Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589/Dans quel antre escarté m’iray-je retirer


ELEGIE.


II.

Dans quel antre escarté m'iray-je retirer,
Dedans quelle forest iray je souspirer,
En quel lointain desert assez grand pour ma plainte,
Pleureray-je le mal dont mon ame est atteinte ?
Ou pourray-je fuir pour eschaper l’erreur
Du tourment importun qui agitte mon cœur ?
Tout m'est contraire helas ! rien ne m'est favorable,
Tout conjure mon mal, tout veut que miserable,
Ennuyé, deslaissé, j'espouve mal-heureux
La cruelle rigueur de mon sort rigoureux.
Encor si je pouvois en mon mal-heur extresme,
Pour tromper mes travaux pardonner à moy mesme,
J'aurois contentement, & ne sentirois pas
Sans pouvoir defaillir les accez du trespas,
Car errant vagabond pour trouver quelque crotte
Ou je destourne un peu le mal qui me transporte,

Seul je pense tout seul, en larmes & souspirs
Envoyer mes ennuits avecques les Zephirs.
Mais je me trompe helas ! car jamais ma maistresse
Grave dans mon cœur une heure ne me laisse,
Elle se tient pres moy, & par ses doux discours
Elle r'alume au vif l'ardeur de ses amours.
Plus je pnese fuir, plus je veux solitaire,
Meslongner pour me plaindre en ma peine ordinaire :
Plus je suis assailly, & tant plus dessus moy
Se redouble l'aigreur de mon facheux esmoy,
Les ombreuses forests, & les desertes plaines,
Au lieu de m'alleger multiplient mes peines,
Et lors que dans la mer se trempe le Soleil
La nuict qui doit cacher tout dessous le sommeil,
Me presse davantage, & assemble la flame
Des tisons eternels qui eschauffent mon ame,
Par son contraite effait, car son obscurité
Fait retirer en moy la plus vive clarté,
Qui se paist de mon sang, ainsi sous le silence
Je sens plus dans mon cœur de mon feu la puissance,
Que lors que le Soleil en reparant les cieux
Nous rend ce qui la nuict desroboit à nos yeux.
Mais encore ce pendant que dessus nostre sphaire,
En conduisant le jour son flambeau nous esclaire,
Je sens dedans mon sang en mes flames recuit
Les tourmens ennuyeux des peines de la nuict.
Ainsi serf des beaux yeux qui en mon ame luisent,
Tout m'est cause d'ennuy, toutes choses me nuisent,
Donc logeant bien souvent justement despité
Le murmure en la bouche, au cœur l'impiété,
Je double mon martyre, & d'une main bourrelle
Je veux oster la vie à mon ame immortelle :
Et n'estoit que je crains de blesser la beauté

Ciselee en mon coeur, je fendrois irrité
Ma poictrine innocente, & en ma derniere heure :
J'avancerois le temps ordonné que je meure :
Puis la peur d'offencer & perdre la douceur
De l'espoir que l'amour m'offre en tant de rigueur,
Vient arrester ma main, & veut qu'encor je vive
Pour servir la beauté dont mon ame captive
Espere son bonheur, attendant que le sort
Me presente mon bien, & que dessous l'effort
Des effaits du trespas toute ma peine cesse,
Et que perdant le jour je perde ma tristesse,
S'il est vray qu'en la mort jouissant de la paix
Qu'on pense estre là bas, on ne ressent jamais
Les flammes de l'amour : mais qui le pourroit croire,
Veu qu'esteindre on ne peut de l'amour la memoire.
Hé que feray-je donc ce pendant que vivant
Sous les forces d’amour vainement poursuivant
Une fortune aveugle, iray-je loing du monde
Joindre avec tant de maux une peine seconde ?
Non ! car les cieux des bois, ni les vastes deserts
Ne destournent le soing ni les pensers divers
Qu'on couve dans le sang, que me faut-il donc faire
Pour me rendre propice un destin si contraire,
Pour à tant de douleurs trouver allegement,
Pour destourner l'horreur de mon cruel tourment ?
Il ne faut point fuir, il ne faut miserable
Chercher des lieux cachez l'effroy espouvantable,
Il faut chercher les yeux, la beauté, les cheveux
Dont les chastes rayons & la force & les nœuds,
Ont tiré & contraint, & doucement lassee,
Par feux, attraits, liens, l’œil le cœur la pensee.