Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville 1589

LES
SOUSPIRS
AMOUREUX
De F. B. de Verville :

Avec un discours satyrique de ceux qui
escrivent d’Amour, par
N. le Digne.


A ROUEN,
Chez Raphael du Petit Val,
devant la grand’porte du Palais.
1589

SONNET.
A. M. F. M. V.



Madame, je puis bien comme miens vous offrir,
Ces souspirs qu’à un autre Amour à fait escrire :
Puisque mon cœur pour vous ainsi que luy, souspire
Au mal, qu’Amour luy fit pour sa Dame souffrir.

Si sur eux vous daignez vos yeux aimez ouvrir,
Vous pourrez voir au vray cet amoureux martyre :
Que mon cœur ne pouvant par ma bouche vous dire,
Par les escris d’autruy nous vient or’ descouvrir.

Peut estre dira-on, ce qui se dit souvent,
Que les souspirs d’Amour ne sont rien que du vent :
Mais comme l’on voudra que l’estime on en face,

Je seray satisfait pourveu que mes souspirs
S’ils sont vent estimez, soyent au moins les Zephirs,
Qui m’ameinent au port de vostre bonne grace.


R. D. P. V.

A celle qui a causé l’impression de
ces souspirs.



MAdame, si quelquefois vous avez pris plaisir aux piteux accens de souspirs que ie tirois du plus pres de mon cœur, quand respirant heureusement la vie du bel œil qui me perce jusques à l’ame : ie vous tesmoignois la verité de ma passion, vous souvenant de ma fidelité iettez à cest heure quelque petit regard r’adoucy sur les divers pourtraicts de mes affections : Et si jamais vous logeastes en vostre sang quelque douceur, recevez les aussi humainement, que j’ay eu de felicité à vivre, & mourir pour vous, que i’honoreray, tant que defaillant, ie me transformeray en l’essence du mesme amour que ie souspire pour vos beautez.


A 2


D. Vallevr ha appetit.

F. B. DE VERVILLE,
A
M. A. D. B.




IE meurs en depitant ma fortune adversaire
Qui m’a fait naistre icy avec tant de malheur,
Qu’ayant un grand courage enfermé dans mon cœur,
Je ne puis de moy, moy mesme satisfaire.

Un trop brave desir par un effect contraire
Me va tyrannisant avec trop de rigueur,
Et à un gentil penser i’assemble ma douleur
Par ce qui me fait estre & qui me vient defaire.

Car i’avois bien-heureux protesté en mon ame
Qu’au lieu de souspirer mon amoureuse flame,
Je dirois par mes vers vostre perfection.

Mais las ! ce grand sujet estonne ma puissance,
Et veut que seulement en toute obeissance
Ie vous offre les vœux de ma devotion.

LES SOUSPIRS
AMOUREUX DE
F. B. de Verville

I.


Tandis que discourant en mon intelligence,
Je cherche le destin qui me doit advenir,
Je cognoy que le ciel veut un coup me tenir
Sous les heureuses loix de vostre obeissance.

Du sort, du ciel, d'amour l'infinie puissance
Me pousse, me contraint, & me force a venir
Où la divinité voulut faire finir
L'influence ordonnee, au jour de ma naissance :

Tout est sujet icy à la fatalité,
Les astres guident tout, & l'amour indompté
Respand à son vouloir, par l'univers sa flame.

Puis donques que le Sort, me tire à tel destin,
N'allez contre le Ciel pour empescher sa fin,
Mais permettez qu'Amour triomphe de mon ame.


II.


Jamais la douce ardeur d'une si belle flame

N'avoit dedans mon sens allumé mon tison,
Jamais mon cœur captif en si belle prioson
N'avoit logé le soin au plus beau de mon ame.

Jamais aussi les yeux d'une si belle dame
N'avoyent peu arrester mon humaine raison,
Jamais je n'avois veu cette belle saison,
Qu'un souspir amoureux doucement nous enflame.

Mon cœur dormoit encor,& mon œil se moquoit
Des puissances d'Amour, & quand il le voioit,
Il bravoit la fureur de ses flesches meurtrieres :

Mais enfin aux rayons de vos divinitez
Il surprit mon esprit, & mes yeux indomptez,
Et les rendit captifs de vos belles lumieres.


III.


Je sçay bien de que le ciel en vous donnant la vie,
Ne mist en vos beautez rien qu'amour & douceur,
Je scay bien qu'aux flambeaux qui d'une belle ardeur
M'embrasent doucement, loge la courtoisie.

Mais helas ! je cognoy que mon ame asservie
Sous les cruelles loix d'un superbe vainqueur,
Qui sous le nom d'amour se cache dans mon cœur,
J'endure le tourment d'une juste furie.

Et pourtant au plus fort de mon affection,
Par trop impatien durant ma passion,
Au lieu de mon amour, ma peine je souspire.

Pardonnez-moy madame, & en prenant pitié
De mon cœur pour loyer de ma sainte amitié
En un meilleur espoir transmuez mon martire.


IIII.


Je meurs, helas ! non fay, je vis en esperance,
Helas je ne vis pas, las ! doncques je me meurs,
Je ne meurs pas aussi, mais par mille rigueurs

Madame fait essay de ma perseverance.

Je languis donc helas ! & ma vaine constance
Me cause en bien-aymant tant de tristes douleurs,
Et sous le bel espoir de ses douces faveurs,
Je sens d'un feu cruel l'inhumaine puissance.

Ha ! j'ayme mieux mourir que vivre en tel malheur
Non plus tost je vivray, portant dedans le cœur
L'attente d'une mort, qui termine ma peine.

Non je ne vivray pas, mais passant entre-deux
Tant que le ciel voudra qu'icy-bas je me traine
Je vivray ou mourray comme voudront ses yeux.


V.


Saintement enflamé des rayons amoureux
Dont l'éternel brasier donne essence à ma vie,
Je sens dedans mon cœur une agreable envie,
Qui me fait desirer de vivre langoureux :

Que je languisse donc & que d'un sort heureux
Leur feu dure tousjours en mon ame asservie
Sous les cruels liens dont la douceur me lie
De ce nœud qui me fait de mon mal desireux.

Pour rien je ne voudrois eviter cette peine
Que glissant dans mon sang, heureusement me gesne
Tant me sont doux les traits de vostre cruauté :

Aussi je ne voudrois vivre sans mon martyre,
Car mon contentement est lors que je souspire
Pressé de passion servant vostre beauté.


VI.


Amour qui de cent coups mon pauvre cœur entame,
Cachant dedans mes os de ses flames l'ardeur,
Me fait de vains souspirs plaindre pour la rigueur
Des yeux dont les rayons donnent vie à mon ame.


Mes poumons consumez d'une eternelle flame
Ne respirent cet air, qu'attendant le bon-heur,
Qui cruel m'abusant par un espoir trompeur,
D'un feu continel dedans le sang m'enflame.

Et lors que pour tromper le soin qui me tourmente,
Je vay cerchant l'objet qui à mon cœur presente,
Avec tant de malheurs l'esperance de mieux.

Celle dont obstiné la vie je respire,
Prend plaisir à ma peine & voyant que j'empire,
Fait ignorer le mal que me causent ses yeux.


STANCES.


De mille coups mortels mon ame martiree,
Se plaint sous la rigueur de la flesche aceree
qu'amour trop inhumain cache dedans mon cœur,
Et rempli de sanglos triste je ne respire
Que l'air, ou mal-heureux ma peine je souspire,
Attendant qu'un bel œil termine mon mal-heur.

Plain de soucis mordans je sens dedans mes veines
Les tourmens eternels des ennuyeuses peines
Dont l'ardeur renouvelle en mes os mon amour :
Et pleurant vers le ciel presque je me despite
Qu'il m'a fait maistre icy en si peu de merite,
Que je n'ose esperer que vous m'aymiez un jour.

Ha ! mal-heureux destin, ha toy par trop cruelle,
Qu'il faut qu'en bien aymant devot, humble, fidelle,
Je ne puisse esperer un doux semblant de mieux.
Helas ! s'il faut que vous inhumaine & contraire
N'ayez pitié de moy, ny plaignez ma misere,
Pourquoi le ciel veut-il que je brusle à vos yeux ?


Les cruels ennemis de ma triste pensee,
Et les attraits qui l'ont heureusement blessee
De contraires efforts s'agittent dedans moy :
Le desespoir me pousse a oublier ma flame,
Et vos perfections r'allument en mon ame,
Les gracieux effets d'une amoureuse loy.

Quand un jour favorable en ma peine fascheuse
M'asseure que vos yeux vous promettent piteuse,
Et qu'ingrate n'aurez mon service à mespris,
Un gelante peur dedans mes os se verse,
Qui cruelle en un coup tout mon bon-heur renverse
Achevant de meurtrir mes perissans esprits.

Mais quoy qu'en tel tourment ma gesne se renforce,
Et qu'amour exerçant sa bourrelant force
Sur mes os, montre en moy son plus cruel pouvoir,
Si seray-je fidele, & ma perseverance
Destournant mon ennuy plain de belle constance,
Je vous feray congnoistre une fois mon devoir.*

Quoy que cent traits mortels d'une horreur effroyable
Tourmentent en mon sang, ma vie miserable,
Que je n'ose esperer en ma fidelité,
Votre sage vertu dans mon cœur imprimee
Y sera sans changer saintement engravee,
Autant que dans le Ciel sera l'eternité.

Et quand nous ne voudriez en une amour commune,
Passer avecque moy nostre heureuse fortune,
Si est-ce que j'aurois du bien en mon soucy :
Car ce m'est beaucoup d'heur, que le Ciel ne permette

De vous oser aymer, & que hardy je mette
En un si beau sujet, ce que j'espere icy.

Mais si le Ciel benin à mes desseins propices,
Fait que vous receviez une fois mon service,
Vous touchant du soucy que me faites sentir :
Je me veux perdre en vous, & en mon heur extresme
Vous tesmoigner l'ardeur dont mon ame vous aime
La laissant en vos mains pour y vivre & mourir.

Si donc quelque pitié vous a jamais saisie,
Et si ne puis heureux m'asseurer de ma vie,
Destinez d'un clin d’œil la suitte de mon sort :
Car comme vous voudrez, que je vive ou je meure,
Que mes momens soyent ans, & tout mon temps une heure,
J'auray pour agreable & la vie & la mort.


VII.



Ce sont vos yeux cruels causes de mon dommage
Qui meurtrissent mon cœur, & qui froissant mes os
Me privent du bon-heur du coustumier repos,
Faisant de mes poulmons un inhumain carnage.

Rien que vos yeux meurtriers ne met en mon courage
Le soin melancholicq marque de mes travaux,
Que l'esprit m'accablant, de mille & mille maux
Change ma passion en furieuse rage,

Vos yeux sont mon malheur, & cependant mon ame
Languissant dedans moy, ne respire autre flame
Que les heureux rayons, qu'elle en va souspirant :

Ainsi d'un beau malheur ma vie se contente,
Et n'osant esperer tandis que je lamente

Il faut que par mes yeux je vivotte en mourant.


VIII.



De fureur, de soucy mon âme tourmentee
Sous vostre cruauté, désire contre un fer,
Caché dedans mon cœur, tresbucher en l'enfer,
Pour s'aller rafraischir en l'onde Acherontee :

Mais lors que de tel soin je la sens agitee,
Voulant dedans mon sang teindre un mortel acier,
Vos yeux tiennent ma main, & me font desirer
La vie que j'en ay heureusement succee.

Et vous qui cognoissez qu'avec toute puissance
Vous maîtrisez mon cœur, & cette belle essence,
Dont l'heureuse chaleur me fait vivre icy-bas.

Vous vous jouez de moi, & d'une bonne grace
Cruelle, vous voulez ores que je trespasse,
Et puis changeant de front vous ne le voulez pas.


IX


Mes yeux ne sont plus yeux, leur essence est changee
En ruisseaux eternels pour plorer mon malheur,
Et mon sang n'est plus sang, mais las ! cette froideur
Qui c'est presque desja de moy toute escoulee.

Ma vie n'est plus rien que cette humeur gelee,
Qui esteint mes esprits & la douce chaleur
Dont jadis je vivois s'esloignant de mon cœur
Me laissant un vain corps, de moy s'est envolee.

Las je ne fusse plus n'eust esté qu'en mon ame,
Vos yeux ont r'alumé un peu de cette flame
Dont les heureux effects me font vivre icy bas.

Et si quelque pitié ne vous touche maistresse
Pour en user sur moy, au mal-heur qui me presse
Il me faudra tomber sous l'effort du trespas.


X.



Sot Democrit, si jamais en ton ame

Amour eut mis de ses graces le trait,
Tu n'eusses dit que de Rien Rien se fait,
Veu qu'un Rien cree & ma glace & ma flame.

Qu'ainsi ne soit des beaux yeux de Madame
Un rien sortant, met en braise mon cœur,
Et mon cerveau fait voguer sur l'humeur
Du froid glaçon de l'amour qui m'enflame.

Jà se meslant avec ses qualitez
Mille autres riens, par leurs diversitez,
Prennent en moy une forme seconde.

Qui alterant mon esprit & mon corps,
Dessous la loy de leurs riches accords,
Mon font changer en un amoureux monde.


XI.



J'adore vos beaux yeux & deteste l'horreur
De vostre cruauté, meurtriere de mon ame,
Et me desplaist de voir qu'une si belle Dame
Avec tant de beautez loge tant de rigueur.

Las ! s'il est destiné qu'à mon fatal malheur,
Vos yeux en mon humeur facent durer leur flame,
Permettez que ma main, mon triste cœur entame,
Pour chasser de mon sang, ma vie & ma douleur.

Ne me vaut-il pas mieux qu'une heure bien-heureuse
Termine en un moment ma vie langoureuse :
Qu'apres vous vivottant mourir cent fois le jour.

Laissez moy donc tuer : mais tuez moy vous mesme
Afin que plus constant dedans les mains que j'ayme
Je laisse ma douleur, ma vie & mon amour.


XII


Ie ne ſuis plus celuy qui reſpiroit la vie
De vos yeux, mon soleil, ie ne ſuis qu'un vain corps.
Amour qui m'a frappé de ſes traits les plus forts

Pour triompher de moy, a mon âme ravie.

Mon eſprit erre en bas en la plaine obſcurcie,
Et mon corps au tombeau croiſt le nombre des morts.
Ma vie ſous l'horreur des meurtriſſants efforts
Qui bourrellent mon cœur, de moy s'eſt departie.

Ie suis l'ombre amoureux de vos rayons formé,
Lors que de vos beautez, chaſtement enflammé,
Ie tirois de vos yeux une ſeconde eſſence.

Puis doncques que ie ſuis de vous ſeule animé,
Il faut que comme vous, de vous ie sois aimé,
Ou pour le moins nourry d'une iuſte eſperance.


