant laisser passer inaperçu une objection grave qui se présente à l’esprit et qui a frappé vivement plusieurs des savants qui s’occupent de l’étude des séismes en ce qui regarde les séismographes pendulaires. L’amplitude des oscillations de ces appareils est loin d’être liée par une relation simple avec le tracé que fournissent les papiers enregistreurs. Théoriquement, quand une secousse de tremblement de terre a lieu, on suppose le choc assez brusque pour que le centre d’oscillation du pendule demeure à peu près immobile et que le style enregistreur reste fixe. Alors, ce qui se déplace, c’est le point de suspension du pendule et le papier sur lequel se fait l’inscription. Si les choses se passaient effectivement de la sorte, le style du séismographe inscrirait véritablement l’amplitude des oscillations du sol, mais il n’en est pas ainsi, le centre d’oscillation est toujours plus ou moins entraîné avec le point de suspension ; il participe à son mouvement dans des conditions que les théories mathématiques ne sont pas encore parvenues à complètement élucider. L’expérience est en outre venue démontrer que des pendules d’inégale longueur ou de masse différente donnaient, lors d’une même secousse, en un même lieu, des tracés d’enregistrements inégaux. Parmi ces tracés, quel est celui qui représente véritablement l’oscillation terrestre ? Telle est la question que l’on a dû se poser dans la pratique. M. Cavalleri, admet, d’après ses observations, que dans un tremblement de terre, le meilleur pendule au point de vue de l’indication des intensités est celui dont les oscillations sont synchrones avec la durée de l’ondulation du sol ; les pendules à fil long donnent le tracé le plus étendu quand les mouvements du sol sont lents ; l’inverse a lieu quand les vibrations sont rapides. Par conséquent, pour obtenir un tracé, qui soit l’image aussi fidèle que possible de l’intensité de la secousse, il faudrait avoir une série de pendules d’inégale longueur, et considérer exclusivement parmi les tracés obtenus, celui qui offre les dentelures les plus allongées.

M. Cavalleri, se fondant sur cette conclusion, a établi à Moncalieri, près de Turin, pour l’observation des données séismiques une collection de six pendules enregistreurs de longueurs différentes dont le plus long a 1m,20 et le plus court 0m,20. La réunion d’une telle série de pendules, à laquelle il a donné le nom de séismoscope, a pour but d’assurer en cas de tremblement de terre faible, au moins le fonctionnement de celui qui est le plus en harmonie avec le mouvement terrestre. Lors du récent tremblement de terre du midi de la France et du nord de l’Italie, les six pendules d’un tel séismoscope établis à Moncalieri, ont donné sur des feuilles de papier enfumé disposées horizontalement, des traces reproduites



Fig. 9. — Tremblement de terre du 23 février 1887.
Moncalieri. Pendule de lm,20.


dans les figures 9 à 13. Le pendule de 0m,80 est celui qui a donné la courbe de plus grand diamètre. Les diamètres maxima des tracés fournis respectivement par chacun de ces pendules sont les suivants :

m m
Pendule de 1,20 Diamètre du tracé 0,052
1 0,052
0,80 0,052
0,60 0,044
0,40 0,034
0,20 0,022
Le tracé de ces courbes compliquées montre qu’à certains moments, le mouvement du pendule a brusquement



Fig. 10. — Tremblement de terre, 23 février 1887. Moncalieri. Pendule de 1 mètre.



Fig. 11. — Tremblement de terre, 23 février 1887. Moncalieri. Pendule de 0m,80.
changé de direction. Il prouve que les oscillations se sont faites principalement dans deux directions, l’une est-ouest, l’autre nord-sud. Les grands pendules ont surtout accusé le mouvement est-ouest et les petits le mouvement nord-sud. Le tracé du pendule de 0m,60 porte des indications sensiblement égales des deux mouvements.

À Monza, le séismoscope de M. Cavalleri est composé de dix pendules. Le premier, long de 1m,15 et les neuf autres longs de 0m,22 à 0m,03. Tous ont indiqué un mouvement nord 10° est ; le premier seul a indiqué en plus un léger mouvement est 10° sud. La longueur maxima fournie par ces pendules a été de 2 centimètres.

À Vérone, un séismoscope composé de trois pendules a donné les résultats suivants :

Pendule de 10m diamètre maximum du tracé 15mm
3 5
1,50 3

Dans le séismoscope de Vérone comme à Monza, c’est le pendule le plus long qui a donné le tracé le plus étendu, contrairement à ce qui a eu lieu à Moncalieri.

Si l’idée théorique qui a présidé à la construction du séismoscope Cavalleri est juste, il faudrait conclure qu’à Vérone le mouvement séismique ondulatoire a été plus lent qu’à Moncalieri[5].

À Florence, (fig. 14) les instruments du professeur Cecchi ont donné le 25 février 1887 les résultats suivants[6] :



Fig. 12. — Tremblement de terre, 23 février 1887. Moncalieri. Pendule de 0m,60.




Fig. 13. — Tremblement de terre du 23 février 1887. Moncalieri. Pendule de 0m,40.


Fig. 14. — Tremblement de terre du 23 février 1887. Florence. Pendule de 6m,50.

m m
Pendule de 6,50 chargé de 3k tracé 0,023
2,50 11 0.034
2 17 0.026
1 2,5 0,013
0,038 1 0,011

Le 27 août 1886, lors d’une secousse de tremblement de terre, le pendule de 2 mètres avait donné un tracé de 0m,007.

