Les Stratagèmes (Frontin)/Trad. Bailly, 1848/Livre II/Chapitre IV


Texte édité et traduit par Charles Bailly, 1848.
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IV. Déconcerter les dispositions de l’armée ennemie.

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1. Papirius Cursor le fils, étant consul, et combattant les Samnites, dont la résistance opiniâtre rendait la victoire incertaine, chargea, à l’insu de ses soldats, Spurius Nautius de conduire sur une colline qui regardait le flanc de la bataille, quelques cavaliers auxiliaires, et des valets d’armée montés sur des mulets, puis de les en faire descendre à grand bruit, et en traînant par terre des branches d’arbres. Aussitôt que ce détachement fut en vue, Papirius cria à ses troupes que son collègue arrivait victorieux, et qu’elles devaient, de leur côté, conquérir la gloire du présent combat. Cet incident ranima l’ardeur des Romains ; et, quand les Samnites aperçurent la poussière, ils furent saisis d’épouvante, et prirent la fuite.

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2. Fabius Rullus Maximus, consul pour la quatrième fois, ayant tenté par tous les moyens, mais en vain, de rompre la ligne de bataille des Samnites, prit enfin le parti de retirer des rangs les hastats, et de les envoyer avec Scipion, son lieutenant, s’emparer d’une colline d’où ils pouvaient fondre sur les derrières de l’ennemi. Le succès de cette manœuvre vint accroître le courage des Romains, et les Samnites, effrayés et cherchant à fuir, furent taillés en pièces.

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3. Minucius Rufus, serré de près par les Scordisques et les Daces, qui lui étaient supérieurs en nombre, détacha quelques cavaliers et des trompettes, sous la conduite de son frère, avec ordre, aussitôt que le combat serait engagé, de se montrer tout à coup sur un autre point, et de faire sonner la charge. Au bruit des trompettes, qui était augmenté par l’écho des montagnes, l’ennemi, persuadé qu’il arrivait des forces considérables, fut effrayé et se retira.

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4. Le consul Acilius Glabrion, ayant engagé un combat près des Thermopyles, contre le roi Antiochus, qui se rendait en Achaïe avec son armée, lutta en vain contre le désavantage des lieux, et eût été même repoussé avec perte, si Porcius Caton, alors consulaire, et nommé par le peuple tribun des soldats, n’eût fait un détour pour aller débusquer les Étoliens des sommets du Callidrome, où ils avaient pris position, et ne se fût montré tout à coup sur une colline qui dominait le camp du roi. Les troupes d’Antiochus en prirent l’épouvante : attaquées des deux côtés à la fois, elles furent mises en déroute, et leur camp resta au pouvoir des Romains.

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5. Le consul C. Sulpicius Peticus, sur le point d’en venir aux mains avec les Gaulois, envoya secrètement les valets de l’armée, avec des mulets, sur des hauteurs voisines, d’où ils devaient, une fois l’action engagée, se mettre en vue des combattants comme un corps de cavalerie. Les Gaulois, croyant que des renforts arrivaient aux Romains, se retirèrent au moment où ils étaient presque victorieux.

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6. Marius, ayant dessein de livrer bataille aux Teutons le jour suivant, près d’Aquæ Sextiæ, envoya, pendant la nuit, Marcellus prendre position de l’autre côté de l’armée ennemie, avec un petit détachement de cavaliers et de fantassins, qu’il fit paraître plus nombreux en y joignant des valets et des vivandiers armés, avec la plus grande partie des bêtes de somme, équipées de manière qu’on pût les prendre pour de la cavalerie. Cette troupe, qui avait l’ordre de descendre dans la plaine derrière l’ennemi, aussitôt qu’elle verrait commencer le combat, inspira une telle frayeur aux Teutons par son apparition soudaine, que ces ennemis si redoutables prirent la fuite.

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7. Dans la guerre des fugitifs, Licinius Crassus, au moment de ranger son armée en bataille, près de Calamarque, contre Castus et Gannicus, généraux des Gaulois, fit passer de l’autre côté d’une montagne ses lieutenants C. Pomptinius et Q. Marcius Rufus, avec douze cohortes. Quand le combat fut engagé, ces troupes descendirent derrière l’armée ennemie, en poussant de grands cris, et y jetèrent un tel désordre, qu’elle prit la fuite sur tous les points, sans pouvoir se reformer.

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8. M. Marcellus, craignant que l’on ne jugeât par les cris des soldats qu’ils étaient en petit nombre, ordonna aux valets de troupes, aux esclaves, et aux gens de toute espèce qui le suivaient, de crier en même temps. Cette apparence d’une grande armée épouvanta l’ennemi.

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9. Valerius Lévinus, ayant tué un simple soldat dans un combat qu’il livrait à Pyrrhus, leva son épée ensanglantée, et fit croire aux deux armées qu’il avait tué le roi. Aussitôt les ennemis, persuadés qu’ils avaient perdu leur chef, et consternés par cette imposture, rentrèrent avec effroi dans leur camp.

