Les Tendresses premières/L’Envolée

L’Envolée


Ô ces heures, que ne peuvent-elles renaître !
— Été vivant, aube lustrale et frais réveil —
Tout le village, avec ses bruits et son soleil,
Semblait, volets ouverts, entrer par la fenêtre.


De gros rouliers s’interpellaient et se hâtaient ;
Les femmes du marché dressaient leurs éventaires ;
La grille en fer rouillé grinçait au presbytère
Et la première messe, au clocher d’or, tintait.

Et l’on partait, les pieds dans l’herbe et la rosée,
Avec le seul désir d’aller, parmi les champs,
Toujours plus loin, vers n’importe où, dût le couchant
Déployer tout à coup ses ténèbres bronzées.


Les murs, les clos, les toits rouges, même la tour
Disparaissaient bientôt, perdus dans l’étendue.
On arrachait des fleurs aux branchages pendues
Et l’on marchait, criant et chantant tour à tour.


On traversait les gués, on s’arrêtait aux mares,
On dévastait le bois — et vers le ciel, là-haut,
Le plus hardi grimpait, dénicher des oiseaux
Qui trouaient l’air serein, de stridents tintamarres.


On avait peur, et néanmoins on s’exaltait,
Caressés par le vent et dorés par l’aurore,
Les plus simples tremblaient d’aller plus loin encore,
Mais les plus fous vers n’importe où, les escortaient.


On était clair ; on ignorait toute fatigue,
Heureux de balancer son corps et ses deux bras,
Au rythme libre et fort et sonnant de son pas,
À travers la nature innombrable et prodigue.

L’air était vif ; l’espace était vibrant et sain ;
Sans la comprendre, on assaillait déjà la vie,
Par la belle aventure ardemment poursuivie ;
Et des rameaux d’espoir frissonnaient dans nos mains !