Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville 1589/Si vous n’avez le cœur aussi dur qu’une enclume


CHANSON.


si vous n'avez le cœur aussi dur qu'une enclume,
Si vous n'avez le sang aussi froid qu'un glaçon,
Si vous n'avez l'esprit privé d'affection,
Vous cognoistrez l'ardeur du flambeau qui m'allume.

Si vous n'avez des yeux la lumiere obscuricie,
Si vous n'avez des sens le pouvoir imparfaict,
Si vous n'avez perdu l'intellect l'effait,
Vous cognoistrez l'ardeur qui consume ma vie.

Si vous avez d'amour senti la violence,
Si vous avez eu soin de garder amitié,
Si vous eustes jamais de quelque amy pitié,
Vous cognoistrez l'ardeur qui mon courage eslance.

Si vous eustes jamais une ame pitoyable,
Si vous eustes jamais en vous quelque douceur,
Si vous avez vescu d'une gentille humeur,

Vous cognoistrez l'ardeur de mon feu agreable.

Si au lieu d'un acier vous avez un cœur tendre,
Si au lieu d'un glaçon vous avez l'ame au sang,
Si un air amoureux vous agite le flanc,
Vous cognoistrez l'ardeur qui couve sous ma cendre.

Si aux yeux vous avez une lumiere belle,
Si des sens vous avez l'effait egalement,
Si dedans vostre esprit loge le jugement,
Vous cognoistrez l'ardeur de ma flame eternelle.

Si vous n'avez d'amour fuy la douce flame,
Et si de l'amitié n'avez hay le soin,
La douce pitié n'avez chassee au loin,
Vous cognoistrez l'ardeur de ma fievre amoureuse.

Ne me faites douter du bien que je desire,
Ou bien je douteray de vos perfections :
Mais je n'en puis douter donq' en mes passions
Octroyez moy mon cœur le bon heur ou j'aspire.