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10. Dans un combat contre C. Marius, en Numidie, Jugurtha, qui avait appris la langue latine en séjournant dans les camps romains, courut devant sa première ligne, et cria en latin qu’il venait de tuer C. Marius, ce qui fit prendre la fuite à un grand nombre des nôtres.

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11. Myronide, général athénien, ayant livré bataille aux Thébains, et voyant que le succès était douteux, s’élança tout à coup vers l’aile droite de son armée, et s’écria que l’aile gauche était déjà victorieuse. Cette nouvelle donna de l’ardeur aux Athéniens, et épouvanta l’ennemi, qui perdit la victoire.

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12. Crésus fit marcher une troupe de chameaux contre la cavalerie ennemie, qui était plus forte que la sienne ; les chevaux, effrayés de l’aspect et de l’odeur de ces animaux, renversèrent leurs cavaliers et allèrent se rejeter sur l’infanterie, dont ils causèrent aussi la défaite.

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13. Pyrrhus, roi d’Épire, combattant en faveur des Tarentins, trouva un semblable avantage dans ses éléphants, pour mettre le désordre dans l’armée romaine.

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14. Les Carthaginois ont souvent fait usage de ce moyen contre les Romains.

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15. Les Volsques étant campés dans un lieu environné de broussailles et de bois, Camille incendia tout ce qui pouvait communiquer le feu jusqu’à leurs retranchements, et les obligea ainsi d’abandonner leur camp.

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16. P. Crassus, pendant la guerre Sociale, fut surpris de la même manière avec toute son armée.

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17. Les Espagnols, dans un combat contre Amilcar, placèrent à leur front de bataille des chariots attelés de bœufs et chargés de bois résineux, de suif et de soufre, et y mirent le feu quand on donna le signal de l’attaque. Les bœufs, dirigés contre l’armée ennemie, y jetèrent l’épouvante et le désordre.

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18. Les Falisques et les Tarquiniens revêtirent d’habits sacerdotaux un certain nombre des leurs, qui s’avancèrent, semblables à des furies, agitant des torches et des serpents, et épouvantèrent l’armée romaine.

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19. Les Véiens et les Fidénates eurent le même succès, en s’armant de torches enflammées.

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20. Athéas, roi des Scythes, combattant l’armée des Triballiens, qui était plus nombreuse que la sienne, ordonna aux femmes, aux enfants, et à tous ceux qui étaient peu propres au combat, d’aller, avec des troupeaux d’ânes et de bœufs, derrière l’armée ennemie, et de se montrer lances dressées ; puis il répandit le bruit que c’étaient des renforts venus des extrémités de la Scythie. L’ennemi le crut, et prit la fuite.


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40. Ramosque par terram trahentes.Voyez Tite-Live, liv. x, ch. 40-41.

41. Jussitque collem capere. Comparez à ce récit celui de Tite-Live, liv. x, ch. 28 et 29.

42. Porcius Cato… a tergo subitus apparuisset. Tite-Live (liv. xxxvi, ch. 14-18) et Plutarque (Vie de Caton, ch. xiii et suiv.) rendent compte de ce stratagème avec des détails pleins d’intérêt.

43. Peticus consul contra Gallos. Tite-Live rapporte le même fait, mais avec quelques circonstances différentes, liv. vii, ch. 14.

44. Marius, circa aquas Sextias.Voyez Plutarque, Vie de Marius, ch. xx.

Pour que le détachement envoyé ainsi à l’avance ne fût pas compromis, il fallait que Marius eût la certitude que les Teutons accepteraient la bataille le lendemain, et qu’ils ne feraient aucun changement à leurs dispositions.

« Il ne faut faire aucun détachement la veille du jour d’une bataille, parce que, dans la nuit, l’état des choses peut changer, soit par des mouvements de retraite de l’ennemi, soit par l’arrivée de grands renforts qui le mettent à même de prendre l’offensive et de rendre funestes les dispositions prématurées que vous avez faites. » (Napoléon.)

45. Omnis generis sequelas conclamare jussit.Voyez les détails donnés par Tite-Live, liv. xxiii, ch. 16.

46. Se pavidi in castra receperunt. Cela n’est pas exact. La victoire, qui penchait d’abord du côté des Romains, se déclara enfin pour Pyrrhus. Voyez Plutarque, Vie de Pyrrhus, ch. xiv et suiv. ; Florus, liv. i, ch. 18.

47. Occisum ab se C. Marium.Voyez ce stratagème dans Salluste, Jugurtha, ch. ci.

48. Crœsus. C’est Cyrus et non Crœsus qu’il faut lire en cet endroit. Voyez Hérodote, liv. i, ch. 80 ; Polyen, liv. vii, ch. 6.

49. Adversarios exuit castris.Voyez le récit plus étendu de Tite-Live, liv. vi, ch. 2.

50. Falisci et Tarquinienses.Voyez Tite-Live, liv. vii, ch. 17. Florus (liv. i, ch. 12) attribue aux Fidénates cet expédient des Falisques.

51. Veientes et Fidenates.Voyez Tite-Live, liv. iv, ch. 33.


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