XIII.



Je ne veux plus aymer : car ceste flame ardante
Qui consomme mon cœur, m'agitte incessamment,
Sous la cruelle horreur de l'eternel tourment
Qui gesne sans repos mon ame impatiente :

Rien que peur à mes yeux ores ne se présente;
Je suis rongé de soin de moment en moment,
Et sous le desespoir par trop cruellement
Amour conduit helas ! le bien de mon attente.

Ha ! feux qui allumez ce desir en mes os,
Vous esloignant de moy permettez au repos
De glisser en mon sang pour finir ma misere :

Non agreables feux, mais revivez tousjours,
Et redoublans heureux l'ardeur de mes amours,
Faites moy vivre au mal du bon-heur que j'espere.


XIIII.


Un Barbare indonté qui n'auroit dans le cœur
Que le cruel desir qui pousse son courage,
A respandre le sang, appaiseroit sa rage,
S'il voyoit vos beaux yeux au fort de sa fureur.

Un Cyclope noircy de sa bruslante ardeur
Des soufflets eternels qui chauffent son ouvrage,

Voyant de vos beautez la venerable image,
Osteroit de son front l'espouvantable horreur.

Si moy doncques qui n'ay la cruauté en l'ame,
Qui ne porte l'effroy de l'Aethneane flame,
Je meurs vous regardant, ne vous estonnez pas,

Mais par vostre douceur egaler mon martire,
En en prenant pitié de mon cœur qui expire
En languissant pour vous, sauvez moy du trespas.

XV.


Il me plaist de mourir s'il vous est agreable,
Ou d'une triste vie allonger mon malheur,
Ainsi que vous voudrez je veux que ma douleur,
Ou vivant ou mourant, me rende miserable.

Je ne veux point vous voir d'un œil trop pitoyable,
Adoucir mon travail, puis que par ma langueur
Vous avez du plaisir, mais je veux qu'en mon cœur
Se loge pour vous plaire une mort effroyable.

Je veux chercher mon bien au fort de mon dommage,
Je me veux affranchir sous mon cruel servage,
Trouvant en mon malheur quelque contentement,

Puis qu'helas ! vous voyez la force qui me gesne
Et sans faire semblant de cognoistre ma peine,
Par un œil incertain vous doublez mon tourment.


XVI.



L’impatient espoir qui guide mon navire,
Sous la sainte clarté d'un astre bien-heureux
De cet astre besson, dont les feux amoureux
Tirent de mes poulmons le vent pour me conduire.

L'escueil qui se presente à tous coups pour destruire
L'attente du bon-heur, dont je vis langoureux,
Sont joints incessamment sous le sort rigoureux

Qui fait qu’en mon mal-heur, mon malheur je desire.

Je me veux retirer de ce cruel Neptune,
Je cognoy bien la fin de ma triste fortune,
Et toutesfois forcé j’acours pour y perir.

Helas ! la cause en est si plaisante & aymable,
Que je souhaite encor estre plus miserable,
Et pouvoir adorer l’œil qui me fait mourir.


XVII.



Las je souspire en vain puis que sans esperance
Je chemine à tastons par le sentier d’amour,
Tout ainsi que celuy qui privé de ce jour
Le desirant tousjours n’en a point la presence.

Sans pois je vay levant de mon sort la balance,
Qui ne s’arreste point, mais en son quart detour
Remue incessamment, & detour & retour
Me montre la fortune, en sa vaine inconstance :

Soit ce qu’il en pourra, j’aymeray la rigueur
Du tourment agreable, où demeure mon cœur,
Qu’ores l’espoir abuse, & ores reconforte.

En l’erreur de mes yeux, je conduiray mes yeux,
En mon sort incertain, je verray si les Cieux
Guariront la fureur du mal qui me transporte.


XVIII.


Au plus creux de mon cœur je retien enfermee
La douce passion dont je vis icy bas :
Et de ces yeux divins les bien-heureux appas
Font que dedans mon sang ma vie est animee,

D’un si benin glaçon mon ame est enflammee,
De discords si plaisans je resens les debats,
Par les effets d’amour, que je ne voudrois pas
Esteindre cette guerre en mon ame frmee.

Plustost je veux tousjours renouveller en moy
L’agreable soucy de mon heureux esmoy,

Pour vivre ainsi constant que mon cœur le desire,

Encores crains-je, helas ! de mourir sans souffrir
La peine, & le soucy qu’il me plaist de sentir
Adorant les beautez qu’en mon ame j’admire.


XIX.


De feu, d’horreur, de mort, de peine, de ruine,
Jours, nuicts, ans, temps, momens, je me sens tourmenté,
Et sous les fers meurtriers de ma captivité,
Je vois l’amour cruel qui mon ame ruine.

Je me perds de langueur, de douleurs je me mine,
Ma vie fuit de moy par trop de cruauté,
Et de mortels desdains mon esprit agitté
Sent le dernier effort qui ma vie termine.

Vous filles de la nuit, vous fureurs eternelles,
Vous qui froissez là bas dessous vos mains cruelles,
Les esprits eschappés du monde et de leurs corps,

Chassez par vos rigueurs la rigueur de ma gesne,
Et si la peine peut se chasser par la peine,
Faites fuir de moi par ma mort mille morts.


XX

 
Perdez, froissez, tuez ceste ame vagabonde,
Qui delaissant ce jour cherche vostre manoir,
O puissances d’embas si vous avez pouvoir,
Sur les captifs d’amour qui desdaignent ce monde ?

Vous esprits qui tousjours allez faisant la ronde
A l’entour de nos cœurs, taschant nous decevoir,
Employez les secrets de tout vostre sçavoir,
Pour mettre en mon esprit une peine seconde.

Fuyez esprits fuyez, vostre mort, vostre horreur,
Ploye sous les efforts de l’aveugle fureur
Qu’excite dans le sang une rage amoureuse.

Tout vostre vain pouvoir n’a pouvoir sur l’amour,
Je veux donq’ encor voir les douceurs de ce jour,

Flattant en mon malheur ma vie malheureuse.


STANCES.


Tandis que languissant pour vos fieres beautez
Je sens dedans mon sang le soin qui me tourmente
Je n'ay devant les yeux que mille cruautez
Qui deschirant mon cœur sont la derniere attente
Du bien-heureux loyer de mes fidelitez.

Le triste desespoir qui bourelle mon cœur,
Me presse incessamment sous l'ardeur de ma peyne,
Car d'un ciel desdaigneux la mortelle rigueur,
Pour redoubler en moy les tourmens de ma gesne,
M'a fait naistre ça bas sujet à tout malheur,

Les extresme soucis dont je suis tourmenté
Font sortir de mes yeux une source eternelle
Pour pleurer les ennuis, dont je suis agité
Et pour me ruyner dans mon ame fidelle,
Agravent les rigueurs de vostre cruauté,

La mort de tous costez pres à prez me poursuit,
Redoublant les douleurs de mon cruel martire,
Et son traict inhumain peu à peu de destruit,
Ores que malheureux ma langueur je souspire
Attendant les horreurs d'une derniere nuict.

La peine, le desdain, la perte, la douleur
Du desespoir, du ciel, de mes pleurs, de mon ame,
S'aigrissent dedans moy & doublent ma langueur,
Cependant qu'adorant la beauté qui m'enflame,

Je sens dedans mes os leur sanglante fureur.

Ainsi pressé de mal je me sens ruyné,
Sans oser m'asseurer qu'en ma perseverance
Je voye mon tourment quelquefois terminé,
Car il faut qu'en aymant je n'aye autre esperance
Qu'au malheur amoureux où je suis destiné.


XXI.


De pleurs & de sanglots je nourriray ma vie,
En ma peine & travail je prendray mon plaisir,
Attendant que la mort vienne mon cœur saisir,
Je gesneray mon ame où elle est asservie.

Je me veux obstiner en ma peine envieillie,
Je veux par mon ennuy contenter mon desir,
Dans quelque antre je veux ma retraite choisir
Vviant en la douleur dont mon ame est saisie.

La cause de mon mal est si douce à mon cœur,
Que je ne voudrois pas eviter mon malheur,
Pour oublier l'ennuy qui fait que je souspire.

Que doncques mille fois je meure chasque jour
Que je perisse heureux sous les forces d'amour,
Et que toujours je sois pressé de mon martire.


XXII.



Si ma mort vous plaisoit par un sort favorable
Ores je perirois, pour vous monstrer l'honneur
Que je vous veux porter, encores qu'en rigueur,
Maistresse vous teniez mon ame miserable.

Je ne possede rien qui soit tant desirable
A mon amie, que l’œil par qui j'ay pris l'humeur
Des vostres pour ma vie, & toutefois mon cœur
Le hait si vous n'avez sa lumiere agreable.

J'aime ce qui vous plaist, je hay ce qui vous fasche
Afin de vous complaire incessamment je tasche

De regler mes pensers selon vostre vouloir,

Si donq ma mort vous plaist, donnez m'en tesmoignage
Et pour vous obeir plain de brave courage
Vous me verrez passer l'onde du fleuve noir.


ODE I.


Je suis saisi de frayeur,
Je tremble tout dans le cœur,
Et une froideur mortelle
Passant en moy peu à peu,
Y allume un cruel feu,
Pour une beauté trop belle.

Je n'ose jetter mon œil
Aux rayons de ce soleil,
Qui peut foudroyer mon ame,
Je ne l'ose malheureux :
Voir d'une regard amoureux :
Car je mourrois en sa flame.

Je ne m'ose présenter
Pour heureux un peu tenter
Une si belle fortune,
Car mon injuste destin
Me feroit sentir ma fin,
Au bord du premier Neptune.

Si ce soleil luit sur moy
Par une agreable loy,
Il force mon ame atteinte
De ces traits, dont la rigueur
Me fait souhaitter l'erreur

D'une si douce contrainte.

Si le destin m'eut donné
A l'instant que je fus né,
De mériter quelque grace,
Je voudrois avantureux
Par un souhaut si heureux
Avoir au ciel quelque place.

Je voudrois en la beauté
De ceste divinité
Cherche la source immortelle
Des feux dont la sainte ardeur,
Allume en nos cœurs l'honneur
De la lumiere eternelle.

Mais mon merite est trop bas,
Et je ne merite pas,
D'y oser perdre la vie,
Car ce qui est eternel
Veut que par un immortel
Sa puissance soit servie.

Et pourtant tout estonné
Je me sens environné
De mille peurs à sa veuë,
Et voy la mort me presser,
Sentant peu à peu passer,
Mon ame toute esperdue.

Cependant je beniray
Cest œil par qui je vivray,
Soit que de luy je respire,

Ou que loin de sa clarté,
Mon poumon soit agité
Par le doux air qu'il souspire.

XXIII.


J'avois juré tes yeux, ingrate desdaigneuse,
De me sacrifier aux pieds de ta beauté,
Je t'avois pour jamais juré ma loyauté
Et de mourir ton serf en ma peine amoureuse.

Mais ores je te laisse, à fin qu'une heureuse
Me rendant en repos ma chere liberté,
Loin du cruel desdain duquel tu m'as traité
Je guide à meilleur sort mon ame langoureuse.

Ha ! te diray-je a Dieu ! non, helas ! si feray,
Non je demeureray, non, je te laisseray :
Car te servant j'aurois tout mal pour recompense.

Mais helas ! je ne puis, ma vie te laisser,
Tue moy si tu peux : car ma perserverance
Avant que t'oublier me fera trespasser.


XXIIII.

 
Je change de desirs, non pas de volonté,
Je change de fortune, & non pas d'esperance,
Je change de conseil, & non pas d'asseurance,
Je change de liens, non de captivité.

De mourir pour vos yeux mes deésirs ont esté
Et ma fortune estoit en mon mal patience,
Mon conseil de perir sous vostre obeissance,
Mes liens les rigueurs de vostre cruauté.

Et maintenant je veux vivre pour vos beaux yeux,
J'espere de trouver en vous aymant mon mieux,
Asseuré du loyer de mon heureux servage,

De vos perfections eternel serviteur,
En un meilleur estat, je change mon malheur,
Et je change constant sans changer de courage.

XXV.


Je veux braver le sort, & je luy suis sujet,
Je veux forcer le ciel, & il peut sur ma vie,
Je veux contraindre amour, il m’a l’ame asservie,
Je veux vaincre la mort, & je suis son objet.

Je me veux d’une sorte & par divers effets,
Vous le voulez aussi, moy par la douce envie
Qui rend sous vos beautez mon ame assujettie,
Et vous usant vers moy d’un amour trop discret.

Je me moquois du sort, il m’a monstré sa force,
Le ciel m’a maistrisé & l’amoureuse amorce
M’a mis jusques au cœur les horreurs de la mort.

Mais vous esprouverez & vaincrez la puissance,
De la mort, de l’amour, & du ciel, & du sort,
Selon que vous aurez conduit mon esperance.


XXVI.



De cet œil mon soleil mon ame s’illumine,
Et ce beau front mon ciel mon destin je cognoy,
De ces chastes beautez la vie je reçoy,
De ces perfections mon bon-heur je termine.

Cet œil par la douceur de sa force divine
Met en moy les desirs que chaste je conçoy,
Et par ce front divin heureusement je voy
Quel sort bon ou mauvais sur ma vie je domine.

Ces beautez que j’adore entretiennent ma vie,
Et ces perfections ont mon ame ravie,
Au bien-heureux sujet de ma felicité.

Que puissay-je à jamais en pensée si belle,
Souspirer les douceurs d’une vie eternelle,
N’ayant d’autre soucy le courage agité.


XXVII.


J’ai le courage foible & l’ame audacieuse,
J’ay l’effroy dans le sang, la valeur dans le cœur,

Je bous de hardiesse, & je tremble de peur,
Sous les divers effets d'une force amoureuse.

J'ay le courage fier, j'ay l'ame desdaigneuse,
Je froisse sous mes pieds de l'amour le malheur,
J'ay le sang amoureux, le cœur plein de douceur
Benissant à part moy ma passion heureuse.

Tant de diversitez agittent ma pensee,
Lors que divinement d'un beau cachet pressee
Elle prend le patron de vos divinitez.

Voyez doncques Madame en moy vostre puissance,
Et changez pour loyer de ma perseverance :
En un but arresté tant de diversitez.


CHANSON.


si vous n'avez le cœur aussi dur qu'une enclume,
Si vous n'avez le sang aussi froid qu'un glaçon,
Si vous n'avez l'esprit privé d'affection,
Vous cognoistrez l'ardeur du flambeau qui m'allume.

Si vous n'avez des yeux la lumiere obscuricie,
Si vous n'avez des sens le pouvoir imparfaict,
Si vous n'avez perdu l'intellect l'effait,
Vous cognoistrez l'ardeur qui consume ma vie.

