Les Tendresses premières/Le Bain

Le Bain


Mon corps,
Il fut trempé dans le limon et l’eau ;
Mon corps,
Il fut tanné aux vents d’Escaut !


Bonnes heures chaudes et ardemment mûries,
Quand on partait en troupe, au loin, par les prairies,
Chercher la crique et l’abri sûr,
Où les herbes hautes, comme un mur,
Nous isolaient des yeux allumés sur les routes.
Le bain était chauffé par l’ample été vermeil
Et la clarté y filtrait toute,

Si bien que l’eau semblait un morceau de soleil
Tombé du ciel et enfoncé dans les verdures ;
De la mousse bronzée et de pâles roseaux
L’entouraient d’une large et vivante bordure,
Tandis que fins et verts et tels que des ciseaux,
Mille insectes en sillonnaient, avec leurs pattes.
La surface immobile et la lumière plate.


Un plongeon clair !
Et tout à coup, comme un grand cri dans l’air,
Le corps s’enfonçait droit dans la mare éclatante.
Il s’y dardait comme un faisceau ;
Et des bulles rondes et miroitantes
Brillaient, autour de lui, jusques au fond de l’eau.
Il émergeait rapide et souple ;
Un flot tumultueux ourlait d’écume et d’or
Subitement les bords ;
Et les autres nageurs, main dans la main, par couples,
Au loin, là-bas, partaient rejoindre le plongeur.


Et d’autres fois, c’était une mêlée
De gestes fous, de sauts brusques, de cris rageurs,
De jambes et de bras battant l’eau violée :
On eût dit un assaut

Vers un amas de fleurs et de joyaux
Et de jets violents qu’emperlait la lumière.
On était frais et fort de sa santé première ;
On ignorait sa chair,
Et les baisers du vent et les souffles de l’air
Et la caresse unanime des choses
Ne provoquaient qu’un grand rire étonné
Sur les lèvres décloses.


Tels nos jeux s’exaltaient, libres et spontanés.
On ne songeait à rien, sinon au flux de joie
Qui saisissait nos corps, comme des proies,
Et les marquait, superbement,
Pour la vie ample et violente.
Au fond du soir, rouge comme un tourment,
Une à une tombaient les heures nonchalantes
Et l’on séchait son corps doré
Aux flancs feutrés
Des digues et des prés,
Jusques aux heures coutumières
Où le soleil étend,
Sous les noyers au feuillage chantant,
Ses tabliers de longue et dormante lumière.