Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 25-26).


ODE


I


Seins des femmes ! ô seins de lis ! ô seins de nacre !
Vos rythmes indolents dorlotent nos blessures.
Leurs lèvres ! Vous gardez, en vos calices l’âcre
Saveur des bigarreaux et des grenades sures.
— Mais, aux bords fabuleux des fleuves du Levant,
J’eus mes rêves bercés aux ghazels des Péris ;
Et, dans l’antre fatal, la dame de Mervent
Scella mes yeux pensifs de ses baisers fleuris.


II


Sur la nappe ouvragée où le festin s’exalte,
La venaison royale alterne aux fruits des îles ;
Dans les chypres et les muscats de Rivesalte,
Endormeur des soucis, ô Léthé, tu t’exiles.
— Mais l’antique hippogriffe au vol jamais fourbu,
M’a porté sur son aile à la table des dieux ;
Et là, dans la clarté sidérale, j’ai bu,
A pleine urne, les flots du nectar radieux.


III


En ces âges maudits insultant aux chimères,
Pareils aux hurlements impurs des filles soûles,
Jusqu’à vos pieds d’argile, ô gloires éphémères,
Montent les hosannas sacrilèges des foules.
— Mais, sous les myrtes blancs de la sainte Délos
Que baigne l’archipel de ses flux et reflux,
Je crois ouïr mon nom éclatant dans les los
Chantés, en le futur, aux poètes élus. -