Si vous avez d'amour senti la violence,
Si vous avez eu soin de garder amitié,
Si vous eustes jamais de quelque amy pitié,
Vous cognoistrez l'ardeur qui mon courage eslance.

Si vous eustes jamais une ame pitoyable,
Si vous eustes jamais en vous quelque douceur,
Si vous avez vescu d'une gentille humeur,

Vous cognoistrez l'ardeur de mon feu agreable.

Si au lieu d'un acier vous avez un cœur tendre,
Si au lieu d'un glaçon vous avez l'ame au sang,
Si un air amoureux vous agite le flanc,
Vous cognoistrez l'ardeur qui couve sous ma cendre.

Si aux yeux vous avez une lumiere belle,
Si des sens vous avez l'effait egalement,
Si dedans vostre esprit loge le jugement,
Vous cognoistrez l'ardeur de ma flame eternelle.

Si vous n'avez d'amour fuy la douce flame,
Et si de l'amitié n'avez hay le soin,
La douce pitié n'avez chassee au loin,
Vous cognoistrez l'ardeur de ma fievre amoureuse.

Ne me faites douter du bien que je desire,
Ou bien je douteray de vos perfections :
Mais je n'en puis douter donq' en mes passions
Octroyez moy mon cœur le bon heur ou j'aspire.


XXVIII.



Je vous donne mon cœur, non fay, rendez le moy,
Si je vivois sans cœur je vivrois sans courage,
Et ainsi je serois comme une vaine image,
Sans valeur, sans desirs, sans puissance, sans foy.

Sans cœur on a tousjours dedans le sang l'effroy,
Je veux donc le ravoir, & encor d'avantage

Je veux le vostre aussi, vous estes assez sage
Pour vivre sans douleur, sans crainte, sans esmoy.

Ainsi ayant deux cœurs mes forces doubleront,
Les astres & le sort ma valeur douteront,
Et me lairront conduire heureux ma destinee.

Mais gardez-les tous deux, car j'en auray assez
Si vous aymez le mien, & l'aimant vous tracez
La vie qu'en vos yeux les cieux m'ont ordonnee.

XXIX.


Mes feux sont aussi doux que ma maistresse est belle
Mes celestes desirs esgalent ses beaux yeux,
Au pris de sa douceur mon mal m'est gracieux,
Et ma douleur est grande autant qu'elle est cruelle.

Plein de felicité je me brusle pour elle,
Par ses chastes rayons je me transporte aux cieux,
Par sa rigueur j'en tombe & puis tout furieux,
Je consomme mon cœur d'une peine eternelle.

Par sa beauté je suis heureux infiniment,
Par sa fierté je suis blessé cruellement
Du bien heureux malheur, que pour elle je traine,

Ainsi en l'adorant je meurs pour sa beauté,
Mon heur double mon mal dessous sa cruauté,
Et ses yeux doux & fiers sont cause de ma peine.


XXX.



Mon cœur que tu es belle, hé ! te l'osay-je dire ?
Tu ne le sçais que trop, non tu ne le sçais pas,
Si tu cognoissois bien les amoureux appas
De ta douce beauté, tu plaindrois mon martire.

Ha ! que tes yeux sont beaux dont mon ame souspire
Les esprits dont je vy, qui causent mon trespas,
Que douce en est l'ardeur qui par mille debats
Oste de moy mon cœur, l'y remet, l'en retire.


Recognois ta beauté recerches-en l'essence,
Recognois le destin qui fait qu'en ta puissance,
Je vive, je trespasse en langueur nuict & jour,

Et si tu peux sçavoir combien elle m'est douce,
Combien a de pouvoir la force qui me pousse,
Tu croiras que tu dois m'aimer pour mon amour.


XXXI.


Voulez-vous voir mon cœur, ouvrez moy la poictrine,
Vous y verrez les traits de vos rares beautez,
Vous verrez en mon sang mille diversitez
Esmues par l'amour qui par vous y domine.

Vous y verrez l'ardeur de ma flame divine,
Vous verrez tout au pres mes poumons agitez,
Qui souspirent pour vous, & mille cruautez
Exciter la rigueur qui ma vie termine.

Mais las ! arrestez-vous, vous n'y pourriez rien voir,
Car la mort aussi tost ayant sur moi pouvoir
Effaceroit l'effet du desir qui m'enflame.

Regardez mes souspirs, vous y verrez mon cœur,
Vos beautez mon amour, vos rigueurs ma douleur,
Et soyez humble aux pleurs que vous offre mon ame.


XXXII.


Ha que cet œil est beau, je meurs quand je l'admire,
Ha qu'il me fait de mal, ha qu'il me fait de bien,
Hé ! que doux & amer est le foible lien,
Dont si estroitement par sa force il m'attire.

Helas ! qu'il est cruel il cause mon martyre,
Car plus il me destruit lors que plus je suis sien,
Hé ! que ses feux sont doux au monde il n'y a rien
D'agreable & de beau, que l'air que j'en respire.

Hé ! maistresse attendez, attendez ma Deesse,
Ne me cachez encor ce bel œil qui me blesse :

Mais quoy, vous estes fiere au reson de mes pleurs.

Vous me le destournez, & puis douce cruelle,
Me le faisant revoir d'une belle estincelle
Vous allumez en moy un million d'ardeur.


XXXIII.



Cachez moy ce bel œil : car il m'oste la vie,
Helas ! je suis perdu en perdant sa clarté
Las ! je suis consumé aux feux de sa beauté,
Helas ! en le perdant, mon ame est obscurcie.

Je ne le verray plus, & si je meurs d'envie
De le revoir encor plus j'y suis arresté,
Plus alors je voudrois m'en trouver escarté,
Plus mon ame le fait, plus elle en est ravie.

Je mourray le voyant, non je ne mourray pas,
Je mourray m'absentant de ses heureux appas,
Non feray, si feray : mais lequel doys-je faire ?

Mourir en le voyant c'est mourir sans mourir,
Mourir en le perdant, c'est en la mort languir :
Il vaut doncq' mieux servir le bel œil qui m'esclaire.


XXXIIII.



Par mille cruautez amour me tyrannise,
Et des horreurs de mort il estonne mon cœur,
De souci, de tourment, de peine, de douleur
Il m'agite, destruit, me travaille, me brise.

Ainsi qu'il prisonnier qui desire franchise
Je tasche de fuir de mes seps la rigueur,
Et par quelque malheur finissant mon malheur,
Mon ame delivrer des nœuds où elle est prise.

Je romps doncques mes seps je denoue mes noeuds,
J'estains pour tout jamais les brasiers de mes feux,
Despitant de l'amour l'insolente puissance.

Mais bandeau furieux retire toy de moy,
Qu'amour soit doux ou fier si tiendray-je ma foy,

car j'ay juré de vivre en son obeissance.


XXXV.



Retirez cette main, elle me fait mourir,
Hé ! redonnez-la moy pour me rendre la vie,
Helas ! retirez-la, non faites je vous prie,
Car je veux vif & mort ny vif ny mort languir.

Ces petits doigts rosins que me viennent ravir
L'ame hors de mon sang, doublent en moy l'enuye
De souspirer pour eux, & cette main polie
En la sentant asseure & estonne mon cœur.

D'un touchement si doux glissant dessus mon ame
Elle excite le feu qui par vos yeux m'enflame,
Et causent les douceurs de mon heureux tourment.

Et puis, radoucissant la force de ma peine,
Cruelle m'allegeant mignardement me gesne,
Au plaisant desplaisir de mon contentement.


ALLIANCE.
ODE.

 
Lors que Venus print naissance,
Une celeste substance,
Dessus la mer desgoutta,
Qui dedans une coquille
La fit la plus belle fille,
Qu'oncques le monde porta.

La nature depitee
De se voir outrepassee,
Voulut imiter les cieux
Et desevisant la rousee
Dans les nacres assemblee,
Faire un chef d’œuvre comme eux.


Quand la coque fut ouverte
On trouva la perle faite,
N'ayant rien que la blancheur
De la beauté tromperesse
De la mignarde Deesse
Qui nasquit de mesme humeur.

Voyant son œuvre estre belle
Sans pouvoir devenir telle
Que celle qu'elle imitoit,
D'une main sagement chiche
En fit le joyau plus riche,
De tous ceux qu'elle conçoit.

Elle en donna abondance,
Mais elle y mit difference,
D'une belle rarité,
Car celle qui est formee
Plus ronde, & mieux coloree
Est la premiere en beauté.

Elle la fit si entiere
Et de si bonne matiere,
Que celuy qui par chaleur
Peut alterer toute pierre,
Et donner teinture au verre,
Ne peut feindre sa couleur.

Mais comme le temps s'escoule
Qu'un an apres l'autre roule,
Que tout peut estre cognu,
Nature qui se promeine
En son ordinaire peine,

Des cieux le secret a sceu.

Lors pour faire experience
De sa nouvelle science,
Imitant la deité,
Une perle elle façonne,
Et liberale luy donne
La vie avec la beauté.

Suivant du patron la trace
Elle luy donna la grace,
L’œil, les cheveux, & le front,
Qui verseront mille flames
Dans les bien-heureuses ames
De ceux qui laboreront.

Parfaisant ce bel ouvrage,
Y mit encore davantage
Un esprit sage & discret,
Puis l'envoyant en ce monde,
Afin qu'elle n'eut sa seconde,
N'en garda point de pourtrait.

Le ciel en avoit fait une
D'une beauté non commune,
Admirable aux eternels,
Et l'autre a esté formee,
Pour ça bas estre admiree
Tant des Dieux que des mortels :

Vous belle qui de ma vie
Tenez la flame asservie
Sous vostre perfection,

Vous estes ceste Deesse
Dont la beauté & sagesse
Merite admiration.

Vous estes la perle heureuse
Que mon ame langoureuse
Adore devotement,
Celle pour qui je souspire,
Celle que seule j'admire
Sous l'enclos du firmament.

Soyez moy donc naturelle,
Autant que vous estes belle,
Et permettez que mon cœur
Qui vit au pris qu'il vous aime,
Et qui respire en vous mesme,
Arreste en vous son bon heur.


LE DIAMANT.



Tout au moyen du feu prend au monde naissance,
S'entretient par le feu ou luy estant sujet,
Par son dernier effort apres estre defait,
Prend pour luy resister sa solide substance.

Tout ainsi que du feu la derniere puissance
Changeant un corps grossier le fait un corps parfait,
Amour d'un feu divin en me bruslant me fait,
Pour durer sans changer une nouvelle essence.

Son feu caché dans moy de miserable amant
Recuit de fermeté me change en Diamant,
Pour servir bien-heureus la beauté que j'honore.


Tel plustost je mourray & constant periray,
Avant que de changer, car tant que je seray
J'aimeray saintement la perle que j'adore.


ELEGIE. I.



Faut-il qu'incessamment passionné je traine
Les rigoureux liens de l'amour qui me gesne,
Et que sans esperer de me voir en repos
Je loge le soucy pour tousjours en mes os,
Que lamentant en vain mon malheur je souspire,
Sans pouvoir m'aleger en mon cruel martire,
Faut-il, helas ! faut-il, qu'avecques tant d'ennuis
Je passe en mes regrets mes malheureuses nuicts,
Et que sous la clarté que le Soleil nous donne,
Je souffre le tourment qui tousjours me poinçonne,
Sans pouvoir une fois sous un meilleur destin
Sentir de tant de maux une agreable fin,
Sans que madame m'aime et qu'une douce flame
L'esmouvant à pitié attise dans son ame
Un amoureux brasier, qui par quelques souspirs
S'egalle aux doux effetcs de mes chastes desirs.
Non non, il ne faut point qu'en tel espoir je vive,
Il faut qu'en mon mal-heur ma fortune me suive,
Pour me tyranniser & loger en mon flanc
Mille traicts inhumains qui respandront mon sang,
Affin que dedans moy sa source estant faillie
Se finisse en un coup mes amours & ma vie.
Car j'ai trop entrepris d'aimer en si haut lieu,
Une beauté divine appartient à un Dieu,
Et non à un mortel, dont la foible pensee
Ne doit s'imaginer une si belle Idee.
Mais quoy las ! faudroit-il qu'un si divin pourtraict

Pour n'y renaistre plus de mon cœur fut distrait,
Et que de feux divins qui mon ame ont atteinte
La douceur pour jamais de mon cœur fut esteinte :
Ha feux qui nourrissez vos flames en l'humeur
Qui m'entretient icy ne partez de mon cœur,
Bruslez moy, bruslez moy d'une ardeur eternelle,
Pour les chastes beautez d'une dame si belle,
Tant que la pasle mort lors qu'il en sera temps
Par un juste destin face finir mes ans,
Et puis quand de ce corps je laisseray la cendre,
Eschappant de mon sang allez soudain vous rendre
Autour de mon esprit, y allumant tousjours
Les plus heureux brasiers de mes chastes amours.


ELEGIE.


II.