Le 1er  avril 1887, le pendule de 0m,038 a tracé 0m,009.

Le 11 mars 1887, le même pendule a tracé 0m,004[7].

À côté des appareils pendulaires employés pour mesurer approximativement l’intensité des secousses, nous devons citer l’appareil à liquide du professeur Palmieri. Cet instrument, très employé en Italie et expérimenté au Japon par les savants du College of Engineering, est composé de tubes en U contenant du mercure. Il est muni d’une graduation arbitraire.

  1. Forel, Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, année 1881.
  2. L’échelle que nous pouvons qualifier d’officielle est celle qui a été proposée d’accord par MM. Forel et de Rossi. Elle est un peu plus compliquée que celle qui est indiquée ci-dessus. La difficulté de son application fait que nous avons à dessein réuni quelques-uns des termes qui la composent. Cependant nous croyons la reproduire ici avec les numéros qui en caractérisent chaque degré.

    No 1. Secousse microséismométrique, notée par un seul séismographe, ou par des séismographes de même modèle, mais ne mettant pas en mouvement plusieurs séismographes de systèmes différents ; secousse constatée par un observateur exercé.

    No 2. Secousse extrêmement faible enregistrée par des séismographes de systèmes différents, constatée par un petit nombre de personnes au repos.

    No 3. Secousse très faible, constatée par plusieurs personnes au repos : assez forte pour que la durée ou la direction puissent être appréciées.

    No 4. Secousse faible constatée par l’homme en activité ; ébranlement des objets mobiles, des portes, des fenêtres, craquements des planchers.

    No 5. Secousse d’intensité moyenne constatée généralement par toute la population ; ébranlement des objets mobiliers, meubles et lits, tintement de quelques sonnettes.

    No 6. Secousse forte. Réveil général des dormeurs : tintement général des sonnettes, oscillation des lustres, arrêt des pendules ; ébranlement apparent des arbres et arbustes. Quelques personnes effrayées sortent des habitations.

    No 7. Secousse assez forte. Renversement d’objets mobiles ; chute des plâtras ; tintement des cloches dans les églises ; épouvante générale, sans dommage aux édifices.

    No 8. Secousse très forte. Chute des cheminées, lézardes aux murs des édifices.

    No 9. Secouses extrêmement forte. Destruction partielle ou totale de quelques édifices.

    No 10. Secousse d’intensité extrême. Grands désastres, ruines, bouleversement des couches terrestres ; fentes à l’écorce de la terre, éboulement des montagnes.

  3. Nous verrons plus loin que c’est aussi la conclusion à laquelle conduisent les observations faites par Gray et Milne au Japon.
  4. Les trois courbes ci-dessus sont empruntées au mémoire de Milne sur les expériences séismiques qu’il a faites au Japon.
  5. Extrait d’une note de M. Offret (Comptes rendus, t. CIV).
  6. À plus d’une reprise nous aurons occasion de parler à nouveau des divers appareils employés pour l’étude des mouvements séismiques. Nous traitons plus particulièrement de chacun d’eux à propos des phénomènes spéciaux qu’ils ont pour but de faire connaître.
  7. L’opinion de M. Cavalleri sur le choix du pendule qui donne le tracé le plus en rapport avec le mouvement terrestre a donné lieu à une étude mathématique de M. Poincarré que nous reproduisons ici ; elle justifie l’idée du savant italien :

    Soit le déplacement absolu du pendule, le déplacement de la surface terrestre au point correspondant ; ce qu’on mesure, c’est le déplacement relatif.

    Quand un pendule dont nous prendrons la masse égale à 1 est écarté de sa position d’équilibre, on trouve, si les oscillations sont très petites, que la force qui tend à le ramener à cette position est égale à

    étant la quantité dont il est écarté de cette position d’équilibre.

    Or

    On a donc :

    ou en posant

    L’intégrale générale de cette équation est :

    et s’obtient par conséquent par des quadratures. Si l’on suppose que le mouvement du sol est périodique et sinussoïdal (ce que l’observation semble démontrer) et que l’on ait :

    on trouve :

    et sont deux constantes d’intégration qui dépendent de la façon dont le régime périodique s’est établi. Elles sont généralement très petites par rapport à  ; on peut les considérer comme annulées par le frottement si le régime périodique est établi depuis quelque temps.

    Il reste donc :

    ce qui démontre que les oscillations sont d’autant plus amples que est plus petit, c’est-à-dire que le pendule est plus près d’être synchrone avec le mouvement terrestre.

    Si est rigoureusement nul, on trouve un infini ; mais ce n’est qu’une illusion, car les formules supposent des oscillations infiniment petites. Dès que descend au-dessous d’une certaine limite, les oscillations deviennent trop grandes pour que les formules s’appliquent.

    Nous pouvons maintenant nous proposer, étant donnée la fonction observée,

    d’en déduire le mouvement du sol .

    On trouve :

    d’où :

    Il faut intégrer deux fois la fonction , ce qui peut se faire aisément par les quadratures mécaniques. Pour trouver les constantes d’intégration, il faut observer, qu’à l’origine du tremblement de terre que nous prendrons pour origine du temps, le pendule est au repos et qu’on a :

    On aura donc :

    Ces formules supposent que le fil reste tendu, ce qui est vrai si la masse du fil est assez faible par rapport à celle du pendule et si les oscillations verticales ne sont pas trop fortes.