Épilogue (Les Larmes des choses)

Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 74-76).

ÉPILOGUE

Ainsi pleure tout bas le monde inanimé,
L’astre, le bois, la mer et la pierre du Temple.
Mais leur deuil à nos deuils est un sublime exemple ;
Car leur longue douleur n’a jamais blasphémé.

Dans nos cœurs celui-là mit les premières haines
Qui, plus haut que nos cœurs, rêvant à nos destins
Un maître conscient, hôte de cieux lointains,
Nomma l’injuste auteur des misères humaines.

Au joug mystérieux dont le monde est dompté
Pourquoi ne pas laisser nos âmes inclinées
Suivre, d’un pas égal, le déclin des années,
Comme l’astre des cieux son chemin de clarté ?

La brute indifférente au labeur asservie,
L’étoile qu’un clou d’or attache au firmament,
Tout, d’un crime inconnu, subit le châtiment,
Sans s’indigner aux lois obscures de la vie,

Sans chercher à fléchir l’ordre inflexible et sourd
D’éléments acharnés à d’inflexibles tâches.
Ni les vœux superflus ni les prières lâches
Ne rendront le fardeau de nos peines moins lourd.

Je ne vous maudis pas, prêtres dont l’imposture,
Pour alléger d’espoir le faix de nos douleurs,
Forgea des Immortels que repaissent nos pleurs…
— Mais cessez de chercher, plus haut que la Nature,

Des maux que nous souffrons le principe odieux !
Laissez-nous croire, au moins, que d’insensibles causes
Poussent vers le néant les êtres et les choses,
Et ne nous forcez pas à maudire les dieux !