Dans quel antre escarté m'iray-je retirer,
Dedans quelle forest iray je souspirer,
En quel lointain desert assez grand pour ma plainte,
Pleureray-je le mal dont mon ame est atteinte ?
Ou pourray-je fuir pour eschaper l’erreur
Du tourment importun qui agitte mon cœur ?
Tout m'est contraire helas ! rien ne m'est favorable,
Tout conjure mon mal, tout veut que miserable,
Ennuyé, deslaissé, j'espouve mal-heureux
La cruelle rigueur de mon sort rigoureux.
Encor si je pouvois en mon mal-heur extresme,
Pour tromper mes travaux pardonner à moy mesme,
J'aurois contentement, & ne sentirois pas
Sans pouvoir defaillir les accez du trespas,
Car errant vagabond pour trouver quelque crotte
Ou je destourne un peu le mal qui me transporte,

Seul je pense tout seul, en larmes & souspirs
Envoyer mes ennuits avecques les Zephirs.
Mais je me trompe helas ! car jamais ma maistresse
Grave dans mon cœur une heure ne me laisse,
Elle se tient pres moy, & par ses doux discours
Elle r'alume au vif l'ardeur de ses amours.
Plus je pnese fuir, plus je veux solitaire,
Meslongner pour me plaindre en ma peine ordinaire :
Plus je suis assailly, & tant plus dessus moy
Se redouble l'aigreur de mon facheux esmoy,
Les ombreuses forests, & les desertes plaines,
Au lieu de m'alleger multiplient mes peines,
Et lors que dans la mer se trempe le Soleil
La nuict qui doit cacher tout dessous le sommeil,
Me presse davantage, & assemble la flame
Des tisons eternels qui eschauffent mon ame,
Par son contraite effait, car son obscurité
Fait retirer en moy la plus vive clarté,
Qui se paist de mon sang, ainsi sous le silence
Je sens plus dans mon cœur de mon feu la puissance,
Que lors que le Soleil en reparant les cieux
Nous rend ce qui la nuict desroboit à nos yeux.
Mais encore ce pendant que dessus nostre sphaire,
En conduisant le jour son flambeau nous esclaire,
Je sens dedans mon sang en mes flames recuit
Les tourmens ennuyeux des peines de la nuict.
Ainsi serf des beaux yeux qui en mon ame luisent,
Tout m'est cause d'ennuy, toutes choses me nuisent,
Donc logeant bien souvent justement despité
Le murmure en la bouche, au cœur l'impiété,
Je double mon martyre, & d'une main bourrelle
Je veux oster la vie à mon ame immortelle :
Et n'estoit que je crains de blesser la beauté

Ciselee en mon coeur, je fendrois irrité
Ma poictrine innocente, & en ma derniere heure :
J'avancerois le temps ordonné que je meure :
Puis la peur d'offencer & perdre la douceur
De l'espoir que l'amour m'offre en tant de rigueur,
Vient arrester ma main, & veut qu'encor je vive
Pour servir la beauté dont mon ame captive
Espere son bonheur, attendant que le sort
Me presente mon bien, & que dessous l'effort
Des effaits du trespas toute ma peine cesse,
Et que perdant le jour je perde ma tristesse,
S'il est vray qu'en la mort jouissant de la paix
Qu'on pense estre là bas, on ne ressent jamais
Les flammes de l'amour : mais qui le pourroit croire,
Veu qu'esteindre on ne peut de l'amour la memoire.
Hé que feray-je donc ce pendant que vivant
Sous les forces d’amour vainement poursuivant
Une fortune aveugle, iray-je loing du monde
Joindre avec tant de maux une peine seconde ?
Non ! car les cieux des bois, ni les vastes deserts
Ne destournent le soing ni les pensers divers
Qu'on couve dans le sang, que me faut-il donc faire
Pour me rendre propice un destin si contraire,
Pour à tant de douleurs trouver allegement,
Pour destourner l'horreur de mon cruel tourment ?
Il ne faut point fuir, il ne faut miserable
Chercher des lieux cachez l'effroy espouvantable,
Il faut chercher les yeux, la beauté, les cheveux
Dont les chastes rayons & la force & les nœuds,
Ont tiré & contraint, & doucement lassee,
Par feux, attraits, liens, l’œil le cœur la pensee.

ELEGIE. III.

 


Mon ame languissait, & d'une longue aleine,
Par mes tristes soupirs, j'allegeois en ma peine
Mon eternel regret, & logeois en mes os
Les soucis importuns qui m'ostoyent le repos.
Tout m'estoit desplaisant & ma gesne cruelle
Me pressoit sous l'horreur de sa force mortelle,
Tandis que loin de vous, je n'ay eu en mon cœur,
Que peine, que souci, que travail, que mal-heur,
Tout m'estoit desplaisant, & durant mon dommage,
Je ne couvois que peur & perte en mon courage,
Car une froide crainte espandue dans moy
Compagne de l'amour redouble mon esmoy,
Et taschant d'arracher l'esperance meilleure
Qui plantee en mon sang, garde que je ne meure.
Las tout m'estoit fascheux, la clarté du Soleil
Nuisoit par votre absence au cristal de mon œil,
Et des obscures nuicts l'horreur espouvantable
Martyroit encor plus mon esprit miserable,
Les moments m'estoient ans, & en mon triste sort
Je n'avois devant moi que l'effroy de la mort :
Et combien que le temps de ma peine fascheuse
N'ait longuement pressé ma vie langoureuse,
Si n'ay-je pas laissé d'estre cruellement
Travaillé en mon cœur de mal & de tourment.
Car les mois ni les ans ne sont par la mesure
Des effets de l'esprit qui n'est de leur nature,
Il mesure ses maux, & ses contentements,
Non par ages tournans, par siecles ou momens,
Mais selon la douleur de son cruel martyre,
Ou selon la douceur d'un bon heur qu'il desire.
Je veux donc maintenant apres les longs souspirs,
Battans encor l'air sur l'aile des Zephirs,

Tirez de mes poumons tandis qu’en vostre absence
Je tesmoignois l’effect de mon impatience,
Prendre autant de plaisir que mon cœur a porté
D’ennuis dessous le mal donc estant agité
Sans cesse il se plaignoit, & n’avoir de ma vie
Autre bien, autre espoir, autre soin, autre envie.


XXXVII.


Pour quel forfait me faut-il recevoir
Tant de tourmens que nuict & jour j’endure,
O Jupiter ressentant la blessure
Du mesme amour, qui dompte ton pouvoir :

M’as tu jamais veu de au cœur concevoir
L’inchaste amour de la pensee impure,
De cestuy là qui sans grace future,
Se suit, & fuit hoste du monde noir.

O beauté sainte, ô déité Cyprine
Si c’est forfaire à la grandeur divine,
Que vous servi, pourquoy vont ont les dieux ?

Et toy Jupin si tu es Dieu toy mesme,
D’où vient cela que souvent ton cœur aime
Le vain abus qui captive nos yeux.

ODE.



Sous le mal qui me martyre
Je souspire
Comblé de peine & douleur.
Sans avoir en ma constance
Esperance,

Je me perds je me ruine,
Je me mine,
En mes eternels ennuis.


Des le temps qu'Aurore esclaire
Nostre sphere,
Jusques à l'obscur des nuicts.

Le mal mont est ma pensee
Opressee,
Me vient du sujet divin.
Que j'avois trop temeraire,
Ose faire,
Le seul but de mon destin.

Celle que j'aime & honore,
Que j’adore,
D'un cœur trop devotieux.
Voyant mon ame estre à elle
Trop cruelle,
L'a meurtrie par ses yeux.

Ainsi en ma peine extresme
Ce que j'aime,
M'accable sous mon tourment :
Et du lieu dont seul j'espere,
La misere
Me poursuit incessamment.

Helas ! si tu as ennui
Sur ma vie,
Je te supply dis le moy.
Affin que hastant mon heure
Je me meure,
Mettant fin à mon esmoy.

Si ma foy devotieuse
T'est fascheuse,
Ne me tiens plus en suspens :
Dy moy ma douce esperance,
La sentence
Du jugement que j'attens.


Si tu veux que je te laisse
O Maistresse,
Tien, affile ce cousteau,
Ouvre ma triste poictrine
Et termine
Mon malheur par le tombeau,

Mais helas ! de quelle rage,
Mon courage
Est dedans moy agité,
Las ! se pourroit-il bien faire
Que contraire
Fuy à soy une beauté.

Pardonne moy je te prie,
Car l'envie
Qui me force à t'obeir,
Fait qu'en toy je veille vivre
Et te suivre
Pour aussi en toy mourir.

Et si jamais de ton ame
Ceste flame
Qui nous brusle doucement,
Chassa l'humeur desdaigneuse,
Sois piteuse
Aux souspirs de ton amant.

Et si ton ame meurtriere
N'est trop fiere,
Ayes-en quelque pitié,
Sinon au mal qui me tue
Continue,
Pour fruict de mon amitié.

Sois moy benigne, ou rebelle,
Sois cruelle,
Ou douce dessus mon cœur,

Tant que l'ame me delaisse,
Ma Deesse,
Je te seray serviteur.


ODE.



Par mille coups mortels
Je sens perir mon ame martyree,
Au sang & à la mort elle cherche irritee
Ses malheurs eternels.

Je peris malheureux
Dessous l'horreur du mal qui me pourchasse,
Et vay suivant nuict & jour à la trasse
Mon tourment langoureux.

Las ! que le beau flambeau
Qui de nos jours honore la lumiere,
N'avance tost la journee derniere
Qui m'attend au flambeau.

Pourquoy le fier destin
Ne marque encore le terme de ma peine
Puis qu'il me faut sous ma cruelle gesne
Voir ma piteuse fin.

Puis qu'un Ciel irrité
De jour en jour à mes malheurs s'empire,
Je veux soudain terminant mon martyre,
Me tuer despité,

Mais le Ciel ne veut pas,
Que par ma mort, je force l'adventure,
Il veut helas ! que mal-heureux j'endure
Attendant le trespas.

Que mort, que soin, qu'horreur,
Travaille donc mon ame desdaignee,
Puis qu'elle attend ma triste destinee

Comblee de mal-heur.


XXXVIII.



Mon esprit occupé de trop de passion
S'eslongne de mon sang & vers vous se retire,
Qui fait qu'en ma douleur ores que je souspire
Je ne puis expliquer ma juste affection.

Voulant monstrer l'effect de la devotion
Que j'ay au beau sujet que bien-heureux j'admire
Delaissé de mon ame, helas ! presque j'expire
Dessous la cruauté de mon affliction.

Helas ! vous qui tenez les liens de ma vie
Si vous l'aimez en moy souffrez que je supplie
Que j'en puisse jouyr vous estant serviteur.

Je ne demande point que libre elle vous laisse,
Mais que me permettant vous tenir pour maistresse
Vous la gardiez en vous la prestant à mon mon cœur.


Affin de vous monstrer que je vous suis fidele,
Et qu'eternellement je vous garde en mon cœur,
Je tire ces souspors tesmoins en ma douleur
Que je vous suis tres-humble, & vous m'estes cruelle.


XXXIX.


Affligé par l'ennuy qui tourmente ma vie
Je me plains du travail qui ruine mon coeur,
Et sans pouvoir trouver relasche en ma douleur,
Sous mon injuste sort ma force est affoiblie.

Mon ame en mon regret est presque defaillie,
Et mon sang peu à peu s'exale par mon pleur,
Tandis que je languis dessous l'heureux mal-heur
Qui fait que je benis la mort que j'ay choisie.

Ha ! j'exprire desja, & les derniers souspirs
De mes poumons lassez avecques les Zephirs
S'envolant doucement, mon esprit m'abandonne.


Ainsi je meurs heureux & revifs pour mourir :
Car l’œil qui m'a frappé me vient soudain guarir,
En m'ostant une vie, une autre il me redonne.

XL.


De mes humbles souspirs je benis l'abondance,
Et de mes tristes yeux j'advoüe le devoir,
Je veux que ce qui tient en moy quelque pouvoir,
Tesmoigne la douleur du doux mal qui meslance.

Je me veux bien-heureux perdre en la souvenance
De mes chastes desirs, & jamais ne me voir
Libre de mes passions, mais à tousjours avoir
D'amour les traicts cruels en mon cœur sans defence.

La peine que me donne un mal si aggreable,
Me rendant or' constant & ores miserable
Fait que dedans mon feu il me plaist de perir.

Que j'y trespasse donc, las non ! mais que mon ame
S'esteinde & puis s'allume aux rayons de ma flame,
Car j'y veux vivre encore pour encor y mourir.


XLI.


Las ! vous m'estes cruelle, & si ne l'estes pas,
Las ! vous me desdaignez, & si m'estes piteuse :
Ainsi par deux moyens mon ame langoureuse
Trouve la vie en vous, & en vous le trespas.

De contraires effects les eternels debats
M'agittent és tourmens de ma peine ennuyeuse,
Et d'un mesme sujet ma fortune douteuse
Me tallonne en bon heur, & malheur pas à pas.

Ha ! que mon cœur en moy sent de fœlicité
Par les heureux effects de la diversité,
Dont vous le conduisez, sous vostre obeissance.

Poursuivez de la sorte, & pour me rendre heureux
Sous le voile discret d'un amour rigoureux,
Aimez moy pour loyer de ma perseverance.

XLII.


Quand premier je vous vy, je n'osay entreprendre
De regarder vos yeux tant j'y vey de beauté,
Mon esprit fut surpris, & encore indomté
Ne sçavoit quel chemin pour aimer falloit prendre.

Vous le congneustes bien, lors vous me vintes tendre
Mille rets amoureux, & de vostre clarté
Reluisant en mon cœur, le fistes arresté,
Propre pour vous offrir les vœux qu'il vous veut rendre.

A l'instant tous les biens que nous donnent les Cieux
Se glisserent en moy, par les rays de vos yeux,
Et me firent heureux pour vous tenir maistresse :

Aussi tost je voulus pour vous vivre & mourir,
Et tirant mes esprits de leur morne paresse
Rechercher tout moyen de vous pouvoir servir.

XLIII.


Ceste legere main, qui comme negligente
Chet en ne rencontrant, ce soubs-ris r'adouci,
Ce petit œil larron, ce doux parler aussi,
Sont la cause du mal qui heureux me tourmente.

Ceste main prend mon ame, & ce doux ris l'enchante
Cest œil rempli d'attraits, y loge le souci,
Ce parler pousse l'air qui dans mon cœur transi
Esmeut les chauds glaçons de ma froideur ardente.

Je meurs quand ceste main me redonne la vie,
Tué par ce doux ris j'ay de revivre envie,
Et mourant par cest œil, je vy par ce parler.

Ainsi tant doucement ils forcent mon courage,
D'une amere douceur, d'un bien plain de dommage
Qu'il me plaist, pris charmé tout en soucis brusler.

XLIIII.


Amour est une rage un malheur qui attire,

Tout malheur apres soy, un soin, une fureur,
Un tourment sans relasche, une cruelle ardeur
Au courage captif qui sous ses loix souspire.

Tous ceux qui forcenez il tient sous son empire,
Consumant peu à peu, & leur sang & leur cœur,
Sous ses mortels effects leur fait sentir l'horreur
Des dernieres rigueurs dont la mort nous martire.

De feux & de souspirs, il perd les langoureux,
Les reduisant en rien tandis que malheureux
Et le Ciel, & le sort, & leur peine ils maudissent.

Ainsi dedans le feu se consomme le bois,
Ainsi parmy les airs s'esvanouit la voix,
Et ainsi à la fin toutes choses perissent.

XLV.


Vous aymerai-je encor, non c'est assez aimé,
Plus j'aime & de tant plus j'afflige mon courage :
Mais helas ! sans aimer comme une froide image
J'errerois icy bas vainement animé.

Je veux donc vous aimer, & encor enflammé
Resentir dedans moy mon amoureux dommage :
Mais helas ! en aimant je voy passer mon aage
Et s'esteindre aussitost qu'un festu allumé.

Que je n'aime donc plus, & qu'heureux de ma vie
Je ne sente le mal qui la tient asservie
Sous l’incertain espoir d'un vain contentement.

Mais l'amour est si doux & si doux mon martire,
Et mon cœur tant à vous, que plustost je desire
Pour tousjours vous aimer, vivre eternellement.

XLVI.


Si le destin le veut j'auray pour recompense
De ma fidelité, un jour ton amitié,
Si amour le permet une douce pitié
Te fera recognoistre une fois ma constance.


Si du Ciel y eschet l'equitable ordonnance
Tu m'auras comme a toy de tout temps dedié,
Si fortune y consent, l'un & l'autre moitié
Nous ferons de nos cœurs eternelle alliance.

Le destin est ton œil qui a forcé mon ame,
L'amour est le doux feu dont ta beauté m'enflamme
Le Ciel est ta vertu, fortune ton vouloir.

