À l’heure des mains jointes (1906)/Les Souvenirs sont des Grappes…


LES SOUVENIRS SONT DES GRAPPES…


Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène…
Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène.

Le silence est pareil à l’écho d’une voix,
Et je me tourne, avec les regards d’autrefois,

Vers celle qu’aujourd’hui mon baiser importune,
Celle qui fut ma Loreley, ma fleur de lune.

Pendant le jour je puis l’oublier, mais la nuit,
Très blonde, elle se lève et son visage luit…


Et je me sens alors moins forte, moins sereine…
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène.

Ses yeux changeants et frais sont le reflet de l’eau…
Quand je rêve, le passé me semble plus beau.

Quand je rêve, tout le passé se transfigure…
Je la vois dénouant sa froide chevelure.

Lorsque mon cœur est plein de l’ardeur du couchant,
Je ne sais plus combien son rire fut méchant.

Le croissant fend l’éther ainsi qu’une carène…
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène.

Lorsque l’ombre montante emplit mon cœur lassé,
Je sens que nul bonheur ne vaut l’amer passé.

Je sais combien sont faux les baisers que tu donnes,
Ô chère ! mais je sais que les larmes sont bonnes.


Le passé rare est un trésor enseveli…
Parfois, je ne crains rien au monde sauf l’oubli.

Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène.
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène…