Les Syrtes/Le démoniaque

Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 71-72).


LE DÉMONIAQUE


Ai-je sucé les sucs d’innommés magistères ?
Quel succube au pied bot m’a-t-il donc envoûté ?
Oh ! Ne l’être plus, oh ! Ne l’avoir pas été !
Suc maléfique, ô magistères délétères !

Point d’holocauste offert sur les autels des Tyrs,
Point d’âpres cauchemars, d’affres épileptiques !
Seuls les rêves pareils aux ciels clairs des tryptiques,
seuls les désirs nimbés du halo des martyrs !


Qui me rendra jamais l’hermine primitive,
Et le lis virginal, et la sainte forêt
Où, dans le chant des luths, Viviane apparaît
Versant les philtres de sa lèvre fugitive !

Hélas ! Hélas ! Au fond de l’Erèbe épaissi,
J’entends râler mon cœur criblé comme une cible.
— Viendra-t-on te briser, sortilège invincible ? —
Hâte-toi, hâte-toi, bon Devin, car voici

Que l’automne se met à secouer les roses,
Et que les jours rieurs s’effacent au lointain,
Et qu’il va s’éteignant le suave matin :
— Et demain, c’est trop tard pour les métamorphoses !