Le destin, & l'amour, le Ciel, & la fortune,
Sont de toy, & par toy auront force commune,
Si tu veux à mon bien conduire ton pouvoir.

XLVII.


Voulez-vous estre aimee, il faut que vous aymiez
Mais vous ne voulez pas, dites vous, estre aymee,
Vous dites qu'aussi bien ne fut onq' enflamee
Vostre ame pour amour, dont peu vous souciez.

Ne dites pas cela de peur que ne sentiez
Sa force contre vous une fois animee :
Car lors par cent brasiers dans le cœur allumee
Il feroit qu'à tousjours sans repos vous vivriez.

Aimez, ou permettez que vos yeux on adore,
Ne chassez point l'amour : mais souffrez qu'on honore
Sous vos perfections sa grande deité :

Croyez moy je vous pri', que c'est peu d'estre belle,
Si d'amour on ne sent quelque douce estincelle,
Fut-on la beauté mesme, on n'a point de beauté.

XLVIII.


Le Ciel & la beauté dessus tout ont puissance,
Le Ciel fait comme il veut de vostre volonté,
De mesme vous rangez dessous vostre beauté
Ceux qui vivront heureux en vostre obeissance.

Le Ciel peut dessus tout par sa juste influence,
La beauté peut sur tout par la fatalité,
L'influence & le sort sont un poinct arresté

En la loy de ce tout d'une mesme ordonnance.

Ainsi d'un mesme sort le Ciel vous destina
Pour estre ma maistresse, & le mesme ordonna
Que pour vostre beauté un jour je vous servisse.

Il nous faut obeir humbles à leur grandeur,
Soyez moy donc maistresse, & benigne & propice,
Et vous m'aurez fidele & loyal serviteur.

XLIX.


Quand je touche vos mains, & que l'extreme bord
De ma levre les joinct, de tant d'air se ravie,
Mon ame sort de moy, & me laissant sans vie
M'abandonne au doux mal d'une agreable mort.

Las ! presque je peris, & sous mon dernier sort
Je cognois peu à peu que mon ame affoiblie
Pour vivre en vous aimant, heureusement s'oublie,
En l'objet qui me tue en son doux foible effort.

Ha je meurs ! ha je vis ! ha je vis ! ha je meurs,
En un mesme moment je sens mille douleurs,
Et autant de plaisirs : se jouer de mon ame :

Je me brusle & je gelle, & constant non constant
J'espere & desespere, & toutesfois content
J'adore vos beautez, & je benis ma flame.


L.


Que ne permettez vous que je meure, mon cœur,
Lors que baisant vos mains la vie me delaisse ?
Que ne permettez vous que le mal qui me presse
Par l'objet de mon bien n'use de sa rigueur ?

Las ! pourquoy doucement souffrez vous que l'humeur
Dont je vis par vos yeux augmente, ma Deesse ?
Hé que ne voulez vous pour finir ma tristesse
Que je meure au moment que j'ay tant de bon heur ?

Deussay-je en tel instant arrester ma fortune,
Et vivant avec vous d'une amitié commune

­

Faire de tous mes ans un eternel moment.

Car baisant ceste main qui doucement me lie,
Je sens plus de plaisir que n'en donne la vie,
D'autant qu'elle n'est rien sans le contentement.

ODE


Mon cruel martyre s'apaise,
Belle mains, lors que je vous baise :
Car en vous baisant tout pasmé
Mon coeur en pardant une vie
Aussi tost à l'autre ravie
Dont par vous je suis animé.


ODE


Par mille souspirs heureux
Je tesmoigne langoureux,
L'ardeur de la douce flame
Qui me brusle jusqu'à l'ame.
Mon cœur en un si beau feu
Se consomme peu à peu,
Et d'amour toute ravie
S'exale preqque ma vie.
Ma langue ne peut parler
Mes cris se perdent en l'air,
Lors que doucement me blesse
Le bel œil de ma maistresse.
Mes yeux ne veulent plus rien
Recongnoistre que le bien
Dont ceste parfaicte Idee
Par eux revient ma pensee.
Aussi tout esmeu je suis

Transporté de maints ennuis,
Qui occupant mon courage
Mon font aimer mon dommage.
Benit soit donc le destin,
Qui me fera voir ma fin,
Sous l'agreable martyre
Qui fait qu'heureux je souspire.


Au premier jour de May.


Tandis que l'amour me presse
Vous dormez chere maistresse,
Durant la douce frescheur,
Et moy durant mon martyre
Parmy ces bois je souspire
Me perdant en mon erreur.
Par ces bois je me promeine,
Cherchant remede à ma peine,
Mais je n'en sçaurois trouver :
Aussi n'y a-il remede
Auquel le mal d'amour cede,
Car icy tout veut aimer.
Donc au mal qui me tourmente
Je ne veux rechercher plante
Ny fleur pour ma guarisson,
Vostre seule bonne grace
Est le bonheur qui efface
Le mal de ma passion.
Mais las ! vous dormez, ma vie,
Tandis qu'une douce envie,
Me pousse à vous faire voir
Durant ma perserverance,
Avec quelle obeissance

Je veux faire mon devoir.
Selon la belle coustume
De ceux que l'amour allume
Se son plus chaste brasier,
Ce beau May je vous presente,
Que devotieux je plante
Pres les fleurs de ce verger.
Croyez que comme se dresse
Sa tige au Ciel ma Deesse
Mon amour est tout divin,
Et comme ceste journee
Elle vous est ordonnee,
Vous conduisez mon destin.

SONNET AUX DAMES.


Voicy le mois de May, vous belles qui en l'ame
Portez un beau desir, ne dormez si long temps,
Jouissez des douceurs que l'on cueil' au prin-temps
Et souffrez que l'amour doucement vous enflame.

Si tandis que tirans de vos beaux jours la trame
Vous desirez jouir de vos esprits contens,
Il faut par ce beau feu qui r allume nos ans,
De vos jours incertains entretenir la flame.

Hé vous dormez encor ! si vous n'avez envie
De passer le sommeil qui destruit vostre vie,
Pour sacrer à l'amour vos chastes volontez,

Belles, à tout le moins recevez ceste plante,
Et de chacun de nous le cœur qu'il vous presente
Pour le sacrifier à vos divinitez.

ODE.


Courant fortune tousjours,

Tant que je pourray attendre,
Dessous ma pudique cendre,
Je celleray mes amours.
Si doux m'ont esté les yeux
Desquels mon ame est ravie,
Que je ne veux de ma vie
Chercher autre-part mon mieux.
Je couveray doucement
Respirant sans rien en dire
La douceur de mon martyre,
Que me blesse heureusement.
Je veux garder dedans moy
Pour vous ma chere Deesse,
Le plaisir & la tristesse,
Vostre amitié & ma foy.
Cependant en mon erreur
M'asseurant de ma fortune,
Dessous une heure opportune
Je trouveray mon bon heur.
Alors je vous feray voir,
Apres ma perseverance
Avec toute obeissance
Les effects de mon devoir.
Gardez moy donc quelque peu
De credit en vostre grace,
Et fondez toute la glace,
Qui empeschoit mon feu.
Quant à moy je ne vivray,
Quoy que de vous il advienne,
Que mon cœur ne se souvienne
De l’œil que je serviray.
Ceste bouche me sera
Tousjours pour saincte prophete,

Et ce beau front la tablette,
Où mon destin s'escrira.
Ces cheveux seront l'accord
Du lien de l'harmonie,
Qui tient l'heure definie
De ma vie & de ma mort.
Ceste main qui dans mon cœur
Du doigt me vient toucher l'ame,
Sera le feu qui enflame
En moy ma plus saincte ardeur.
Ainsi mes douces amours,
Chauffant ma plus chaste cendre,
En vous me feront attendre
Les plus heureux de mes jours.

ELEGIE. IIII.


Mille tristes recrets occupent ma pensee,
De souspirs infinis mon ame est oppressee
Je me sens assailly d'un estrange malheur,
Je ne voy pres de moy que perte, que douleur,
Que sang, que mort, qu'horreur, que misere, que peine,
Et d'un long desespoir mon courage je gesne,
Tant que d'un noir manteau s'obscurcissent les cieux,
Mille torrens de pleurs je tire de mes yeux,
Et ne pensant qu'en vous seule je vous honore
Dés le poinct du matin jusques à l'autre aurore,
Toutesfois je peris & je n'ay languissant
Personne à qui conter le mal qui me pressant
M'outrage nuit & jour, que vous chere maistresse,
Qui cognoissez assez ma peine & ma tristesse :
Si mes pleurs ont tant peu que vous touchant au cœur
Ils vous ayent monstré de mes flammes l'ardeur,

Mais helas ! dedans moy mon malheureux dommage
S'agrave tellement, que je n'ay pas courage
Quand je suis avec vous, de vous dire comment
Je suis de jour en jour pressé de mon tourment,
De sorte qu'aussi tost que ma bouche est ouverte
Pour vous conter l'erreur qui cause de ma perte
A fait que bien heureux, en vous me retrouvant,
Je suis bien fortuné, un miserable amant,
La parole me faut, & ne vous sçaurois dire
Ni mon bien, ni mon mal, ni ce que je desire,
Et en parlant à vous, je ne puis exprimer
Tant mon cœur est surpris, ce qui me fait aimer,
Mais eslongné de vous, j'ay l'ame audacieuse,
A mille beaux desseins elle est advantureuse,
Elle me fait parler, & d'un propre discours
Vous faire le récit de mes humbles amours,
Vray signe de respect, à qui couve en son ame
Comme moy, les brasiers d'une pudique flame,
Et marque à quelques uns de n'avoir encor' veu
Ce qui est en amour des plus accorts cogneu :
En esprit je vous voy, à vous je me presente,
Hardi & plain de cœur, la fortune je tente,
J'ordonne mes raisons, vous descouvrant mon cœur
Et heureux & discret j'euse de ma valeur,
Je vous dy mon secret, je vous dy ma pensee,
Mon souci, mon desir, & quelle destinee
Je veux suivre en aimant s'il vous vient à plaisir
Pour fruict de mes travaux serviteur me choisir.
Je vous promets beaucoup & fidelle je jure
D'essayer vous aimant toute estrange advanture.
Voila comme à part moy je basti mes dessins
Tandis que vous plus sage ordonnés mes destins.
Or parlons librement, dites moy je vous prie,

Avez vous quelque soing pour le moins de ma vie ?
Ne cognoissez vous point que trop de passion
M'empesche d'exprimer de quelle affection
Serf de vostre beauté, vostre vertu j'honore,
Sert de vostre vertu, vostre beauté j'adore,
Si vous ne le sçavez, las ! vous me faites tort,
Et sans avoir failli vous me donnez la mort,
Et je mourray content, pourveu que quand ma vie
Se sera de mon sang à la fin de partie,
Vous sçachiez que pour vous j'ay porté dans mon cœur
Le martyre d'amour, sa force et sa rigueur,
Et encor plus heureux j'esteindray ma lumiere,
Si devant que tomber sous mon heure derniere
Je suis seur qu'une fois esmeuë de pitié
Vous avez recognu ma fidelle amitié.
Hé ne pensez vous point, mon cœur que l'on ne trouve
Un grand contentement, si aimant qu'on esprouve
Un reciproque amour, puis qu'avec le tourment
On prent avec l'amour la mort bien doucement ?
Y a-il rien meilleur en ce monde que vivre ?
T a-il rien plus doux en la terre que suivre
Les plaisirs de l'amour ? & est-il rien plus beau
Qu'avec contentement tomber sous le tombeau.
Vivons donq' & aimons, & cheans sous la lame
D'un eternel amour accompagnons nostre ame,
Aimons nous en vivant aimant ensemblement :
Car il n'est pas assez que couver doucement
L'amour dedans son cœur, il faut que si on aime
On use pitié tout premier à soy-mesme,
Et puis à cestuy-là qui par ses doux souspirs
Aura monstré le but de ses chastes desirs.
L'amour n'est point amour, ce n'est rien qu'une rage
Si en aimant on n'a un semblable courage,

Et ce n'est point amour ce que l'on nomme ainsi,
Si on porte en son sang un doux poignant soucy
Pour un autre qui n'a de passion semblable,
Dans le centre du cœur, le desir agreable.
Tout ce qui est ça bas accompli l'est par deux,
Par doublee unité tout ce dit bienheureux,
Tout ce qui en ce monde a quelque subsistance,
Est de deux pour estre un d'une parfaite essence,
Mesme l'esprit est deux conjoint à l'intellect,
Par deux unis en un l'univers est parfaict.
C'est ceci, mon soleil, c'est ceci qui me tue,
C'est ceci qui dans moy rend mon ame esperdue,
C'est ce qui tirannise & deschire mon cœur,
Qui cause mon bon heur, qui cause mon malheur :
Mon bon heur pour autant que d'une belle envie
Vvivant en vous aymant je vous tiens pour ma vie :
Mon amlheur, pour autant que des que je fus né
Pour ne meriter rien j'ay esté destiné.
C'est ce qui dedans moy sans cesse me tourmente
Et ce qui mon tourment journellement augmente,
Car si jamais amant fut plain de loyauté,
Nul plus que je le suis encores n'a esté,
Et si des traits d'amour ame fut onq' atteinte,
Si sous sa cruauté ame a esté contrainte,
La mienne l'a esté & encore le sera,
Tant que d'un doux souspir mon cœur s'allegera.
Ha ciel ! que n'as tu fait qu'au jour de ma naissance
Heureusement poussé d'une juste influence,
Je n'ay esté assez, pour celle à qui je veux
Donner le saint devoir de mes plus humbles vœux,
Ou bien si tu voulois qu'une fois je la visse,
M'estant en un moment & contraire & propice,
Si tost que son bel œil eut le mien allumé,

Si tost que sa beauté eut mon cœur enflammé,
Que ne m'as-tu perdu pour finir l'avanture
Du malheur eternel, que sans cause j'endure ?
Que ne m'as-tu permis, en voyant son bel œil
De mourir par les feux de si heureux soleil ?
Car aise maintenant onmbre legere & belle,
Sans peine & sans soucy, en la paix eternelle
J'errerois, ou tousjours les esprits amoureux,
Vivans contans d'amour reposent bien heureux.
Mais en quel vain desir suis je entré, ma Deesse,
Non, non je ne croy pas qu'en l'infernale presse
Des esprits de la bas, on resente l'amour
Si long temps on ne l'a practiqué en ce jour,
Et si d'un beau soucy pour les yeux de sa dame
En mille heureuses parts ou a parti son ame,
Car apres un long temps si on a bien aymé,
On est de mesme feu hors du monde allumé :
Fuye donque de moy tout enny, toute crainte,
Car tant que d'un beau soin j'auray mon ame atteinte,
J'adoreray cest œil, qui me fait vivre icy,
Je beniray l'objet cause de mon soucy,
Et tant qu'en mes poumons je rentiendray ma vie,
J'adoreray les yeux de ma chere ennemie.
Soit que d'un long travail sans oser esperer
Il me faille en tourment ma misere tirer,
Ou que sans esperer faveur de ma maistresse
Je porte incessamment dans mon cœur ma tristesse,
Je l'aymeray vivant, en l'aimant je vivray,
Je l'aymeray mourant, en l'aimant je mourray.
Voila, mon cher soucy, ce que je vous puis dire :
Et ce que veut amour que pres vous je souspire,
Mais lisez en mon cœur, vous verrez encor mieux,

Et mes justes desirs, & les traits de vos yeux,
Qui allumans en moy de leur flamme divine
Les plus chastes brasiers, eschauffent ma poitrine,
Et mon sang & mon cœur, me faisant respirer
Pour heureux à jamais vous servir, admirer,
Honorer, rechercher, estimer, & eslire
Pour le bien heureux but où mon destin me tire.
Si donq' quelque douceur vous a esmeu le cœur,
Touchee de pitié appaisez ma douleur,
Et alors mon malheur mal langueur & ma peine,
Mon ennuy, mon travail, mon souci & ma gesne
Seront tout mon bon heur, & si je suis aimé,
Quand par mille malheurs je serois consumé,
Quand suivi de danger je fuirois la fortune,
Quand je serois pressé d’une mort importune,
Quand ce qu’on a songé d’espouvantable à bas,
Sans cesser me courroit jusqu’au poinct du trespas
Si seray-je content, puis que la recompense
Me suivroit de si pres en ma douce esperance.
Mais attendant qu’un jour favorable à tous deux
Faisans de beaux discours, aimez & amoureux
Nous puissions par effait d’un amour veritable
Sentant heureusement ce qui plus agreable
Peut forcer nos desirs, & contenter nos cœurs,
Apprehender en nous de l’amour les douceurs,
Prenez mon cœur, Madame, & regardez soigneuse,
Et par telle faveur rendez ma vie heureuse


ODE.



