Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville 1589/Je suis saisi de frayeur


ODE I.


Je suis saisi de frayeur,
Je tremble tout dans le cœur,
Et une froideur mortelle
Passant en moy peu à peu,
Y allume un cruel feu,
Pour une beauté trop belle.

Je n'ose jetter mon œil
Aux rayons de ce soleil,
Qui peut foudroyer mon ame,
Je ne l'ose malheureux :
Voir d'une regard amoureux :
Car je mourrois en sa flame.

Je ne m'ose présenter
Pour heureux un peu tenter
Une si belle fortune,
Car mon injuste destin
Me feroit sentir ma fin,
Au bord du premier Neptune.

Si ce soleil luit sur moy
Par une agreable loy,
Il force mon ame atteinte
De ces traits, dont la rigueur
Me fait souhaitter l'erreur

D'une si douce contrainte.

Si le destin m'eut donné
A l'instant que je fus né,
De mériter quelque grace,
Je voudrois avantureux
Par un souhaut si heureux
Avoir au ciel quelque place.

Je voudrois en la beauté
De ceste divinité
Cherche la source immortelle
Des feux dont la sainte ardeur,
Allume en nos cœurs l'honneur
De la lumiere eternelle.

Mais mon merite est trop bas,
Et je ne merite pas,
D'y oser perdre la vie,
Car ce qui est eternel
Veut que par un immortel
Sa puissance soit servie.

Et pourtant tout estonné
Je me sens environné
De mille peurs à sa veuë,
Et voy la mort me presser,
Sentant peu à peu passer,
Mon ame toute esperdue.

Cependant je beniray
Cest œil par qui je vivray,
Soit que de luy je respire,

Ou que loin de sa clarté,
Mon poumon soit agité
Par le doux air qu'il souspire.