Les Temples (Armand Silvestre)

Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 71-73).
◄  Les bois
Épilogue  ►

LES TEMPLES

L’âme d’un monde mort habite nos enceintes ;
Le feu d’un astre éteint brûle dans notre encens.
Le tabernacle d’or dont les dieux sont absents
Reste ouvert, comme un gouffre au vent des hymnes saintes.

La paix qui nous entoure est celle des tombeaux ;
D’un reste de ferveur la pitié nous décore.
Mais, comme dans le jour incertain d’une aurore,
Sous nos arceaux profonds pâlissent les flambeaux.

Nos seuils ont bu le sang des victimes sans nombre ;
Mais rien n’y germe plus que la haine et l’affront.
Les temps agenouillés ont relevé le front
Et l’éternel oubli nous étreint de son ombre.

La mousse croît aux pieds mornes de nos autels.
Dans le désert la voix des prêtres se lamente ;
Au loin l’humanité, que l’infini tourmente,
Cherche ailleurs le sentier des destins immortels.

Car, sans l’éteindre un jour, nous l’avons étanchée,
L’inextinguible soif des rêves surhumains ;
Mais la source est tarie où, sur nos verts chemins,
Longtemps la lèvre en feu des races est penchée.

La splendeur de la rose et la blancheur du lis
Ne vont plus s’effeuillant sur les pas du lévite.
La Nature affranchie à ses fêtes invite
Les fidèles repus des cultes abolis.

Sentant que notre poids devient lourd à la terre,
Que l’homme ne croit pas aux lointains paradis,
Songeant que l’Idéal fut notre hôte jadis,
Nous pleurons les dieux morts dans la nuit solitaire !