L’Amour dont je tiens la vie
N’est que la mesme douceur
Qui par le ciel recueillie

Se loge autour de mon cœur.

Ceux qui pressez de paresse
Ne sçavent que c'est d'aimer,
S'il voyoient l’œil qui me blesse
Il viendroyent s'y consumer.

S'il avoyent senti sa flame
Qui les feroit vivre heureux,
Ils hazarderoyent leur ame
En ces flambeaux amoureux.

Car ceste flame divine
Conduit à l'eternité,
Quiconque dans sa poitrine
Fait place à sa deité.

Sa beauté n'est pas semblable
A l'apparence d'embas,
Qui rend le cœur miserable
Sujet à mille trespas.

Sa force n'est point martyre
Et jamais ne le sera,
Car qui pour elle souspire
Heureux & content vivra.

S'elle monstre quelque peine
La douleur n'en sera rien
Car une si douce gesne
Est cause de plus grand bien.

Si je puis donc tout mon aage

Vivre sans me repentir,
Et sans changer de courage,
J'auray plaisir à mourir.
Beni soit donq le moment
Que je mourray en l'aymant.


ODE


Sous le fers de l'heureux servage
De ma douce captivité,
Usant le meilleur de mon aagen
Je meurs sous vostre cruauté.

Vous sçavez bien de quelle sorte
Mon cœur est au vostre lié,
Mais pour l'amour que je vous porte,
Vous mesprisez mon amitié.

Pour la derniere recompense
De l'humble effait de mon devoir,
Riant de ma perseverance
Faites semblant de n'en rien voir.

Ores que vous tenez sujette
Mon ame dessous vos beautez,
Usant d'une sainte discrette,
Vous perdez mes fidelitez.

Si vous en usez d'avantage,
En m'esprouveant vous me romprez,
Et faisant changer mon courage,
A la parfin vous me perdrez.

ODE, AU BLEU.


Belle couleur azuree,
Couleur de tous admiree,
Fille de l'eternité,
Couleur, aymee des belles,
Et qui aux cœurs plus fidelles,
Es marques de loyauté.

Comme le grand ciel s'honore
De toy couleur que j'adore,
Pour l'amour d'une beauté,
Aussi la celeste flame
Qui s'attise dans mon ame,
Est toute divinité.

Jamais le ciel ne se change,
Il ne reçoit le meslange
De terre, d'eau, d'air, de feu :
Son ordonnance est tresseure
Et tousjours loyal demeure,
Aussi se vest il de bleu.

Il a la couleur premiere
Que fit naistre la lumiere,
De tant de belles couleurs :
Et la passion plus belle
Par la loyauté fidelle
Touche les plus chastes cœurs.

Comme par les bleuës nuës
Se trouvent les avenuës
Pour au ciel se transporter :

La loyauté est l'adresse
Pour avoir de sa maistresse
Ce que l'on veut meriter.

Du ciel en terre est tombee
Ceste couleur imitee
Pour loyauté seulement :
Aussi celeste & divine,
Es cœurs aimans chastement.

Comme l'essence ætheree
D'une eternelle duree
Reçoit du bleu son honneur,
Ceux qui ont toute leur vie
De perseverer envie,
Aimant du ciel la couleur.

Sois doncques tousjours cherie
Par celle qui tient ma vie
Captive sous ses beaux yeux,
Accompagnant ma Desse
Aussi long temps en jeunesse
Que tu te tiendras aux cieux.


ODE.


Comme l'an se renouvelle
Ceste amoureuse estincelle
Qu'allumant en moy vos yeux,
S'excite en plus grande flame
Au plus beau lieu de mon ame,
Et la font esperer mieux.


Mon cœur qui n'a autre vie,
Que celle qu'il a ravie
Des feux de vostre beauté,
Seur d'une amour nouvellle
Vous jure amour eternelle,
En toute fidelité.

Permettez luy donc de vivre,
Au desir qu'il veut poursuivre,
Tant que la loy de mon sort
Qui tient en vous arrestee
L'heure de ma destinee,
Marque l'instant de la mort.


LII.


Par un heureux destin, m'estant en mon bonheur
Rendu serf sous les loix de vostre obeissance,
J'ay veu l'effait certain de ma juste esperance,
Alleger mes soucis au fort de ma douleur.

Sans peser mon merite, ains cognoissant l'ardeur
De mon affection gage de l'asseurance
Que j'ay de mon bon heur, gardant vostre puissance
Sur moy vous m'avez fait place dans vostre cœur.

Continuez madame, & croyez je vous prie
Que mon ame plustost se privera de vie
Que me faire changer en rien ma loyauté :

Car tant que dans mon cœur se tiendra enfermee
Ma vie, vostre image y sera imprimee,
Par la devotion de ma fidelité.


LIII.


Vous m'avez pris mon cœur, rendez le moy madame
Hé ! quoy que vous feignez, je ne me mocque pas :
Voyez comme affoibly des forces du trespas
Glissees en mon sang, pres de vous je me pasme.


Vrayment vos avez tort & faut que je vous blasme
Puis qu’ainsi vous trompez par vos meilleurs appas,
Rendez moy donc mon coeur, laissons ces vains debas,
He redonnez le moy pour retenir mon ame.

Helas ! c’est fait de moy puis que sans coeru je suis,
J’oubliray mes amours, madame, & les ennuis
Ou tant heureusement vous servant je m’oublie.

Mais las ! rendez le moy. Ha ! qu’il vous faut prier,
Rendez le moy, ou bien prenez moy tout entier,
Et me serrez au sein qui recelle ma vie.

ODE.


L’un le Mirthe veut avoir,
L’autre pour se faire voir
De ceux que Bacchus adorent
Au lierre veut courir,
Les autres veulent mourir
Pour la palme qu’ils honorent.

Celuy qui suit le mestier
De Pallas, veut le laurier
Pour le loyer de sa peine,
Moy qui ay l’amour au cœur
Je ne veux bien ny faveur,
Que vivre en l’ombre du Chesne.

Ombre que tousjours j’auray
Pour saint, tant que je vivray
L’aymant d’une douce envie,
Car le tige bien heureux
Qui m’en fait tant desireux
Est la source de ma vie.


En l'honneur de la beauté
Qui de ma captivité
A causé le doux servage,
Je desire qu'a tousjours
Je puisse passer mes jours,
Sous l'honneur de son ombrage.

Cependant devotieux
Plain d'un soucy curieux,
J'en arrouseray la plante,
La portant au ciel vouté,
Pour vivre en l'eternité,
Par les vers que je luy chante.


ODE.


Tandis qu'en peine & douleur
Dans mon cœur
Je supporte le martire
Qui en mon soin amoureux,
Langoureux,
Fait que mon mal je souspire.

Je voy en vostre beauté,
Arresté
Le destin qu'il me faut suyvre,
Et attendant le trespas
Icy bas,
A vostre volonté vivre.

Pour vous seule destiné
Je suis né :
Recevez-moy donc madame,

Souffrant que devotieux
De vos yeux,
Je me respire mon ame.

Je suis vostre, gardez moy
Sur la foy,
Qu'eternelle je vous jure,
Et si je vous suis menteur,
En rigueur,
Tuez moy comme parjure.

Voyez vous pas qu'il n'est bien
Que le sien,
Que mieux au monde on cognoisse :
Puis donc que vostre m'avez,
Vous sçavez
Si je ments en ma promesse.

Pour jamais vostre je suis,
Et ne puis,
Quand je voudrois estre à autre,
Et mon cœur vous dit toujours
Mes amours,
Je suis vostre, je suis vostre.

Mais ores que vous m'avez,
Et sçavez,
Dessus moy vostre puissance,
Vostre œil se feint inhumain,
Mais en vain,
Pour esprouver ma constance.

Depuis que vous avez sceu,
Et cognu,

Que mon cœur vous est fidele
Esteindant de jour en jour,
Vostre amour,
Vous m’avez esté cruelle.

Soyez le si vous pouvez,
Et tenez,
Mon ame en rigueur extresme,
Vous ne pouvez par changer
Estranger
Le courage qui vous aime.


ODE.



Ce n’est point la cruauté,
Le desdain, ni la fierté,
Qu’en vos yeux on recognoisse,
Qui avec tant de malheur
M’enferme dedans mon cœur
Tant de peine & de tristesse.

Cest amour qui veut avoir
L’honneur de rendre devoir
Tout seul à vostre merite :
Moy je ne le veux souffrir,
Luy despit me fait mourir
Par les traits dont il m’irrite.


LIIII.



Quand parlant avec vous je respire la vie
De vos yeux mon Soleil, & d’un signal certain
Vous monstrez à mon cœur que vostre cœur humain,
Prend plaisir à l’ardeur dont mon ame est saisie.


Mon ame hors de moy heureusement ravie
Vit tandis que je meurs, & prise du bel hain
Qui tient à vos cheveux, je l'attens, mais en vain :
Car sans plus retourner, en vous elle s'oublie.

J'ay beau la r'appeller elle qui ne veut pas
Eslongner vos beautez, m'abandonne au trespas,
Et me fait desirer mon mal heur pour son aise.

Ainsi vivant en vous quand je suis mort en moy
Je desire à tousjours pourveu qu'il le vous plaise,
Suivre le bel arrest dont vous m'estes la loy.


LV.


Mon sang est tout gellé, je n'ay plus dans le cœur
De pouvoir pour encor entretenir ma vie,
Mes nerfs sont retirez, & je sens amortie,
La Vertu qui tenoit mes esprits en chaleur.

Mes os n'ont plus en eux cette aggreable humeur
Qui les entretenoit, & ma force est faillie,
De mon cerveau seché goutte à goutte est sortie
La douce humidité qui luy donnait vigueur.

Mes yeux ne servent plus à mon corps de lumiere,
Et je n'attens plus rien qu'en mon heure derniere,
La mort de mes poumons oste le mouvement :

Mais elle n'y peut rien, pour autant qu'en mon ame
Esclairent vos beaux yeux qui me sont vous aymant,
Sang, cœur, nerfs, vie, esprits, force, humeur, cerveau, flame.


ELEGIE. I.



Si vous avez au cœur autant de courtoisie
Que de douceur aux yeux, escoutez je vous prie
Comme par mes destins heureusement forcé,
Je fus pour vous aymer en vos lien poussé :

Et si quelque amitié vous a jamais atteinte,
Vous sçaurez comme moy mon ame fut contrainte
Se consumer pour vous des lors que j'eu conceu
Le doux feu qui m'estoit encores incongnu,
Et si vostre loisir vous permet de tout lire,
Vous verrez la douleur que pour vous je souspire.
Et le but où je tens pour me resoudre en fin,
Selon vostre vouloir à mon dernier destin.
Le ciel m'est vray tesmoin, que jamais de ma vie
Je n'avois resenti ceste aggreable envie
Qui me contraint aymer, & dans mon cœur transi
Pour quelque autre beauté loge quelque soucy.
Je vivois franc de soin, & d'un amour vulgaire
J'aymois comme chacun tout cela qui peut plaire,
S'il avenoit parfois que pour une beauté
Mon esprit faut dans moy doucemetn agitté,
Cela passoit soudain, & de ma fantasie
J'arrachoix aisement ceste belle follie :
Parfois je me plaignois, mais ceste passion
En la continuant se trouvoit fixion.
Je ne pouvois ancrer quoy que je le voulusse
Cest amour en mon cœur, & encor que j'y eusse
Pour quelque peu de temps, gravé quelque desir,
D'un autre aussi soudain je me sentois saisir,
Oubliant le premier pour faire à l'autre place
Selon que m'incitoit de mon objet la grace.
Je faisois tout ainsi que les filles du ciel,
Qui recueillent des fleurs la substance du miel,
Remarquant des beautez ce qui plus nous attire
Et qui les cœur aymans doux aigrement martire,
Et sans en reserver nulles impressions,
Par la comparaison de leurs perfections
Je me sentois contant, ne mettant d'avantage

Fors le devoir commun d’amour en mon courage.
Mais quand le sort voulut que je vy vos beautez,
Autrement que jamais mille divinitez
Agitterent mon coeur, & d’un mal non semblable
À mes premiers desirs, mais cruel agreable
Je me senti vaincu, & hors d’une froideur
Mon cœur estre alteré, & puis d’une chaleur
Aussi tost refroidi & sentis en ma playe,
Un mal qui n’est cognu qu’à celuy qui l’essaye.
Hé ! mon dieu que l’amour eut lors de force en moy,
Qu’il peut dessus mes sens, qu’il peut dessus ma foy,
De m’avoir tant changé que m’oubliant moy-mesme,
En tout autre amitié, seule mon cœur vous aime,
À l’heure de vous voir j’euz bien peu de loisir,
Et j’ay beaucoup de temps ores de desplaisir,
Seulement vos beaux yeux au premier m’apparurent,
Dont milles amours nouveaux en mes veines coururent
Mais les recognoissant lors je les desdaignois
En les admirant plus que je ne les cognois.
Un peu de temps apres la venerable Idee
De vos perfections fut en moy imprimee,
De sorte que dehors touché heureusement
Je n’euz plus dedans moy desir ni mouvement
Qui ne tendis à vous, & sentis en mon ame
Autrement que devant une divine flame
Qui ne receut adonc en cest effort premier,
Que les avancoureurs de mon chaste brasier.
Quand je m’en dus allé & que la nuict muette
Eut tiré en conseil ma pauvre ame seulette,
Las ! je sentis combien il me faudroit souffrir
Sous l’espoir incertain, qui or' me fait languir,
Sans me pouvoir resoudre, ains remettant ma vie
Au gré de la beauté qui la tient asservie,

