Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 89-93).


HOMO, FUGE


Il fut vu, en sa main ainsi piquée,
un écrit comme d’un sang de mort, en
ces mots latins : « O Homo, fuge ! »
qui est à dire : « O homme, fuis-t’en
a là, et fais le bien. »

La légende de Faust.


I


Sur l’arbre et la bête de somme,
Sur le fauve altier, et sur l’homme
Inutilement révolté,
Monstre de pleurs et de sang ivre,
Désir formidable de vivre,
Tu fais peser ta volonté.


II


Pour vaincre l’austère non-être
Tu dis aux succubes de naître,
Et de ta main tu prodiguas
Les joyaux aux prostituées,
Et les couronnes polluées
Autour du front des renégats.


III



Expert en les dialectiques,
Tu parles et tu sophistiques
Avec ta voix de clair métal :
Et les tentations pullulent,
Et les tentations ululent
Dans l’ombre du ravin fatal.


IV


Car tu sais pour damner notre âme
Faire jaillir la pure-flamme
Dans l’œil des hiboux et des freux ;
Tu connais les accoutumances
Des devins, et les nigromances
Et les hocuspocus affreux.


V



Sous la comète et sous la lune,
En tunique de pourpre brune,
Très blanche avec des cheveux blonds,
Près du lac où nagent les cygnes,
Ta feinte candeur a des signes
Qui parlent des sentiers oblongs.


VI


A travers les chaudes haleines
Des tabacs et des marjolaines,
De nos vœux tu guides l’essor
Où, dans sa fière nonchalance,
La fleur-charnelle se balance
Pareille au grand lis nimbé d’or.


VII



Mais ta promesse n’est que leurre !
Bientôt, bientôt sonnera l’heure
Du chevalier au pied fourché,
Et nous savons bien que tu caches
Sous les velours et les panaches,
Toute la hideur du péché.


VIII


Oh ! Qu’il vienne un autre messie
Secouer l’antique inertie,
Qu’il vienne en ses rédemptions
Détruire l’œuvre de la femme
Et te faucher, désir infâme
Des neuves générations.