Les Stromates/Livre septième/Chapitre XVII

Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome cinquièmep. 676-678).
Livre septième

CHAPITRE XVII.
Le second moyen pour découvrir la vérité consiste à examiner laquelle des deux traditions possède l’antériorité, celle de l’Église ou celle de l’hérésie.

Que font donc les téméraires qui abordent les discours impies et les transmettent à leurs adhérents ? Ils corrompent les divines Écritures dont ils abusent ; ils se ferment à eux-mêmes l’entrée du ciel ; et ils égarent, loin de la vérité, les victimes qu’ils ont trompées. N’ayant pas la clé qui ouvre la porte d’entrée, pour s’introduire, comme nous le faisons, en tirant le voile et par la tradition du Seigneur, à la clé véritable ils substituent la fausse clé, la clé de derrière, pour parler la langue proverbiale ; ils abattent la porte, ils percent ténébreusement le mur de l’Église, et, sacrilèges violateurs de la vérité, ils se proclament les initiateurs des mystères impies de l’âme. En effet, que leurs conciliabules sans autre autorité que celle de l’homme, soient postérieurs à l’Église catholique, il ne faut pas de longs arguments pour décider la question. La prédication du Seigneur, manifestée par son Incarnation, commence à Auguste et finit à peu près vers le milieu du règne de Tibère. La prédication de ses apôtres, y compris le ministère de Paul, s’achève sous Néron. Ce ne fut que plus tard, vers l’époque de l’empereur Adrien environ, que parurent les chefs de l’hérésie. Ils se propagèrent jusqu’au règne du premier Antonin, tel que Basilide, par exemple, quoi qu’il se donne pour disciple de Glaucias, qui lui-même, s’il en faut croire les Novateurs, fut l’interprète de Pierre. On dit aussi que Valentin eut pour maître Theudas, disciple de Paul. Quant à Marcion, qui naquit à peu près en même temps que ces derniers, sa vieillesse s’éteignit dans des sectes plus jeunes que la sienne. Avant lui, Simon put entendre un moment les prédications de Pierre. Si ce calcul est juste, la priorité et la légitimité de l’Église attestent manifestement que les sectes qui naquirent après elle et celles qui touchent à notre époque, filles du temps, sont marquées du sceau honteux de l’adultère.

Il sort de ce qui précède qu’il n’y a qu’une seule Église véritable, l’Église, à laquelle appartient à juste titre l’antériorité, et dans le catalogue de laquelle sont inscrits ceux qui sont justes avec la ferme volonté de l’être. Il n’y a qu’un Dieu, qu’un seul Seigneur. Conséquemment la chose éminemment digne de notre vénération ici-bas, se distingue aussi par son unité, reflet du principe unique. L’Église qui est une et que les Novateurs essaient de diviser violemment en une infinité d’Églises, s’unit donc inséparablement dans l’individualité d’une seule et même nature. Essence, dogme, principe, excellence, nous proclamons une sur chacun de ces points l’Église ancienne, l’Église catholique, dont tous les membres conspirent vers l’unité d’une même foi et qui s’appuie sur les Testaments particuliers, je me trompe, sur le Testament qui conserva son inviolable unité aux diverses époques, où, d’après la volonté d’un seul Dieu et par un seul Seigneur, il convoque sous ses lois les élus et les prédestinés de Dieu, parce que Dieu connaissait, par sa prescience, même avant le berceau du monde, que ces élus et ces prédestinés pratiqueraient la justice. Au reste, la dignité de l’Église, non moins que son principe constitutif, repose sur l’unité ; supérieure à tout ce qui existe, elle ne connaît rien sur la terre qui lui ressemble ou qui l’égale. Mais nous nous réservons de traiter ensuite cette matière. Parmi les hérésies, les unes portent le nom de leur chef, comme celles des Valentiniens, des Marcionites, des Basilidiens, quoiqu’ils se vantent de suivre les sentiments de Mathias. Mensonge grossier ! la doctrine de tous les apôtres est une aussi bien que la tradition. Les autres portent le nom du lieu qui les vit naître ; les Pératiques, par exemple[1]. Celles-ci reçoivent leur dénomination de la contrée à laquelle elles appartiennent, tels que les Phrygiens[2] ; celles-là des pratiques auxquelles elles se livrent, tels que les Encratites ou Continents[3] ; quelques-unes sont caractérisées par les dogmes qu’elles professent, les Dokètes[4] et les Hématites[5] par exemple ; quelques autres par leurs rêveries et les simulacres objets de leur adoration ; de ce nombre sont les Caïnites[6] et les Ophites[7] ; d’autres enfin doivent leur désignation à leurs déportements et à leur audace, comme les disciples de Simon dont le nom s’est converti en Eutychites[8].

  1. Euphrate, de la ville de Péra, en Cilicie, admettait trois Dieux, trois Verbes, trois Saints-Esprits. (Voyez le Dictionnaire des hérésies.)
  2. Plus connus sous le nom de Cataphryges, parce qu’en grec on les désignait par cette périphrase, oi kata phrygas.
  3. Ils proscrivaient le mariage comme une chose perverse, et s’abstenaient de la chair des animaux.
  4. Ils niaient la réalité de l’incarnation. Selon eux, Jésus-Christ n’avait été qu’une illusion, un fantôme.
  5. Ces sectaires ne sont connus dans l’histoire des erreurs de l’esprit humain que par ce mot de saint Clément. On ignore sur quoi portait leur hérésie. Peut-être, comme leur nom semble l’indiquer, mangeaient-ils des viandes suffoquées ou consacrées aux démons ; peut-être offraient-ils du sang humain dans la célébration de quelques mystères.
  6. Les Caïnites parurent vers l’an 159 de Jésus-Christ. Ennemis du Dieu créateur, ils avaient choisi pour objets de leur vénération ceux qui leur semblaient avoir le plus combattu le Démiurgue. À la tête de ces hardis champions ils plaçaient Caïn. Ésaü, Coré, les Sodomites, Judas, venaient après lui dans leur vénération.
  7. Les Ophites croyaient que la sagesse s’était manifestée aux hommes sous la forme d’un serpent, et rendaient pour cela un culte à cet animal. N’était-ce pas d’ailleurs le serpent qui, dans la Genèse, avait fait connaître à nos premiers parents l’arbre de la science du bien et du mal ? Pour célébrer la mémoire du service que le serpent avait rendu au genre humain, ils en tenaient un enfermé dans une cage et lui ouvraient la porte dans la célébration de leurs mystères. Le reptile sortait, montait sur la table où étaient les pains, et s’enlaçait en spirale autour de l’offrande. Voilà ce qu’ils prenaient pour leur Eucharistie et pour un sacrifice parfait.
  8. Les Eutychites croyaient que les âmes n’étaient unies aux corps que pour se livrer ici-bas à toutes sortes de voluptés.