Et retiendra encor tant que j’auray pouvoir
Mesmes apres la mort esprit de m'esmouvoir,
Mais dés cest heureux temps & que j'ose vous dire,
Ou de bouche ou par vers mon bien heureus martyre,
Ha ! que j'ay eu au cœur vray & fidele amant,
De soucy, de travail, de peine, de tourment,
Vous ne l'ignorez pas : car ma perseverance
Peut de mon juste amour vous donner cognoissance,
Si vous n'avez cruelle en la place du cœur,
D'un acier, d'un glaçon, la durté, la froideur,
Car depuis qu'au premier je vous voue ma vie
Vous estes a desdain d'estre de moy servie,
Vous monstrant assez douce, & d'asseurant d'avoir
Part en vostre amitié telle que peut avoir
Le serviteur fidele, & receutes facile
Les souspirs que j'avois arrestez sous le stile,
Qui par vostre faveur se rehaussant tousjours,
Vous a esté tesmoins de mes humbles amours.
La Lune ce pendant diversement rouante,
Par vingt & quatre fois en sa course inconstante
A marqué mesme point, qu'a vostre volonté
J'ose rendre en vos mains seve ma liberté,
Mené diversement sur l'incertain Neptune
Ou conduit par l'amour je vay courant fortune,
En mon divers destin, quelquefois bien heureux
Lors que je respirois d'un œil tout langoureux
Je ne puis dire quoy tant mon ame contente,
Se perd en ce plaisir, quelle se represente,
Puis aussi quelquefois malheureux quand le sort
Dessus mon pauvre cœur s'aigrissoit, mais à tort,
Et que de l'air heureux dont la vie il me donne
Il formoit le tourment dont la rigueur m'estonne,
Car vrayment vos beaux yeux m'ont jetté doucement

Une humeur, un esprit, une grace, un tourment,
Une aise, une fureur, un plaisir, une peine,
Qui en me contentant, doux-aigrement me gesne,
Selon le doux effait duquel vous balancez.
Affin de l'esprouver, mon cœur, que vous avez,
Qui tient de vous la vie & qui l'en a tenue,
En fait que je tiendray ma vie par ma veuë,
Ainsi est mon espoir par fois desesperé
J'ay en vous honorant diversement erré,
Et ayant eu ce bien de vous dire en partie
Les plus secrets desirs dont mon ame saisie
Se consumoit pour vous, seul je me retirois
Ou plain de passion mes souspirs je tirois
Hors de mon estomac, pour vous faire paroistre
Par ces pleurs mes tesmoins, ce que je vous veux estre,
Ainsi absent de vous, vous ayant seule au cœur
Je ne recherchois rien que vous rendre l'honneur
Que je dois à vous seule, & d'un destin propice
Le temps & le moyen de vous faire service.
Voila comme en mon mal je me suis arresté
En mon contentement tant qu'un sort irrité
Voulant qu'en vous aymant je fusse miserable,
Aigrissoit les douceurs de ma vie aggreable,
En me faisant sentir, jusqu'au centre du cœur
Les iniques effaits de sa fiere rigueur :
Adonc je souspiré une douleur mortelle
Despitant les horreurs de ma peine cruelle.
Mais tout cela n'est rien, un doux contentement
Par un beau souvenir en chasse le tourment :
Ainsi en ma douleur me souvenant Madame,
Que je vous ay donné le pourtrait de ame,
Avecques mes regrets que vous avez receus

D'un œil tant adoucy que je suis tout confus
Lors que j'y pense encor, m'encourageant moy mesme
J'ai bravement forcé, du sort la force extreme,
Allegeant mon ennuy heureux toutes les fois
Que sous un tendre accent avec vous je parlois.
Helas, ce n'est pas tout, n'ayant pour tesmoignage
Que vous continuez de semblable courage,
Suivy de mes malheurs, je n'ay peu estimer
Que pour mon amitié vous me deussiez aymer,
Car las ! je suis si peu, & si peu je merite
Que si par la pitié vostre cœur ne s'incite
Je me tien pour perdu, & je ne pense pas
Que quand vous aymeriez, vous aymassiez si bas,
Qui me fait desirer au sort qui se presente,
De finir sous l'horreur du mal qui me tourmente.
Je veux donc sans espoir perir en mon mal heur,
Je veux d'un coup mortel perçant mon triste cœur
Tomber ombre legere, & croistre miserable
Le nombre des esprits de la plaine effroyable,
Qui sans corps vains legers tousjours surpris de peur
Sont la bas vagabons tallonnez de l'horreur,
Afin qu'à tout le moins une esperance vaine,
Ne se loge dans moy passant de veine en veine,
Pour me tromper cruelle, & en mon sort malin
Me faire mille fois sentir ma triste fin,
Tandis que trop fidelle, helas ! en mon martire,
Dessous un trop bel œil langoureux je souspire,
Et que par mille pleurs je tasche d'adoucir
Le mal perpetuel ou je meurs sans mourir,
Ha ! que tarde ma main, que tarde ceste lame
De donner vistement liberté à mon ame,
Que tardent mes destins, puis qu'aussi bien le sort
Ne me presente rien que soin, que peur, que mort,

Que tourne tant le ciel pour mes tristes journees,
Puis qu'il ne change point mes fieres destinees ?
Ha ! faut il encor', faut il souspirer l'air,
Faut il sentir son ame, & encores l'aymer,
Non il faut tout hair, & mesme ce qu'on ayme
S'il se peut, puis qu'ainsi on ne s'ayme soy-mesme :
Que donques à jamais je deteste l'amour,
Que je cherche la nuit, que j'abhorre le jour,
Et encor s'il se peut qu'en ces plaintes funebres
Afin de n'aymer rien je haye les tenebres :
Que je sois à mon ame ennemy si mortel,
Que je la gesne en moy d'un despit eternel :
Et que pour achever le comble de ma peine
Que je sois sans espoir comme une image vaine,
Insensible, sans vie, & sans contentement
Autre que la douleur de mon fascheux tourment :
Puis en tombant soudain, d'une grande blessure
Je termine ma vie & ma triste aventure.
Mais quel œil me retient, quelle belle clarté
A mon inique bras doucement arresté ?
Que Soleil est cecy qui veut qu'encor je vive
Et que vivant de luy mes destins je poursuyve ?
Ha c'est l’œil que j'adore, ha ! c'est luy, je le vois,
Mon ame le sçay bien, à son feu je cognois
La force, & la douceur, dont la fleur de ma vie
Par mille heureux souspirs a esté recueillie.
Je sors donc de ce trouble en reprenant l'espoir,
Ais pris que dans mon sang je me sens esmouvoir
D'une chaleur plus douce, & respirant encore
Les esprits amoureux du bel œil que j'honore,
Essayer la fortune, & me conduire heureux
Au sentir incognu du sort avantureux
Que vous m'ordonnerez, pensez y ma Deesse,

Me montrant de mon bien la bien heureuse adresse :
Et si vous eustes onc de mes larmes pitié
Recompensez mon soin d'une mesme amitié.


COMPLAINTE.



Ainsi qu’on voit plorer la chaste tourterelle
Quand la mort a esteint la moitié de son cœur
Je veux en accusant ma fortune cruelle,
Eslongné de vos yeux souspirer ma douleur.

N’ay-je pas bien raison de faire ouir ma plainte,
Puis qu’à votre depart mon cœur s’en va de moy ?
Et que ployant au joug d’une force contrainte
Il me faut supporter mon tenebreux esmoy ?

Non non je ne sçaurois tenir en mon courage
Sans le manifester, mon regret ennuyeux,
Ains je veux tesmoignant mon desplaisant dommage
D’un pleur continuel tenir moite mes yeux.

En lieu de sang j’auray une source eternelle
D’une eau preste à monter en mon pensif cerveau,
Ou se changeant en pleurs viendra continuelle
Couler sur mon visage en un double ruisseau.

De mes venteux poumons le devoir ordinaire
Sera de soupirer, & en air me changer
Afin de plaindre mieux l’aventure contraire,
Qui las ! me veut de vous par l’absence estranger.

Est-ce pas un malheur assez fort pour contraindre
Les esprits plus felons, à distiller en pleurs,

Que voir venir leur mal ? j’ay donc cause de plaindre
Lors que vous absentant j’aperçoy mes malheurs.

Bien tost d’un noir manteau la terre environnee
Effacera le jour, & seul je m’en iray,
Jettant mille souspirs pleurer ma destinee
Si tost que de vos yeux la clarté je perdray.

Regrettant sans cesser de vos yeux la presence,
Je n’auray bien aucun pour me desennuyer,
Qu’en mon mal renaissant changer en autre essence,
Pour m’exhalant en pleurs en souspirs me noyer.

Esperance fuyez, car vous trompez ma vie,
Je veux sans esperer me tenir en mon mal,
Pour estre bien heureux je ne veux autre envie,
Que suyvre les erreurs de mon malheur fatal.

Courez tant que voudrez, inconstante fortune,
Je seray obstiné resolu en mes maux,
Attendant jour à jour que ma peine importune
Vienne en fin accabler mon chef sous mes travaux.

Helas ! vous qu’en mon cœur chastement engravee
J’honore sans changer de foy ni loyauté,
Si vous estes autant pitoyable qu’aimee,
Ayez quelque pitié de ma calamité.

Au moins si quelquefois l’amour vous a atteinte
Mesurez ma langueur par vostre affection,
Et oyant les soupirs de ma juste complainte,
Ayez de mon ennui quelque compassion.

Ne souffrez que le dueil soit maistre de mon ame,
Mais par quelque faveur estranger mon soucy,
Autrement en l’horreur que mon malheur me trame
Il me faudra passer au royaume obscurcy.

Ores que je ne voy qu’une porte prochaine,
Pour soulager mon cœur, souffrez que bien-heureux
Pour de vostre amitié avoir preuve certaine,
Je prenne de vos mains ce baiser amoureux.

Ne me refusez point ce qui me fera vivre,
Car loing de vos beautés je m’en resouviendray,
Ja ce doux souvenir de mon mal me delivre
Et me promet plus d’heur quand je vous reverray.


ADIEU.



Je veux seul escarté, ores dans un boccage,
Ores par les rochers souspirer mon dommage,
Et plaindre sous l'horreur du destin irrité,
Je veux aupres des eaux tristement murmurantes,
Et pres l'obscurité des grottes effroyantes,
Soulager mon esprit de soucis tourmenté.

Vous bois qui entendez le reson de ma plainte,
Vous rochers qui m'oyez quand mon ame contrainte
Sous trop de cruauté se plaint de son malheur,
Et vous eaux qui trainez en vos fuites tardives
Les regrets que j'espens dessus vos molles rives,
Soyez justes tesmoins de ma triste langueur.

Vous antres reculez ou les ombres dernieres

De ceux à qui la mort a fermé les paupieres
Errent tant que leurs corps soient mis dans le tombeau,
Recevez mes souspirs, & d'une longue aleine
Redoublez plusieurs fois la vois dont en ma peine
Je demande en vos creux un remede nouveau.

Car un injuste sort, me privant de ma vie,
M'absente des beaux yeux dont mon ame ravie,
Adorant les rayons fait vivotter mon cœur,
Et veut que sans espoir de revoir ma maistresse,
J'oublie de ce trait qui tant heureux me blesse,
Pour mourir en l'aimant, l'agreable douceur.

Mais quoy que contre moy la fiere destinee
Ait amené du Ciel l'influence ordonnee,
Au poinct determiné de ma calamité,
Si est-ce que tousjours en ma ferme pensee,
Sera heureusement d'une secrette Idee
Ciselé jusqu'au vif le trait de sa beauté.

Toutefois attendant que le Ciel en ordonne,
Que je puisse revoir ceste beauté qui donne
A mon douteux espoir, tant de contentement,
Je luy veux dire adieu, mais cest adieu entame
D'un mortel desplaisir & mon cœur & mon ame,
Tant le regret en cause en mes os de tourment.

Adieu ! Las je ne puis ! Hé je ne puis encore,
Adieu douce beauté qu'heureusement j'adore,
Ha ! je ne puis passer cest adieu sans perir,
Encores le faut-il & reprenant courage,
Feignant pour un moment le mal de son dommage,
Dire adieu à ceste heure, & puis tantost mourir.


Adieu doncques beaux yeux, adieu belle lumiere,
Qui avez en mon sang allumé la premiere,
Les bien heureux brasiers de mon affection,
Mais adieu sans adieu : car il n'y aura heure
Que mon cœur avec vous en tout lieu ne demeure,
Sentant pour vos beautez la mesme passion.

Adieu deveux frisez, dont l'ordonnance belle
Me prit en mon bonheur, quand mon ame rebelle
Ne sçavoit que c'estoit des douceurs de l'amour
Que puisse-je tousjours en vos beaux rets me rendre,
Et quand la mort viendra importune me prendre,
Qu'elle me face voir en vous mon dernier jour.

Adieu petite bouche, adieu saincte propete
Du bien-heureux destin où mon bonheur s'arreste,
Adieu de ton coural le divin ornement,
Adieu tant qu'une foisheureux je vous revoye,
Et qu'entre vos discours ma destinee j'oye,
Pour sçavoir quelque jour la fin de mon tourment.

Adieu fidelle mais de moy tant desiree,
Que j'ay passionné de mille fois baisees,
Quand de vos touchemens je sentois la faveur.
Je laisse entre vos doigts ma vie langoureuse,
Tant que vous revoyant une heure bien-heureuse
Me face belles mains, encor' le mesme honneur.

Adieu tout mon bonheur, adieu tout ce que j'aime,
Adieu mon sang, mon cœur, adieu mon ame mesme,
Je vais plorer tout seul sous mon astre malin :
Mais pour mieux souspirer, je veux en vostre absence
Prier les Deitez, que changeant mon essence

Je plaigne à mon plaisir mon contraire destin.

Vous donc dieux d'icy bas, vous sainctetez feees,
Qui des amans avez les essences changees,
Si vous errez encor', aux deserts ou aux bois
Muez moi je vous prie en un soupir si tendre
Que le cœur des passans mon accent face fendre,
Me faisant pour me plaindre une eternelle vois.


LXI.



Adieu ! mais quoy ? adieu las ! vous pourrois-je dire
Un adieu sans mourir, helas je ne sçaurois !
Plustost que le vous dire, à vos pieds je mourrois,
Tant ce cruel adieu, y pensant me martyre.

Faut-il que sans le dire ores je me retire
En m'eslongnant de vous, plustost je perirois,
Et comble de regret malheureux je cherrois
La bas où l'air espais de l'oubli je respire.

Las que feray-je donc, au partir de ce lieu,
Je vous diray adieu, & sans vous dire adieu,
Je seray avec vous estant en vostre absence.

Je vous lairray mon cœur qui en vous yeux vivra,
Tenez-le, le voila, gardez-le en esperance,
Cependant que mon corps loing de vous languira.


AUTRE ADIEU.



Ayant la larme à l’œil, & le regret au cœur,
Les souspirs en la bouche, en l'ame la douleur,
Le tourment dans les os, en l'esprit la tristesse,
Je vous vien dire adieu : mais non pas pour tousjours,
Car tant que je pourray souspirer mes amours,
Vostre je demourray, vous servant, ma Deesse.


Mais helas ! quelque temps pour un secret dessin,
Il me faut malheureux contraint par mon destin,
Eslongner de vos yeux le rayon qui m'esclaire,
La fortune le veut, je ne le puis fuir
Il faut sentir du mal, pour puis apres jouir,
Avec quelque bon heur du bien que l'on espere.

Ha ! que j'ay de regret de penser seulement
Aux ennuyeux discours qui ordinairement
Estant absent de vous doubleront mon martyre :
Et de me voir si loin banni de tout espoir
De pouvoir quelque fois, plus constant vous revoir,
Pour trouver en vos yeux l'ame que j'en respire.

Je seiche sur le pied, & la mort peu à peu
Avec ses froids galçons casse de moy le feu,
Dont mon ame en mon sang est doucement nourrie,
Je defaux, je peris, & ja dans le cerceuil
J'eusse esteint pour jamais la clarté de mon œil,
Si je n'eusse esté seur que nous aimez ma vie.

Mon esprit est confus, & trop de passion
M'empesche de sentir ma dure affliction,
Tant mon mal renaissant s'epend dedans mes veines :
Et pourtant en ces pleurs je ne puis assembler
La disme du malheur qui me venant troubler,
Fait que par maux nouveaux je n'oublie en mes peines.

Je ne puis plus longt temps vous conter mes langueurs
Et ce papier ne peut supporter plus de pleurs,
Car desja tout mouillé il va changer d'essence,
Soyez, je vous suppli contente de ces vers,

Et pour me soulager dessous mon sort divers,
Souffrez-moy d'arrester en vous esperance.

AUTRE ADIEU


Je ne puis sans regret vous eslongner maistresse
Je ne puis sans douleur, sans peine & sans tristesse
Absent de vos beautez, vivre sous autres Cieux,
Las doncques permettez, mon cœur, que je souspire,
Et baisant ceste main qui heureusement tire,
Par ma bouche mon aùe, & la loge en vos yeux.

Las ! ne retirez point ceste main qui me tue,
Ceste divine main qui mon ame a batue
De trop de passion, fait revivre dans moy,
Ne m'ostez point ce doigt qui d'une douce gesne
Travaille mon esprit, quand d'une foible aleine,
J'allege en le baisant mon douloureux esmoy.

Je veux ores mourir, je veux qu'ores ma vie
Tiree par la main qui dans mon cœur la lie
Eschappe de mon sang pour en vous retourner :
Mais vous ne voulez pas qu'encores je trespasse,
Ains que vif par l'effect de vostre bonne grace,
Je me sente pour vous encor passionner.

Hé bien, j'en suis content, pourveu qu'en nostre absence
Vous asseuriez tousjours de ma perserverance,
En qu'en quelque pays, contree ou nation,
Que je coure fortune, inconstance & legere
Vous croyez que ma foy, veritable & entiere,
Augmentera dans moy ma juste affection.


Selon les doux effects de la saincte alliance
Qui me donne, y pensant, en mon mal allegeance,
Je vous seray loyal perpetuellement,
Croyez que tout ainsi que vous estes la perle
Que je tiens saincte, chere, humble, douce, fidelle,
Je seray pour jamais vostre vray Diamant.

Hé que je baise encor' ceste main, ma Deesse,
Que je baise ce doigt qui doucement me presse,
Par le neud amoureux de ma fidelité,
Ha ! ce m'est trop de bien, mon ame trop contente
S'envole de mon sang, & dans vos yeux vivante
Pour vie dans mon cœur laisse vostre beauté.


LVII.


Cependant qu'eslongné de vos yeux je souspire
Sans faveur de secours, d'esperance & de port,
J'appelle en mes regrets la bien-heureuse mort,
Qui peut seule avancer la fin de mon martyre.

Car comme sur la mer est poussé le navire,
Mon cœur est agitté par mon injuste sort,
Et l'horreur de mon mal d'un eternel effort
Entre cent mille escueils d'heure à heure m'attire :

Las ! presque je peris & contant je le veux,
Mais quand je voy la mort je fais mille humbles vœux
A la divinité pour m'estre favorable.

Ainsi je veux mourir absent de vos beaux yeux,
Et puis pour les revoir je supplie les cieux
De me prester encor ma vie miserable.


LVIII.


En mes tristes regrets je n'ay allegement
Qu'en pensant aux douceurs qui nourrissoyent ma vie,
Quand mon ame de moy heureusement ravie,
En vos rares beautez se perdoit doucement.


Quand sortant par mes yeux d'un chaste mouvement
Elle glissoit en vous, ou de bon heur saisie
De retourner en moy elle perdoit l'envie,
Rencontrant tant de bien en si beau changement.

Encore ce beau penser qui mes malheurs allege,
Estant si loin de vous mon martyre rengrege,
Si que tout mon bon heur me cause ce tourment.

Mais, mon cœur c'est tout un, une cause si douce
Fait que si doucement, mes souspirs je repousse,
Que j'ay en mes ennuis trop de contentement.


ODE


Je m'eslongne de ce lieu
Sans adieu
Estant pres vous je vous laisse
Ma Deesse,
Je vous suis tousjours present,
Et absent,
Adieu sans bouger d'icy,
Mon soucy.


LIX.


Mille regrets sont peu pour plaindre vostre absence,
Il les faut infinis, mais helas ! mon malheur
Me fait le temps trop court pour plaindre la rigueur
Du sort qui me punit sans avoir fait offence :

Je suis tousjours de mesme en ma perseverance,
Et si j'ay de l'ennuy j'en pleure la douleur,
Ainsi que maintenant je fons en ma langueur,
En desirant sans plus vostre heureuse presence :

Las ! je ne change point, toutefois le destin
S'irrite contre moy, & j'ignore la fin
De l'injuste tourment, dont sans cesse il m'accable.


Je ne sçay si je faux, si ce n'estoit faillir
De me plaindre trop peu, me voyant sans mourir
Plus que tous malheureux mille fois miserable.

LX.


Si je lamente en vain pourquoy sens-je ma peine ?
Et si c'est avec fruit que n'en voy-je la fin,
Las ! Faut-il que douteux d'un plus douteux destin
Les cruelles rigueurs non coupable je traine ?

Vous qui tenez captif mon courage en la chesne
De vos perfections, rendez mon sort benin,
Faisans paix en mon cœur qui despit & mutin
Murmure dedans moy pour le mal gesne.

Ce dur eslongnement helas ! me fait douter
De vostre bon vouloir, & je me voy tanter,
De l'estrange souci qui mon ame martire.

Et puis absent de vous d'un soucy eternel,
J'ay crainte de vous perdre, aussi le ciel cruel
Fait suyvre par la peur cestuy-là qui desire.


LXI.


Je veux noyer ma vie au torrens de mes pleurs,
Je veux brusler mon cœur en l'ardeur qui m'enflame,
Et sur l'air de ma voix je veux porter mon ame,
Pour la chassant de moy terminer mes malheurs.

Par mille coups plombez tesmoins de mes douleurs
Je pousseray mon corps dessous la froide lame,
Contraignant mon esprit qui de langueur se pasme
A rechercher sa paix és ombreuses horreurs.

Ainsi en deffaillant me ruynantmoy mesme,
En devot sacrifice à la dame que j'ayme,
Humblement j'offriray la cendre qui restra.

Afin que quelque fois de mon amour esmeuë,
Elle pleure dessus & qu'elle la trans-muë
En quelque heureux daimon qui pour elle vivra.


LXII.



Je vi, puis que j'espere, helas ! non je me meurs,
Mais je respire encor, non, plus je ne respire,
Ce battement n'est rien que l'air qui se retire
De mes poumons qui ont souspiré mes douleurs.

Mais je me sens mouvoir, non ce sont les horreurs
Dont par mon dernier sort mon esprit se martire,
Ha ! je ne me meurs pas : car encores j'aspire
Le doux air amoureux cause de mes malheurs.

Non l'amour est perdu, rien plus que la fumee
Du feu qui me consomme encores enfermee,
En moy ja tout esteint de moy veut eschapper :

Mais je ne suis pas mort, non non, puis que ma flame
En moy mesme a changé, & mon corps & mon ame,
Je vis donq' & encor j'ay pouvoir d'esperer.


LXIII.



De mon sang exhalé toute l'humeur perie
Me laisse desseché, & l'esprit de mon cœur
Esteint par trop d'ennuy, me pousse en ma douleur
Aux extresmes effaits de la melancolie.

Ha ! presques hors de moi forcenant de furie
Tué, brisé, rompu, accablé de malheur,
J'ay soucy, j'ay despit, j'ay crainte, j'ay horreur,
De vos yeux, de mon mal, de la mort, de ma vie.

Ha ! si dans vostre cœur se trouve quelque idee
Des desirs qui vous ont en mon cœur imprimee,
Ayez pitié d'un mort qui pour vous veut mourir :

Ou pour rendre ma mort encores plus heureuse,
Avouez les soupirs qu'en ma peine amoureuse
Je tire cependant que me faites languir.

COMPLAINTE

 
D'un triste desespoir ma vie je bourrelle,
Je la veux obscurcir d'une nuict eternelle,
Puis que je suis si loin de mon heureux soleil,
Car sans ame je vy, sans poumon je respire,
Et absent de mon bien mon douloureux martyre
Ensevelit mon cœur sous l'oublieux sommeil.

Je vy, je ne vy pas, je meurs, je ne meurs pas,
Il n'y a point de vie, il n'est point de trespas,
Mais un ingrat destin sans cesse me tourmente :
Car je ne puis mourir pource que je suis mort,
Et je ne suis pas mort, pour autant que mon sort
Fait qu'encores dans moi un vain esprit se sente.

Je ne suis pas vivant, pour autant que mon cœur
Ne reçoit mouvement, puissance ny chaleur,
Que des heureux brasiers que l'amour y attise :
Je ne suis pas esteint, je ne fay que languir
Pressé de mon tourment : car je ne puis mourir
Si loin de la beauté dont la vie j'ay prise.

Esloigné de mon feu je ne puis m'attiser,
Esloigné de ma mort je ne puis expirer,
Ainsi faut que je vive & faut que je trespasse,
En ma vie est ma mort, en mon bien ma douleur,
En ma nuict ma lumiere, en mon mal mon bon heur,
Ainsi mon sort divers mesme soin me compasse.

Celle qui a ravi par sa force mon cœur,
Qui le fait vivre en moy par sa douce rigueur,

Et qui par ses beaux yeux humble fiere, le tuë,
L'oste cruellement, le remet doucement,
Me l'arrache humblement, me le rend fierement,
Gouvernans mes destins d'une sorte inconnuë.

Je veux en mon ennuy fondre en larmes de feu,
Et dans mon feu glacé consumer peu à peu,
Tirant de mes poulmons par torrens mon alleine,
Je veux sans m'espargner distiler en humeur,
M'esvanouir en air, au fort de ma chaleur,
Pour n'estre n'estant point une semblance vaine.

Je veux estre un beau mort vivant entre les morts,
Mourant entre les vifs par les cruels efforts
Du sort inevitable à mes desirs contraire,
Et comme on jette au loin ceux qui sont trespassez,
Je fuiray aux desers tant que mes nerfs cassez,
Facent mourir d'un mort, par la mort la misere.

Je ne veux plus chercher au monde de pitié,
Je ne veux plus loger en mon cœur d'amitié,
Puis qu'elle cause en moi la cause de ma haine :
Si feray, la pitié encor je chercheray,
Pour en fin estre aymé, encores j'aymeray,
Possible en ce faisant j'adouciray ma peine.

Non non, je veux perir : car d'un destin heureux
Tesmoignant à jamais mon dommage amoureux,
Je vivray par ma mort, je mourray par ma vie,
Un dernier désespoir mon cœur consolera,
Et contente à la fin mon ame sortira
Des seps qui si long temps l'ont tenuë asservie.


Larmes toutes de sang monstreront ma douleur,
Les visibles soupirs des fragments de mon cœur,
Seront justes tesmoins du malheur que j'endure,
Mes cris remplis d'effroy petits corps deviendront,
Qui soin, mort, craint, horreur aux hommes montreront
Tant que je trameray ma cruelle avanture.

Le ciel seche mes pleurs, humecté mes soupirs,
Mes cris sont emportez sur l'aisle des zephirs,
Et je lamente en vain en ma peyne ennuyeuse,
Pourquoi par mon soucy me rends-je furieux ?
Las ! pourquoi tant de pleurs escoulent de mes yeux
Si je ne rends par eux ma fortune piteuse ?

Mes souspirs sont si doux, je lamente si bien,
Et toutes fois mes pleurs ne me profitent rien,
Car un sort envieilli s'aigrit en ma detresse,
Que je poursuive donc & d'un gentil desir,
Bravant le fier destin, je vive pour mourir,
Et meure pour encor vivre pour ma maîtresse.

Quand je serai perdu on me regrettera,
Et ce petit regret que de moy on aura,
Si possible on en a contentera mon ame,
Je vais doncq' és désers mort attendre la mort,
Me souvenant tousjours de l'agreable sort
Des effets bien heureux de ma plus chaste flame.

En fin bois & rochers où je fay ma complainte,
Lors que pressé de mal dont mon ame est atteinte,
Je me consume en pleurs, en douleurs, en souspirs.
Celez-moy, perdez moy, & dessous vos tenebres,
Amortissant le son de mes plaintes funebres,

Esteindez mon amour ma vie & mes desirs.


Finissant je ne fais fin
Au destin :
Qui fait qu'en vos yeux je vive;
Je finis pour faire mieux
Si vos yeux
Permettent que je poursuyve.